Une classe de 1re A. Des cours de français à la force du poignet, avec des élèves en difficulté et en refus. Intéressées par la langue seulement pour dire, se dire.
Peu intéressées par une plongée dans des écrits, encore moins par l’arrêt sur le fonctionnement de la langue. Se concentrer pendant 20 minutes d’affilée est un record. S’organiser n’est pas simple non plus. Je me trouve prise dans une lutte sans relâche pour transformer des pans de barbarie anarchique ou nonchalante en organisation collective d’apprentissages. Dur, dur. Pourtant, du potentiel, il y en a.
Le sujet des cours
Je suis titulaire de cette classe. Toutes les collègues s’en plaignent sauf le prof de gym qui les dit organisées, motivées, dynamiques. Ah bon !
Un tournoi de net interclasses est en cours et cette 1re A gagne jusqu’ici chaque match. Quand je les ai en classe, c’est devenu LE sujet de conversation (et vice versa !). Elles espèrent bien être les gagnantes de l’école qui vont jouer contre les profs. Si je les laisse faire, elles affinent leurs stratégies pendant mon cours et se lancent des « toi, tu feras moins ceci, plus cela et ne te colle pas le ballon contre les seins et ouvre les mains… » Quand j’annonce que « bon, français maintenant », c’est bof !
Cette fois-là, je glisse, presque timide « est-ce que je pourrais venir vous voir jouer un de ces matchs ? » Un « oh oui » direct et claquant puis… « tous les matchs si vous voulez. On va tous les gagner ! »
J’avais vraiment envie de les voir « organisées, motivées et dynamiques ». Je leur avoue que je ne connais plus bien les règles. Elles se mettent à me les expliquer dans le désordre et toutes en même temps. Je leur demande si elles ne peuvent pas me les écrire pour que je puisse relire avant le match et mieux suivre.
Daniella – d’habitude rien à cirer à part le soin omniprésent de son look avec force étalage de trousse et autres – propose que les unes écrivent par rapport au filet, les autres par rapport au corps et d’autres pour le déroulement : tourner, smasher, servir.
Grand calme pendant 15 minutes à part l’une ou l’autre demande à propos d’orthographe. Puis, effervescence orchestrée par Daniella pour réunir le tout. Au bout de l’heure, j’ai reçu un règlement bien écrit. « Vous pouvez montrer au prof de gym, elle vous dira que c’est juste ! » Ce que j’ai fait. Le dit prof était épaté. Moi aussi.
Supporter
C’est ainsi qu’elles me nomment. Et passer de les supporter à être supporter, ça change tout ! Avant le match, fières et concentrées, quelques-unes me conduisent à une place sur un banc d’où « je verrais le mieux tout le monde et si l’arbitre ne se trompe pas ».
Émue que j’étais ! Les voir avec une telle maitrise… tant d’attention.
Interrogative aussi : qu’est-ce qui fait qu’en classe, pour d’autres cours, ce soit si difficile de s’y mettre ? Comme je n’en sais trop rien à part ce que je pressens d’histoire scolaire, de représentations et d’histoire tout court, je décide de leur écrire mes impressions d’après match, me disant que ce sera plus fort que quelques mots vite dits. Je leur écris surtout mon admiration. Réelle. Comme je ne les revoyais que 5 jours plus tard, je dépose mes mots, en fin de journée, à la place de chacune.
Quand je les retrouve, c’est un feu d’artifice de « mots du net ». Et des « vous pensiez pas qu’on était si bonnes hein ! Et vous avez aimé hein ! » On se prend un peu le temps du plaisir de la satisfaction. Puis, n’ayant pas encore trouvé comment les accrocher au cours de français pour qu’il soit autre chose que de la routine subie ou de la lutte permanente, je leur demande à brule-pourpoint comment on pourrait gagner en français (je n’avais rien trouvé d’autre et c’était vraiment ma question).
« Ben on n’a qu’à faire des matchs interclasses ! »
« Ben on fait 1-2-3 ! Vous avez entendu hein : nous on compte toujours tout haut pour être sures de ne pas avoir plus de 3 passes avant de lancer la balle. Et ça fait comme un rythme » crie Tanya en tapant sur son banc.
« Mais qu’est-ce que tu veux faire avec ça en français, connasse ! ? »
« Ben chai pas moi, demande à la prof. »
Je rebondis comme je peux : « La prof va réfléchir et en attendant on fait les trois groupes prévus pour les sujets de la revue. »
L’objet « ballon »
Faire des cours en 1-2-3, selon un rythme ! Bien tenir le ballon (lequel par exemple en français ?), faire des passes, envoyer le ballon à d’autres, matchs interclasses… quelle inspiration cela pourrait-il me donner pour le cours de français ?
Je voulais (re)voir avec elles des notions à maitriser pour s’approprier des phrases écrites et/ou pour des motifs orthographiques : les notions d’objet et de sujet qu’elles mélangeaient et repéraient mal dès qu’un texte, une phrase étaient plus complexes ou se construisaient autrement que l’habituel sujet, verbe, complément.
Je me suis mise alors à imaginer un dispositif qui tenterait de prendre en compte passes, interclasses, « ballon » comme objet-contenu à maitriser.
Et ce faisant, je me disais : « Mais est-ce que je ne suis pas occupée à être seulement une doreuse de pilule démago ? Est-ce que c’est bien sérieux ?
Seulement un changement d’emballage ? Ne marcheraient-elles qu’à l’emballage ? »
Tant pis, j’ai risqué. Et expérience faite, j’en garde comme précieux quelque chose de plus que l’emballage, quelque chose du contenu. À savoir, mon changement de regard à partir de ma présence aux matchs de net, les apports du prof de gym entraineur devenu phare pour ces élèves, la prise en compte d’un lieu, d’une activité où elles étaient en réussite et puis, l’activité débordante à l’intérieur du dispositif proposé, la maitrise neuve des notions revues et une fierté… pour français aussi.
Voir aussi Langue Ball
