Je n’ai pas encore trouvé le truc. Peut-être n’y en a-t-il pas. Juste sauver sa peau. Pourtant, j’adore mon métier.
Mes élèves disent pourtant qu’ils m’adorent, qu’ils me reconnaissent comme quelqu’un d’intelligent et que mon cours est bien conçu et intéressant. Mais voilà, ils n’en ont rien à cirer ! Le cours de morale n’est pas considéré comme un cours important. Il n’y a pas d’examen. Ils viennent chez moi en fin de journée et sont vingt-cinq (en moyenne) en classe ! Alors, je peux me tracasser pour savoir pourquoi ce cours-ci ou celui-là n’a pas marché, pourquoi ce jour-ci ça va et pas celui-là. Je peux m’interroger sur ma façon d’entrer en matière ou conclure, sur ce que j’ai dit ou pas dit … En fait, ce n’est pas cela qui est important car dans des classes si nombreuses et sur lesquelles l’impact de mes deux heures/semaine est si faible, il y a toujours des élèves qui seront de mauvaise disposition et cela n’aura rien à voir avec moi. Et lorsque j’aurai obtenu un déclic de maturité de l’un, ce ne sera pas en même temps que pour l’autre.
Que faire ? Subir encore et encore … feindre de ne pas entendre ceux qui font du bruit pour me concentrer sur ce que je dis à quelques ploucs qui essayent d’entendre, gueuler à mon tour de temps en temps, commencer la saga des journaux de classes, des punitions, des retenues (en rhéto !), ramasser leurs crasses et réparer leurs dégâts …
Mes pistes : Parfois je me dis qu’il faut miser sur la qualité et continuer à préparer toujours mieux mes cours pour rencontrer leur intérêt … Mais parfois je me dis, que c’est en sachant les écouter, en leur démontrant que se parler demande un apprentissage, qu’ils apprendront vraiment … Parfois, je me dis qu’il faut discuter avec eux de leurs attentes, du bonheur, de politique ou d’adolescence et me mettre à leur niveau … Mais d’autres fois, je regrette de ne pas m’en être tenue à ce que j’avais préparé, pour qu’ils n’aient pas l’impression que l’on ne fait rien et qu’ils ne me le reprochent pas … J’organise des « Quoi de neuf ? » où je sollicite leurs initiatives. J’organise des « conseils de classes » où l’on discute de la manière de s’organiser. Toujours ils en redemandent et je suis impressionnée par la richesse de leurs apports, de leurs analyses. Mais c’est en filigrane risquer mon autorité et l’occasion d’amener le chahut dans la classe. Il m’est arrivé de chanter avec mes élèves et d’ailleurs, nous avons constitué un chansonnier pour le cours de morale. C’était bien gai, mais là, ils ont carrément imaginé que j’étais leur copine. J’ai acheté du matériel. Travailler en groupe avec des marqueurs sur des panneaux permet aux élèves de formaliser directement leurs idées sur le papier et de les montrer aux autres. Les élèves qui ont goûté et apprécié cette manière de travailler, ne sont pas gênés, le lendemain, pour en faire des avions, écrire sur les bancs avec les marqueurs ou les voler. Du matériel à l’école, c’est anachronique. Ils m’ont accusée, moi prof de morale, de ne pas respecter les arbres ! J’ai voulu responsabiliser mes élèves en leur demandant une participation, mais ma Préfète ne l’a pas autorisé car « l’enseignement est gratuit ! »
En réalité, il y a trois ambitions pour le cours de morale: donner une matière (nous avons maintenant un véritable programme de philosophie), donner la parole et apprendre à parler. Ces trois ambitions sont exorbitantes et finalement contradictoires. C’est donc le cours le plus apprécié mais le plus méprisé parce que il est toujours en deçà des rêves. Les élèves aimeraient s’y détendre lorsqu’ils s’y concentrent. Je pense qu’il faut, à un certain moment choisir, mais je n’en suis pas là. Les élèves me demandent d’être plus sévère, je ne supporte plus leurs cris, leur irrespect, leur infantilisme. Mais si je deviens plus sévère, j’ai l’impression que mon cours ne sera plus mon cours.
Si mes collègues semblent avoir moins de difficultés que moi, est-ce parce qu’ils font ce que je ne sais pas faire ? Ou parce qu’ils ont moins d’ambition que moi ? La manière anarchique dont mes élèves se comportent chez moi me fait penser qu’ils n’ont pas l’habitude d’être libres ailleurs, qu’ils n’y pratiquent ni le débat, ni la véritable créativité, ni les relations de groupe. D’ailleurs les élèves le reconnaissent, mais ce n’est pas pour autant qu’ils reconnaissent qu’il s’agit là, de ma part, de choix idéologiques et que c’est peut-être le véritable travail qu’il y aurait à faire, et le véritable apprentissage ! Je reste donc seule avec mon utopie.