Ne pas louper la marche…

305 pages, qu’il fait, le projet d’avis n° 3 du groupe central du « Pacte pour un enseignement d’excellence ». C’est du lourd : 958 grammes exactement !

Fébrilement, je l’ouvre, le triture, lis l’introduction, la synthèse des 5 axes stratégiques et fonce voir la table des matières : non, ça n’y est pas.
Ce coche-là, ils l’auraient raté ? Et pourtant, il est capital pour que tous puissent apprendre, y compris les enfants de milieux populaires.
C’est une des choses sur lesquelles la coalition de parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent a insisté en rencontrant la ministre et rien ne semble en avoir été fait.
Par contre, il y a un OVNI dont on n’avait pas vraiment parlé dans le Pacte : le dispositif « remédiation – consolidation – dépassement ». Il nous inquiète, car annoncé comme dispositif organisationnel de la gestion de la diversité, il conforte notre impression : il signe le fait que la question pédagogique de « pourquoi les enfants de milieux populaires n’entrent pas dans les apprentissages » et ce qu’il faudrait faire pour qu’ils y entrent est passée au bleu (pas comprise ou pas voulue ?). L’angle d’attaque qui est adopté nous parait une erreur : l’idée que les enfants de milieux populaires ont un handicap qu’il faut combler et donc, que pour réduire les inégalités, il faut faire de la remédiation !

D’abord enseigner autrement avant de parler de remédiation !

Il faut d’abord enseigner autrement et il y aura beaucoup moins besoin de remédiation.
Enseigner autrement, c’est :
tenir compte du fait que ce qui crée et renforce les inégalités scolaires, c’est la question du rapport au savoir et à l’école qui diffère en fonction des origines sociales des enfants : il y a ceux qui partagent les évidences scolaires et mobilisent spontanément les bonnes postures intellectuelles — une grosse partie des enfants de familles favorisées — et les autres — une grosse partie des enfants de familles pauvres ;
considérer donc que l’élève « normal » est celui qui a besoin de transformer ses façons de raisonner en s’appropriant l’attitude intellectuelle requise à l’école et propre à la culture écrite. Et la question du cadrage de l’activité intellectuelle et de l’explicitation des attendus doit être pensée systématiquement par les enseignants ;
créer une culture commune (en termes de contenu et de vécu) dans la classe dès la première maternelle — sans se reposer sur les apports du domicile, car ils sont discriminants — et partir de cette culture commune pour proposer les situations d’apprentissage ;
Donc, prendre conscience qu’il faut que l’école enseigne ce qu’elle exige et le faire : transmettre à chacun ce qui est exigé de tous dans la scolarité unique, quitte à ce que, dans cette hypothèse, les enfants de familles cultivées révisent.
Tant que notre système scolaire n’aura pas compris, admis et digéré ces réalités, il s’obstinera dans le développement de pédagogies censées s’adapter au « handicap » des enfants de milieux populaires. Adaptation et indifférence aux différences étant, selon Stéphane Bonnery, les deux facettes de la même idéologie sélective : les façons d’enseigner dans les classes ordinaires étant constituées d’un mélange non pensé de ces 2 logiques : d’un côté les pratiques « pour tous », indifférentes aux différences (reposant sur le modèle « élève brillant cultivé ») et de l’autre, des pratiques pensées comme adaptées — parce que portant une attention particulariste aux différences — qui enferment les élèves concernés dans des attitudes de conformité, avec un cadrage très étroit de l’activité intellectuelle sur des tâches dissociées des savoirs. Les enseignants développent des pratiques qui modulent les exigences en pensant bien faire ou faute de savoir faire autrement. Mais ils répondent aussi aux politiques officielles qui encouragent l’adaptation : elle dispense l’institution de penser comment enseigner d’une manière qui permette à tous d’apprendre.
En synthèse : si la façon de faire apprendre change et tient compte des approches des milieux populaires — autres que celles des classes moyennes et supérieures —, il n’y a donc pas lieu d’insister tellement sur la remédiation qui est une 2e étape, prévue pour les élèves qui ne seraient pas entrés ou trop peu entrés dans les apprentissages. C’est d’abord la première étape, celle du moment collectif d’apprendre qui est à transformer.

Et utiliser autrement
les moyens de l’encadrement différencié

Au moment où le groupe de travail du Pacte « Réduire les inégalités » clôturait ses travaux, CGé était plus que perplexe : nous pensions que, outre l’évidence d’un Indice Socio-Économique individuel qui est bien retenu dans les propositions de l’avis n° 3, le restant des mesures proposées revenait à faire « un peu plus de la même chose » et ne changerait rien fondamentalement.
Dans l’intervalle, Nico Hirtt nous a rappelé l’existence d’une enquête étonnante de par son ampleur et ses résultats — l’enquête STAR —, qui indique, on ne peut plus clairement, les effets positifs sur la réussite scolaire, provoqués par la réduction significative du nombre d’élèves par classe durant les premières années de la scolarité.
Cette piste intéressante — qui va totalement à l’encontre de ce qu’on nous affirme depuis 15 ans, à savoir que la politique de réduction des tailles des classes n’est pas efficace — a donc été proposée par la coalition à la ministre le 8 septembre.
Visiblement, rien n’en a été retenu.
Faudra qu’on nous explique !
C’est tout pour aujourd’hui.