Durant la dernière année de ma formation d’institutrice primaire, l’instauration d’un « stage à projet » a permis à chaque étudiant d’en réaliser un dans un contexte particulier. J’ai saisi cette opportunité pour me rendre en Finlande pendant cinq semaines.
J’y ai été accueillie au lycée franco-finlandais d’Helsinki. Bien entendu, le prestige accordé à l’enseignement finlandais suite à ses brillants résultats aux tests PISA m’attirait. Mais ma motivation première était de dépasser ma connaissance des mérites qu’on lui vantait pour observer comment cela se passait réellement sur le terrain.
Mon objectif n’est pas d’en énoncer les qualités, qui ont déjà fait l’objet de nombreux articles dans le domaine pédagogique. Mon expérience me pousserait d’ailleurs, au contraire, à nuancer l’éloge que l’on fait — voire à critiquer — de multiples aspects de leur système éducatif tellement idéalisé (cela pourrait faire le contenu d’un autre article !). “Manier l’équerre et convertir des mesures” Il est cependant un domaine dans lequel l’enseignement finlandais est bien plus avancé que le nôtre : celui de la formation aux compétences manuelles et de la valorisation des études professionnelles. Il n’est nullement nécessaire de rappeler que le système scolaire belge met l’accent sur l’enseignement général et dévalorise les filières professionnelles et qualifiantes. Sur ce point, l’organisation du système finlandais peut enrichir notre réflexion sur les « bonnes écoles ».
En Finlande, dès la 1re année primaire, les élèves bénéficient d’une à deux heures de « travail manuel » par semaine. Les élèves y apprennent la couture, la menuiserie et la cuisine avec des enseignants spécialisés et du matériel professionnel. C’est à partir de la 3e primaire que les portes de l’atelier de menuiserie s’ouvrent aux élèves…
Ceux-ci y pénètrent pour la deuxième fois. Le local est incroyablement bien équipé : il contient du gros matériel (défonceuse, scie circulaire et scie à ruban sur table) ainsi que des outils variés, allant du marteau à la visseuse électrique. Il y en a suffisamment pour que chaque enfant ait le sien.
Dès leur entrée en classe, les élèves vont se placer en cercle autour de l’enseignant qui leur explique l’objectif de la séance. Aujourd’hui, ils vont réaliser des plaquettes de porte en bois sur lesquelles, au cours suivant, ils feront de la pyrogravure. Pour cela, ils doivent suivre plusieurs étapes et manier différents outils.
Les enfants commencent par se munir d’une planchette carrée de 10 cm de côté. Dans un premier temps, ils doivent y marquer quatre points d’attache, dans les coins, à 1 cm de chacun des bords. Pour cela, ils manient l’équerre, mais travaillent aussi sur la conversion des mesures.
Ensuite, les élèves se procurent un bloc de bois sur lequel ils fixent la planchette à l’aide d’un serre-joint. De cette manière, ils vont pouvoir les visser ensemble plus facilement. Pour cela, ils doivent préalablement percer des trous, à l’aide d’une foreuse électrique, sur chaque point dessiné auparavant. Puis, les enfants se munissent d’un tournevis et de vis afin de visser la planchette au bloc de bois.
L’étape suivante est réalisée par l’enseignant, car elle consiste à défoncer la planchette pour y tailler un disque. Les enfants doivent s’équiper d’un casque antibruit et de lunettes de protection afin d’assister à l’opération.
Enfin, leur rondelle réalisée, les élèves la poncent pour la rendre lisse, agréable au toucher et prête à être pyrogravée. Les premiers à avoir terminé leur travail proposent leur aide aux autres élèves ou dessinent sur une feuille de brouillon une ébauche de ce qu’ils graveront sur leur plaquette au prochain cours.
Il n’aura suffi que d’une explication orale et d’une démonstration de l’utilisation de la visseuse en début de séquence pour que les apprenants réalisent ensuite tout le travail de manière individuelle. Ils se déplacent librement dans l’atelier pour se servir des outils dont ils ont besoin et pour les y ranger ensuite. L’enseignant peut se charger de manier la défonceuse sans se soucier de la gestion de classe ni de la sécurité des enfants qui s’en chargent de manière responsable. Cela ne l’empêche pas d’être disponible pour les élèves qui auraient besoin de son aide. Mais la grande autonomie des enfants, qui est au cœur de l’enseignement finlandais, les pousse à s’entraider plus qu’à demander l’aide du professeur.
L’objectif, dans cette découverte de la menuiserie, est d’apprendre aux enfants à manier les outils tout en étant attentifs à leur sécurité et à celle des autres. Les réalisations deviendront de plus en plus fonctionnelles, utiles et complexes à la fois, apportant d’autant plus de sens à la formation. Elles exigeront d’une part de nouvelles connaissances en mesure et en géométrie, et d’autres parts, un niveau de langue toujours plus précis.
Cet exemple de pratique témoigne de la valeur accordée à l’enseignement manuel et qualifiant dès le début de la scolarité fondamentale. Celle-ci s’exprimera jusqu’au terme du tronc commun, à 16 ans, où les étudiants devront choisir une orientation spécifique pour leurs trois dernières années d’étude. Parmi ces choix figurent de nombreux types d’écoles professionnalisantes qui sont reconnues et valorisées. Actuellement, il existe 52 diplômes professionnels au terme de l’enseignement secondaire en Finlande. Ça donne à réfléchir…