Mode sans échec

Une école de quartier populaire, avec beaucoup d’élèves issus de l’immigration, bilingues, trilingues, mais faibles dans la compréhension de notre langue de scolarisation. Parfois malmenés par une éducation violente, un niveau de qualité de vie insuffisant.

Et comme tous les enfants, ils ont envie d’apprendre, de jouer, de rencontrer l’autre et de grandir ensemble.

L’équipe éducative et moi, comme directrice, avons suivi beaucoup de formations dont une avec Marie Millis qui nous pose cette question : « Est-ce que vous placez chaque élève en situation de réussite ? » La réponse est non, car il y a une forme d’acceptation sociale sur l’idée que l’échec scolaire fait partie intégrante de certains parcours. Ensuite, nous avons poussé la réflexion en nous posant la question du sens : « Qu’est-ce que nous mettons derrière des mots comme réussite ou échec ? L’école n’est-elle là que pour viser la réussite ou faire craindre l’échec ? »

« Donner la parole aux enfants c’est bien, la gérer c’est mieux ! »

L’école est là pour mettre en place les conditions qui favorisent la réussite de l’élève ; ce n’est pas la même la chose. La responsabilité d’une équipe éducative, c’est de partir du potentiel de l’enfant pour l’amener le plus loin possible. Que l’enfant prenne confiance en lui et qu’il puisse s’améliorer, et non seulement de le rendre performant juste pour réussir son CEB, comme s’il n’y avait que cela d’important dans la vie. C’est la raison pour laquelle nous estimons qu’il faut toujours comparer, mettre en perspective, (faire) réfléchir. Ce qui compte, c’est de réaliser que tout le monde n’apprend pas de la même façon, et que la richesse des procédés permet une réelle évolution.

Le choix des armes

Soucieux d’accompagner chaque élève, nous privilégions des stratégies d’apprentissage et des outils adaptés à chaque enfant, qu’il souffre de troubles instrumentaux, de retards pédagogiques ou non. Le principe, c’est de mettre en place une multitude de procédés différents au service des apprentissages. Pour ce faire, dans l’équipe, des personnes se sont formées dans des domaines différents et sont référentes lors de nos moments de partage de pratiques ou lorsque l’un des enseignants rencontre une difficulté avec un élève.

Les élèves peuvent choisir leur outil, leur chemin, leur stratégie. Cela les engage vis-à-vis de la tâche et de l’effort à fournir et cela évite les frustrations ou stigmatisations entre eux. Par exemple, depuis quelques années, nous proposons des textes plus aérés à tous les jeunes lecteurs. Ils peuvent plus facilement entourer des mots ou ajouter des notes personnelles entre les lignes.

Le leitmotiv de l’école est de toujours viser les mêmes compétences pour tous, avec des moyens adaptés, des chemins différents pour chacun. Ce qui important, ce sont les mises en commun qui sont systématiques : tout le monde se réunit et discute de ce qu’il a produit. Plus l’enfant sera dans un environnement où les possibilités sont multiples et les niveaux propres à chacun, plus vite il sera capable d’évoluer.

Produire un texte, comprendre le message d’une histoire, résoudre un défi, réaliser une enquête, une expérience scientifique, un travail personnel : toute une série de tâches que tout le monde peut réussir. Nous favorisons aussi la coopération et le travail en binômes, pas spécialement un fort et un faible ensemble, mais deux ou plusieurs enfants qui peuvent être meilleurs ensemble !

Rester groupés

Conscients des enjeux du collectif dans les apprentissages, nous privilégions les groupes hétérogènes dans notre approche pédagogique. Ils permettent aux enfants qui éprouvent des difficultés d’entendre les hypothèses émises par d’autres, d’être stimulés par les autres.

Souvent, nous proposons aux élèves, trois étapes pour leurs travaux. L’élève commence par réalise l’exercice ou le défi, seul, dans une couleur. Ensuite, il peut discuter avec un autre enfant et faire des annotations avec une autre couleur. Enfin, une troisième couleur pour garder trace des échanges avec le groupe. Parfois, nous travaillons dans l’autre sens, ils sont plusieurs pour comprendre un défi, une consigne qu’ils s’expliquent les uns aux autres et puis quand chacun se sent prêt, la tâche est réalisée individuellement.

Depuis que nous pratiquons avec ces étapes, nous trouvons que les élèves sont beaucoup plus épanouis. Même les enfants qui ont de grandes difficultés ne se sentent pas stigmatisés et sont toujours motivés. De plus, ce système bénéficie aussi aux enfants qui n’ont pas de troubles, car ces stratégies d’apprentissage leur permettent d’être plus performants et de se dépasser.

Entre quatre z’yeux

Favoriser le coenseignement, c’est du sur-mesure pour observer les capacités des élèves.

À certains moments de la semaine, dès que c’est organisable, deux adultes sont présents dans une classe, notamment pendant les heures de seconde langue, qui, données par un maitre spécial, libère le titulaire qui collabore alors avec un autre titulaire, dans une même classe. C’est le moment du TO DO (plan de travail individualisé), de la table d’appui (lire la source « Alexia Forget [1]A. Forget, Penser la différenciation pédagogique, 2018.») ou encore de défis communs à résoudre. Moments qui permettent aux élèves de choisir leurs procédés et outils pour réussir leurs tâches et aussi aux enseignants d’observer les élèves face aux défis demandés. C’est alors possible d’avoir une remédiation immédiate, avec une rétroaction efficace sur les stratégies ou procédés utilisés par les élèves. Être là, à leur demande ou pas, avec un regard avisé qui permettra de rebondir à la séance suivante.

C’est toujours intéressant d’observer un élève face à un obstacle (franchissable pour lui) et d’analyser ensuite avec lui ce qui l’a fait réussir, hésiter, se tromper. Le droit à l’erreur est reconnu depuis longtemps dans les écoles, mais parfois qu’en fait-on ? Le fait d’être deux dans une classe libère un des enseignants, qui ne doit plus gérer le groupe ou les activités et qui peut alors se consacrer pleinement au soutien de certains élèves, pas toujours les mêmes, car pour ces enfants c’est insupportable d’avoir l’impression que les adultes ne croient pas en leur potentiel !

Faire le portrait

Pour favoriser toujours plus l’autonomie de l’enfant, son envie de se dépasser et sa motivation d’apprendre, nous avons banni le système de bulletin à points pour adopter un mode d’évaluation positif et réflexif : le portfolio[2]Voir l’article de M. Masil : « Construire du commun pour apprendre », TRACeS 230  dès l’entrée en maternelle et jusqu’à la sixième primaire.

Ce que nous souhaitons mettre en évidence, c’est l’effort qui a été fourni et les progrès qui en résultent. Les enfants confrontés à des difficultés depuis qu’ils sont tout petits ont généralement besoin d’être davantage épaulés et rassurés. Ils se rendent comptent de leurs différences. C’est pour ça que nous privilégions une démarche de construction et de non-stigmatisation. Le portfolio est un outil positif qui permet à chaque élève d’être fier de ses progrès, de les raconter à ses parents qui deviennent fiers et donc valorisants.

Les enseignants ont adopté la définition du portfolio suivante : « Un portfolio est un portrait soigneusement confectionné avec des connaissances, avec des attitudes et avec des habiletés propres à une personne. Par l’entremise de celui-ci, l’élève raconte une partie de son histoire personnelle : l’aventure emballante du développement de ses compétences » (Black, 1993). Cela implique que les enseignants sortent du jugement, de l’affectif et de la logique de l’échec scolaire.

Le portfolio est un système d’évaluation basé sur la coopération plutôt que la compétition qui permet d’accorder de l’importance aux démarches et stratégies d’apprentissage, aux essais et erreurs et aux interactions avec les pairs tout en garantissant une réelle exigence par rapport au produit final. De plus, il produit une réflexion sur les méthodes d’évaluation telles que l’autoévaluation et l’évaluation entre pairs.

Outre les effets bénéfiques sur les apprentissages, le portfolio permet une meilleure communication entre l’apprenant, l’enseignant et ses parents. Il offre un outil visuel permettant aux familles d’observer l’évolution de leurs enfants et a des effets positifs sur le climat scolaire.

En misant sur une pédagogie qui permet à chaque élève de progresser à son rythme et d’aller le plus loin possible dans l’acquisition des compétences et des savoirs, nous avons fait le choix d’un enseignement axé sur l’accueil, le bienêtre et l’estime de soi. Mais si l’on veut aller loin, il est primordial d’instaurer un cadre d’écoute et de confiance, des espaces de paroles régulés. C’est pour cette raison que nous sommes engagés comme École citoyenne , convaincus que la pédagogie institutionnelle est complémentaire à toute pédagogie. Donner la parole aux enfants c’est bien, la gérer c’est mieux ! Et cela permet aux enfants moins à l’aise avec les apprentissages scolaires d’exercer d’autres talents que ceux développés par l’école.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 A. Forget, Penser la différenciation pédagogique, 2018.
2 Voir l’article de M. Masil : « Construire du commun pour apprendre », TRACeS 230