Martin à la quête du temps

Parmi les expériences d’apprentissage en
classe, il y a évidemment toutes celles qui
se construisent en marge de ce que nous
avions programmé et qui appartiennent
réellement au processus de l’enfant.
Martin est ainsi parti à la conquête du
temps.

En classe, nous travaillons au quotidien la
création et l’utilisation des repères temporels.
Or, tous les enfants ne les appréhendent
pas de la même façon. Aussi, pour Martin, se
repérer, situer l’instant présent par rapport
aux autres est à la fois une réelle difficulté et une grande
préoccupation.

Et puis, il y a eu cette fois où j’avais prévu une leçon
avec un objectif de grammaire. Les enfants travaillaient
en sous-groupes et j’avais, pour correspondre aux injonctions
de l’école, le souhait qu’ils parviennent tous à
s’ancrer dans la démarche inscrite dans ma préparation,
y compris Martin. Ce n’était pas le cas : il ne montrait
absolument aucun intérêt pour le
questionnement grammatical !
En général, répondre à la consigne
est démarche difficile pour lui. C’est
un enfant qui fait des efforts, qui essaie…
et qui « s’évade ». Évidemment, cela ne veut pas
dire qu’il ne se met pas en démarche d’apprentissage.
Au contraire. Martin est un enfant curieux et, très souvent,
je le vois en recherche… Cette fois-là, il l’était particulièrement.
Il se posait des questions en décalage par
rapport à ce que j’avais préparé, certes, mais il se posait
de réelles questions, importantes !

LE CHEMIN DE MARTIN

Alors que son groupe était au travail, je l’ai vu quitter
discrètement sa place. Bien sûr, je pouvais choisir de
le ramener à sa tâche, ce qui aurait davantage répondu
à la logique dictée par les différentes étapes à suivre
au cours de ma leçon. Après tout, en classe, différents
temps sont programmés et s’alternent : les moments de
routine, les recherches en sous-groupes, les périodes
pour la progression individuelle et, enfin, les échanges
et activités collectives.

Ces dernières ne devraient-elles pas toutes conduire
à ce que chaque élève atteigne un objectif défini,
commun à tous ? Mes convictions pédagogiques me
conduisent plutôt à croire en davantage de différenciations,
l’autorisation pour les enfants de répondre à
leurs propres questions plutôt qu’à celles que je pose,
en en connaissant la réponse attendue. Nous devrions
pouvoir, à chaque instant, concevoir, accepter, favoriser
le fait qu’un enfant construise, à un moment qui lui est
propre, un apprentissage qui lui est propre.

Donc, durant ces quelques minutes, j’ai laissé Martin
explorer d’autres pistes. Je l’ai observé partir étudier les
différents calendriers de la classe, aller discrètement de
l’un à l’autre, suivre les annotations du doigt, les mettre
en parallèle. Il s’appropriait concrètement les outils que
nous créions tous les jours. Par cette démarche, il répondait
lui-même à cette question qu’il avait tant et tant
posée : « C’est quand qu’on… ? » Préoccupé de trouver
une réponse, il se servait des référents qu’auparavant il
ne comprenait pas vraiment et qui faisaient alors réellement
sens.

L’AUTORISATION D’APPRENDRE

Martin aurait-il pu nous rejoindre dans l’activité de
la langue française ? Probablement pas. La grammaire
semblait pour lui source d’ennui, ennui qui lui a peutêtre
permis de chercher le sens de la durée de cet instant,
à le situer par rapport à un projet futur.

J’ai laissé à Martin prendre ce moment. Parce qu’il
faisait sens. Il ne l’a pas volé. J’aurais peut-être pu (ou
dû pouvoir) trouver comment transformer cette activité
scolaire en activité signifiante pour tous, y compris
pour cet enfant qui rentrait très lentement
dans la lecture. J’avais peut-être à considérer
l’objectif défini comme le seul essentiel
à ce moment scolaire. Mais j’ai évalué que la
recherche de Martin était légitime, qu’il avait
très probablement davantage besoin d’explorer
les calendriers et plannings plutôt que de
l’exercice que je proposais.

L’appropriation authentique de savoirs
et compétences devait pouvoir trouver une
place et être autorisée.

Cet acquis tout neuf, Martin l’a partagé en
venant m’expliquer ce qu’il avait compris. Il
était fier et content de sa découverte. Je voudrais
pouvoir dire qu’il a éprouvé un certain
plaisir à apprendre. J’étais, moi aussi, fière et
contente de son travail d’appropriation, bien
plus, à vrai dire, que de ma leçon. Et… j’ai
éprouvé un réel plaisir à le voir découvrir