Mon école est à Nous

Suite à des actes de vandalisme répétés au sein d’une école bruxelloise et aux alentours, un Comité (travailleurs sociaux, pédagogues, directeurs d’école, travailleurs de rue, ouvriers communaux) se réunit  pour élaborer un projet. L’objectif principal est de donner une place aux élèves, en repensant et en rénovant leurs locaux.

C’est dans ce contexte que Clotilde Salvo, artiste de formation, met les pieds, les mains, la tête et le cœur dans ce qui deviendra le projet « Mon école est à Nous ».
Un premier trimestre autour de la réparation des toilettes, quasi inexistantes dans l’école, avec les élèves de rhéto, servira d’essai à la mise en place progressive de ce vaste projet. L’idée de fond est d’impliquer les élèves dans la rénovation afin qu’ils respectent leur propre travail. À cela s’ajoute une découverte de différents modes d’expression artistique. De plus, mener un projet de manière collective sera, inévitablement, l’objet d’un apprentissage sur la vie en groupe, les places de chacun, la façon de prendre des décisions.

Des toilettes

Concrètement, une journée entière par semaine est consacrée au projet. La matinée est axée sur la rénovation, l’après-midi se centre sur une démarche artistique. Clotilde anime des ateliers de percussion, mais assez vite, elle constate que les jeunes se plaignent d’être en position passive d’apprentissage. « Nous on veut faire du rap. » Ils semblent effectivement avoir des choses à dire ! Elle les invite alors à trouver une « instru » sur laquelle ils peuvent réciter leurs textes. Les après-midi deviennent alors le temps de la réalisation d’un CD, en collaboration avec une preneuse de son. Un travail délicat, en termes de communication, puisqu’au départ les paroles contiennent des « Ta mère, t’as pas envie de nous écouter ! » adressés à la direction. Un travail progressif, alliant musique et paroles, aboutit alors à un CD dont les élèves créent la pochette.
À l’issue de cette première expérience, Clotilde ne se sent pas assez solide au niveau de la gestion du groupe. Elle décide de se former en communication non violente, avec une spécialisation liée au milieu scolaire.
Elle utilise un premier outil qui invite à partir des besoins de chaque être humain et constate, rapidement, une différence. Par exemple, il est plus facile de faire parler les élèves de leurs cultures et des différentes manières de les faire vivre, de leurs particularités, et des besoins auxquels elles répondent. Les élèves vont alors se rassembler autour de ce qui fait sens pour eux, plutôt que de se diviser sur les différences de pratiques.
Le deuxième outil qu’elle utilise est celui des sentiments : la joie, la peur, la colère, la tristesse. « Les sentiments, c’est l’arme des ados. À la fois contre eux-mêmes, car ils peuvent être envahis par ceux-ci, à la fois ils peuvent te les renvoyer sans savoir où ça va tomber ni ce qu’on va en faire. Les émotions sont des signaux d’alarme liés à un besoin spécifique ».
Ils reprennent une situation du groupe à partir d’une insulte : « Ta mère ! » Le groupe se crée alors deux personnages d’identification. L’image du chacal qui agit dans l’urgence, sans réfléchir, de façon brusque et dans la peur. Et l’image de la girafe qui voit les choses venir de loin, qui a le temps de réfléchir, d’en parler avec douceur. Du haut de leurs 18 ans, les jeunes s’approprient ces images et les utilisent soit pour se féliciter en fin d’atelier : « T’as fait la girafe aujourd’hui » ou pour reprendre une situation conflictuelle : « Ça va chacal ! »
Son deuxième projet se met en place avec une 3e professionnelle, au sein d’une école à discrimination positive, un jour par semaine, de 8 h à 16 h, repas compris sur le temps de midi. Cette fois-ci, Clotilde sépare le projet en deux parties.

Aux débats

La première partie dure huit séances (le premier trimestre) et s’axe sur une réflexion à partir de différents thèmes et médias artistiques. La deuxième partie est axée sur la rénovation d’un local, se basant sur les apprentissages faits lors des huit séances.
Lors de la phase I, la matinée est axée sur un travail d’écriture, sur des débats ou sur le visionnage d’un film ; l’après-midi est axé sur le dessin, la sculpture. Un des thèmes abordés fut « Échec à l’échec », avec la réalisation d’un jeu d’échecs et un questionnement sur les places à prendre dans l’échiquier : sommes-nous toujours un pion ou un roi ? Les jeunes développent une réflexion sur les différentes positions au sein de la société : « Cela dépend du contexte dans lequel on est, parfois à l’école on est le fou et dans la rue, un roi. », « Ce n’est pas parce qu’on rate à l’école qu’on est d’office un pion. » Certains sont en option carrosserie, ils vont travailler le métal, au sein du projet, et réaliser les pièces du jeu d’échecs.
La classe aborde la question du racisme en reprenant certaines situations du film « Gran Torino » et en travaillant dessus, à partir de la communication non violente, afin de déceler les besoins et les sentiments qui s’y rapportent. Comment aurait-on pu enrayer ces dynamiques et fonctionner autrement ? Comment prendre de la distance ? Est-ce toujours possible ?
La deuxième phase va permettre alors d’appliquer, sur le chantier, tout ce que les élèves ont emmagasiné. Retenir un peu ses pulsions de violence, assurer le besoin de sécurité de chacun, anticiper le travail en groupe, penser aux places de chacun. Chaque situation conflictuelle est l’occasion de reprendre les outils utilisés auparavant, nous dit Clothilde : « Si on se crie dessus pour des outils à se partager, j’arrête le groupe. “Stop, on a un problème, comment on va agir ici ?” À chaque situation conflictuelle, on reparle des sentiments et des besoins en essayant de se raconter l’histoire de façon objective. “Cet enfoiré de connard” ce n’est pas objectif, revenons à la description de ce qui vient de se jouer pour l’un et pour l’autre : “Il y a x qui vient marcher à chaque fois sur ton travail en rigolant”, que ressens-tu ? “De la colère, j’vais l’tuer ce connard”. Aïe, on repasse au subjectif ».
Ils travaillent alors tout le processus, jusqu’à un accord sur le déroulement des faits :
X marche sur le travail d’Y ;
Y se sent agressé et monte dans la colère, il a un besoin de reconnaissance de ce qu’il est en train de faire ;
« X, tu contournes l’endroit où il travaille, ne marche pas dessus. Pourquoi as-tu envie de détruire le travail d’Y ? Pour le moment ce que tu dois faire ne te plait pas ?
Si, mais pas durant 4 h.
OK, alors fais-le durant 10 minutes et puis on fera le point. Dix minutes après : alors tu continues ou tu veux faire autre chose ?
Non ça, va, je continue. »
Au sein de la deuxième phase, ils fonctionnent réellement comme sur un chantier. Le matin, ils commencent par dire ce qu’il y a à faire : « Aujourd’hui on doit tapisser deux murs, peindre deux plinthes, finir de poncer la porte à l’extérieur. » « Qui fait quoi ? » Et chacun prend son rôle. Ils ne sortent pas de l’école tant qu’ils n’ont pas terminé leur mission de la journée, et s’ils arrivent à finir avant, ils peuvent partir un quart d’heure plus tôt. Du coup, certains se donnent à fond. « Par contre, si c’est la foire, tant pis, on va jusqu’au bout. On reste jusque 17 ou 18 heures. La fois d’après, ça se passe autrement ».

Du snack

Le temps de midi fait partie intégrante du projet : ils mangent ensemble et deviennent connus au snack du coin ! « Ce sont les jeunes avec qui je retape les locaux de l’école ». Cela leur donne une image différente de celle à laquelle ils sont habituellement associés.
Le projet se termine la dernière semaine de mai, juste avant les révisions. L’ensemble du projet va être inauguré, pas seulement les locaux rénovés. Par exemple, une des classes a décidé de rénover l’atelier carrosserie. Les œuvres créées, dans la première phase, sont des silhouettes de voitures qui ont traversé la période de 1920 à nos jours : les élèves les ont installées tout autour du local. Tous les intervenants qui sont liés, de près ou de loin, au projet sont invités au moment de l’inauguration : échevins, organismes financiers, professeurs, parents, élèves. Un apéritif est installé sur les tables et un discours sur leur investissement est adressé aux élèves.
Par la suite, Clothilde se retrouve juste avec les élèves. Ils vont chercher des pizzas dans le quartier et préparent la classe pour manger ensemble. C’est un moment important. Chacun reçoit une lettre de Clotilde qui reprend les points positifs de leur investissement, qui valorise leur spécificité, quelque chose que le jeune a déployé durant cette année, au sein du projet, et sur lequel il pourra s’appuyer, par la suite. De plus, chacun reçoit un abonnement de cinq séances de cinéma pour l’été.

Aux liens

Le retour des élèves est positif. Ils portent le projet vis-à-vis des élèves qui vont le vivre à leur tour : « Tu vas voir, c’est un chouette projet ». Les anciens prennent du plaisir à réutiliser les termes de chacal et de girafe entre eux. Ils se sentent également concernés par les projets des années suivantes, ils passent leur tête par la porte, pour venir voir ce qui se trame cette année. Pour certains élèves, ce projet les a amenés à une réorientation, car ils ont découvert des matériaux qu’ils ont appréciés. Plâtrer, peindre, travailler du métal et du bois, faire de l’électricité, mais aussi pouvoir s’exprimer clairement, aimablement, et vivre en groupe, voici les outils avec lesquels ces jeunes repartent et qui leur serviront, peu importe leur trajectoire.