Prof depuis quatre ans, je baignais dans des groupes de réflexion sur et autour de l’École, avec Le Grain, CGé et Hypothèse d’école… Mon fils, assurément, aurait le meilleur enseignement possible.
Mon choix d’école se porta naturellement sur une école Freinet suivie d’un collège dans la même lignée. Un parcours de rêve qui permet aux enfants de s’épanouir au mieux, en apprenant à leur rythme et sans vivre la rupture du primaire au secondaire. Une école secondaire qui accompagne les enfants issus de l’enseignement Freinet sans les casser…
Mais, dès sa deuxième année primaire, le couperet tombe : Émile préfère jouer, il n’est pas intéressé par l’école et il devrait recommencer son année. Avais-je bien compris ? Aurais-je dû le changer d’école et suivre l’avis de ceux qui me conseillaient un enseignement plus structuré ? Il recommença son année, mais, par la suite, ça ne fut pas mieux. En troisième, puis en quatrième, mon fils avait continuellement des remarques négatives de ses professeurs, avec la menace d’un deuxième redoublement. Pour moi, c’était hors de question. J’ai fait appel à une logopède et décidé de l’inscrire dans une école normale, dans le communal. Pour être normale, elle l’était ! Fidèle à tout ce à quoi je ne croyais pas. Mais, il a obtenu son Ceb.
Ensuite, c’est l’école secondaire du coin qui a été choisie. Les choses sérieuses s’annonçaient : le premier degré qui n’était pas encore à certification unique, des profs sympas (qui savaient que j’étais prof) et une disponibilité éprouvante pour accompagner Émile tout au long de ses deux premières années avec un contrôle quotidien du journal de classe, une présence assidue à ses côtés pour les leçons et les devoirs.
Émile termina son premier degré et obtint une attestation B qui lui fermait les portes du général, mais lui laissait l’accès au technique de transition. C’était évidemment dans les cours généraux qu’il avait des difficultés. Des choix d’options successifs l’amenèrent dans différentes écoles de différents réseaux. L’art, puis le sport, l’ont fait passer de l’officiel organisé, à l’officiel subventionné, pour aboutir au libre subventionné, en internat, sur les traces de son grand frère ! En deux ans, il termina son deuxième degré technique de transition, avec une attestation C.
Ça recommençait… Le désespoir m’atteignait. Que faire ? En tous cas, Émile n’était pas intéressé par l’école. Il fallait écouter ses intérêts, ce qu’il souhaitait devenir ! Son grand-père était artisan horloger. Au bout de plusieurs heures de discussion, c’était devenu son projet… Avec certitude, il voulait devenir horloger.
Un an plus tard, je me retrouvais devant les profs de son école — une autre, bien sûr ! – pour apprendre qu’il avait raté sa quatrième professionnelle.
Un mois plus tard, il allait avoir ses dix-huit ans. Tout le monde était bien d’accord pour dire qu’il était doué, mais qu’il n’en avait rien à battre de l’école. Alors ? Lui faire recommencer une quatrième professionnelle suivie d’un troisième degré, puis d’une septième pour obtenir le Cess ? Mon cœur s’emballait : et si cela n’allait pas mieux l’année suivante ? Non, ce n’était pas possible. L’envoyer travailler dès le mois de septembre, sans aucun acquis ou diplôme ? Difficile pour moi qui pensais que l’école, même si elle était sclérosée, restait un passage obligé pour devenir un citoyen à part entière. Me faire violence et accepter qu’il puisse ne pas terminer l’école secondaire ? Lui dire que soit il se débrouillait pour rassembler la somme nécessaire à une année d’études et me la déposait sur la table, soit il allait travailler ?
J’ai appelé un ami qui a accepté de rencontrer mon fils, sans moi, pour tenter d’ouvrir des portes. Quinze jours plus tard, Émile a négocié avec moi une inscription au Cefa1, en maçonnerie-coffrage. Cela allait à l’encontre de toutes mes idées, mais tant pis, j’ai dit oui.
Et, ça a marché ! Ni le rythme des chantiers ni leur ambiance ne l’ont arrêté. D’une grande entreprise, il est passé à une petite entreprise familiale, puis à l’évènementiel pour construire, monter et démonter des décors.
Aujourd’hui, Émile a quarante-deux ans, il travaille toujours dans l’évènementiel et y est heureux.