Ne bradez pas la formation initiale des enseignants !

Dans le cadre du Pacte d’excellence, le gouvernement de la FWB devrait bientôt approuver le projet de réforme de la formation initiale des enseignants. Or, les principes de départ ont été vidés de leur substance.

Une lettre ouverte de plus d’une centaine de signataires formateurs d’enseignants, syndicalistes et du secteur associatif (*).

Dans le cadre de ce gigantesque chantier systémique qu’est le Pacte pour un enseignement d’excellence, le gouvernement de la FWB devrait bientôt approuver le projet de réforme de la formation initiale des enseignants (RFIE). Du très ambitieux projet initié en 2011 (!) à partir d’une évaluation de cette formation [1]Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en FWB par le Centre d’études sociologiques des FUSL. et poursuivi par un groupe interuniversités et hautes écoles (le GT4O), il ne reste aujourd’hui pratiquement plus… rien ! Ni des recommandations du rapport d’études, ni des propositions du GT4O.

Or cette RFIE est un des leviers essentiels de la réussite des réformes en cours. Il s’agit de mieux former les enseignants en FWB afin de répondre aux défis du Pacte : réalisation du Tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire, respect des nouveaux référentiels, logique de formation plus que de sélection, réduction des très fortes inégalités socioscolaires, participation au pilotage de son établissement, revalorisation du métier pour la stabilité des équipes et la lutte contre la pénurie…

La RFIE est donc une des pièces maîtresse d’un puzzle qui, sans elle, est voué à l’échec. Si le projet actuel reprend bien formellement les principes de départ, ils sont cependant vidés de leur substance.

Mastérisation

Des 5 ans, il reste 3 ans et demi ! Ce n’est plus un master. Il devient impossible de passer du niveau 6 au niveau 7, en référence au Cadre européen des certifications [2]Le CEC comporte huit niveaux différents permettant d’évaluer l’ensemble des enseignements et des formations dispensées.. En effet, comment, dans ces conditions, conjointement, actualiser et accroître les connaissances et les compétences des étudiants, s’appuyer sur les recherches et connaissances scientifiques disponibles, renforcer les situations d’enseignement qui permettent de travailler en approche collaborative, donner plus de place à l’innovation pédagogique, à l’interdisciplinarité et à la recherche, favoriser un renversement de posture éducative, former de véritables acteurs de changement dans le sens du Pacte ?
Professionnalisation

Elle passe par une pratique réflexive qui, d’une part articule expérimentations et théorisations, et d’autre part, mobilisation intégrée des différents savoirs utiles à la pratique. L’approche professionnalisante qui faisait la force du travail en haute école (HE) où on n’apprenait pas les maths avant de les enseigner, mais où, en même temps, on apprenait les maths et on les enseignait tout en se demandant comment on les apprend et comment on les enseigne, chaque situation donnant du sens aux autres, cette approche simultanée n’est plus possible puisque le projet concentre la pratique en 4e année pour pallier la pénurie des enseignants.
Émancipation

La formation à ce nouveau métier qu’exige le Pacte devrait prioritairement être centrée sur un travail de “ruptures”. Rupture avec les représentations que l’on a de sa propre scolarité : ne pas seulement étudier des syllabus pour l’examen mais s’impliquer subjectivement et s’engager personnellement dans un processus de (trans) formation à une pratique professionnelle. Rupture par rapport à la fonction que l’on croit être celle de l’école : dénoncer la reproduction sociale des inégalités et donner la priorité aux apprentissages de tous. Rupture par rapport à l’exercice du métier : refuser l’isolement dans la classe et s’engager dans des projets collectifs d’amélioration de l’institution. Pour cela, il est nécessaire de vivre ces ruptures en formation, ce que le temps réduit et l’organisation des études ne permettront pas.
Co-diplomation

Les équilibres de crédits concernant la co-diplomation entre hautes écoles (HE) et universités ont été revus à la baisse. La collaboration risque de tourner à une logique de comptage de crédits et non plus à une complémentarité dans les apports mutuels. On assiste davantage à un renforcement des spécificités des uns et des autres : cours “théoriques” en auditoire à l’université et cours “pratiques” en HE ? De quelle unicité du métier parle-t-on encore ?
Insertion professionnelle

Le projet crée un nouveau “statut” d’étudiant-enseignant avec 20 crédits de stage prestés en tant que charge professionnelle en dernière année de formation. L’étudiant en stage sera sous contrat de travail. Outre un temps de formation raboté, cela va créer une confusion entre formation initiale, accompagnement à l’entrée dans le métier et formation continuée. Ne risque-t-il pas d’y avoir confusion et incompatibilité entre objectifs de formation et demandes des employeurs, entre réponse à la pénurie et accompagnement à l’entrée dans le métier, entre statuts d’étudiant évalué et de travailleur rémunéré… ? Cette formule magique d’étudiant enseignant ne va certainement pas résoudre tous les problèmes à la fois : formation, accompagnement, insertion, pénurie… Elle risque au contraire de les aggraver tous.
Pénurie

Ce projet répond principalement à une double pénurie : pénurie de moyens financiers en FWB et pénurie d’enseignants à l’école. Cela ne peut conduire qu’à sa propre déficience. En matière de pénurie d’enseignants, la formation n’en porte aucune responsabilité. Elle fournit suffisamment de candidats. Et contrairement à ce qui se dit, ce n’est pas un manque de formation pratique qui conduit à l’abandon de la profession, mais bien les conditions d’exercice du métier pour les novices. Si on veut répondre à la pénurie, c’est bien sur ces conditions d’exercice du métier, avec un véritable accompagnement en début de carrière, et sur la revalorisation de la profession qu’il faut agir.
Excellence ?

Il en est de même pour les conditions d’exercice du métier des formateurs d’enseignants. Depuis dix ans, ils ont connu le décret paysage, un décret RFIE en 2019 deux fois reporté et finalement réécrit, et deux ans de covid. Ils sont épuisés à force de faire et de défaire, avec toujours plus d’étudiants et une enveloppe toujours fermée. Ils ne croient plus en cette réforme et gardent le souci de bien exercer leur métier sans avoir la force de s’intéresser à ce qui se prépare. Dans ces conditions, nous craignons que la qualité de la formation en pâtisse gravement avec des conséquences néfastes à la réussite du pacte d’excellence.
Exigences

Nous, formateurs d’enseignants, syndicats enseignants, organisations représentatives des parents et associations de parents, associations éducatives et pédagogiques en appelons à la ministre de la FWB en charge de l’enseignement supérieur et à tous les ministres de la FWB, car tous ont pris conjointement l’engagement de mener à bien le Pacte.
Nous demandons :

• que les moyens budgétaires de la réforme soient adaptés à ses ambitions, la pandémie a démontré ce que nous savions déjà, l’orthodoxie budgétaire est très relative, on finance ce qu’on trouve indispensable ;
• que la durée de la formation soit réellement prolongée afin de permettre l’atteinte du niveau 7 de certification indispensable au renforcement des connaissances et des compétences des futurs enseignants ;

• que l’approche simultanée théorie-pratique soit rendue possible tout au long de la formation par une révision des crédits accordés à la formation par la pratique et de leur répartition sur les années de formation ;

• le retrait du dispositif de charge professionnelle qui instrumentalise la réforme au service de la lutte à court terme contre la pénurie d’enseignant au détriment de la qualité de leur formation initiale ;

• du temps de travail et du pouvoir d’agir pour renouer avec le métier de formateur et avec les étudiants et pour s’approprier les enjeux du Pacte et rencontrer les ambitions de départ.

Mesdames et Messieurs du gouvernement, si vous passez outre l’avis unanime du secteur, vous porterez la responsabilité de l’échec du Pacte !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en FWB par le Centre d’études sociologiques des FUSL.
2 Le CEC comporte huit niveaux différents permettant d’évaluer l’ensemble des enseignements et des formations dispensées.