Maltraitance

Jeudi matin 10h10 : changement de cours. J’attends des élèves de sixième. 10h15, quelques élèves arrivent au compte-goutte. Je pressens un climat particulier.

Le retard se prolonge. Des « C’est pas possible », « On a déjà assez à faire », « À la dernière minute comme d’hab », « Cinq textes en plus ». Quelques bribes de phrases d’une conversation animée. Je vous passe les expressions plus corsées. Un vent de révolte secoue la classe. La collègue stakhanoviste, la seule au monde qui me précède, a imposé une énième évaluation pour le jeudi suivant au mépris de toutes les autres échéances : « Il me faut des points pour le bulletin ». C’est le « Poussez-vous de là que je m’y mette ».

J’imagine et redoute déjà ce qui va suivre, car moi aussi, j’ai une échéance importante fixée, elle, de longue date. « Vous ne pourriez pas repousser la date du travail, avec Madame Untel, pas moyen de discuter et puis c’était en fin de cours ». Moi aussi, je suis agacée, sur le chemin de la colère. Situation récurrente avec cette collègue que certains élèves admirent pour son énergie, sa capacité de travail, mais que presque tous craignent.

Collectiviser les rêves

Je rêve de pousser les élèves à la révolte. Plusieurs scénarios me traversent. Scénario un : une riposte bête et méchante. Forcément inefficace. Lui faire la peau, la sortir du jeu physiquement. Le prof est out, l’échéance aussi. Moi aussi. Scénario deux : le jeudi suivant, toute la classe refuse de répondre aux questions posées, se lève et va camper en silence devant le bureau du directeur. Scénario trois, une réponse style « soldat Sweig » : les élèves réalisent l’interro en classe sur la matière à étudier. Surprise à la correction : les vingt-quatre copies sont identiques… Les étudiants n’ont pas triché en classe, ils se sont organisés au préalable. Mettre l’évaluation KO.

Le scénario trois : rêvé, préféré. Celui qui protège les élèves et met en exergue la puissance du collectif et l’absurdité de la situation. Le travail est fait correctement. Pas de triche. Petit bémol : un texte identique.

Un scénario que, même en rêve, je n’ai même pas osé imaginer ou plus exactement que j’ai oublié, bien refoulé. Et les autres collègues là-dedans ? Je rêve d’une alliance des profs du conseil de classe pour faire reporter cette évaluation-là, imposée en dernière minute. Ils ont, eux, mis leurs échéances à temps.
Anecdote. En rester à la mise en évidence d’un symptôme d’un fonctionnement individuel. Un peu court. Davantage un questionnement sur les limites du pouvoir et de la carence du collectif. Que mettre en place pour rendre l’apprentissage plus humain ?