Organiser et inscrire dans la durée

Quand on parle d’institutions en Pédagogie Institutionnelle, de quoi s’agit-il ?

Le coin-magnétophone

Dans une classe élémentaire, le maitre a installé un poste d’écoute autour d’un magnétophone. Y ont été déposées des cassettes enregistrées (contes, histoires, musiques du monde…) et des cassettes vierges pour y effectuer des enregistrements, s’entrainer à la lecture à voix haute, raconter des histoires…
À quelles conditions cette organisation pédagogique sera t-elle une institution de la classe ? Qu’est-ce qui est nécessaire pour que cet outil ou cette organisation pédagogique soit utile à tous, à chacun, à la classe et pas seulement un objet du maitre renforçant son pouvoir d’enseigner ? Très vite des fonctionnements perturbateurs vont se produire : coin en désordre le soir, bousculades pour l’utilisation, priorité aux plus rapides ou aux plus forts, conflits.
C’est la manière dont seront gérées ces perturbations inévitables dans un groupe d’enfants (et d’adultes) qui feront que cette organisation sera ou non une institution. Car elle peut participer pleinement d’une pédagogie transmissive et autoritaire, malgré son apparente modernité, si le maitre de cette classe assortit la mise en place de « son » objet d’un règlement n’émanant que de lui et s’emploie à le faire respecter. Ce qui transformera le coin magnétophone en institution, c’est le fait qu’existe dans la classe un lieu de parole institué, la Réunion de classe ou Conseil où les difficultés pourront être parlées ensemble, où des solutions pourront être recherchées et décidées et où les organisations provisoires (et évolutives car elles pourront, Conseil après Conseil, être remises en chantier et aménagées) permettront que le coin magnétophone devienne authentiquement l’objet de toute la classe, par les occasions multiples d’échanges qu’il permettra, et non pas seulement l’objet du maitre.

Les crayons-feutres en maternelle

Dans une classe d’école maternelle, des feutres sont mis à disposition des enfants. Après huit jours de classe, malgré les recommandations de la maitresse, les feutres ne sont pas rangés et trainent par terre, ne sont pas rebouchés, sont mordillés, écrasés.
La maitresse peut les ranger, les reboucher, les remplacer inlassablement. Elle peut également faire des reproches, accuser, punir. Elle peut les supprimer, en priver les enfants et affaiblir ses pratiques pédagogiques en appauvrissant le matériel et les outils utilisés dans la classe.
Elle peut aussi mettre cette question à l’ordre du jour de la Réunion de fin de journée, permettre que ce problème y soit parlé et que soient recherchées des solutions. Les enfants s’entendent alors signifier par leurs pairs et non plus seulement par la maitresse : « Il faut reboucher, ranger, ne pas manger… les feutres. » Des mini-organisations (ranger les feutres sur telle étagère, prévoir une boite pour chaque groupe, se trouver un responsable, etc.) peuvent être décidées et voir le jour. Avec un lieu spécifique – la Réunion de la classe – pour y revenir, en reparler, essayer des améliorations, décider des changements.
L’organisation qui naitra du traitement (au cours du Conseil) de la question des feutres sera une institution de la classe.
Le statut de la maitresse en est changé, elle n’est plus « bonne mère » nourricière, ni « mauvaise mère » répressive. Elle est responsable du groupe au sein duquel elle remet en jeu une partie de son pouvoir dans une instance, le Conseil, qui aura à parler et travailler pour trouver des solutions aux difficultés rencontrées par tout groupe humain (quels que soient l’âge et les possibilités intellectuelles et sociales de ses membres).
Ainsi la socialisation s’opère-t-elle ; non pas de manière coercitive, par l’inculcation forcée de règles et d’habitudes mais par le fait d’un vivre ensemble parlé et donc travaillé en commun. Toute technique, tout matériel, toute organisation devient une institution de la classe si cette technique, ce matériel deviennent source d’échanges, d’organisation parce que les enfants ont « leur mot à dire », ont voix au chapitre, dans l’organisation de leur vie scolaire et groupale.

La parole, vecteur primordial

Car la Pédagogie Institutionnelle institue l’obligation implicite d’ « une juste réciprocité dans les multiples échanges qui se font à l’intérieur même de la classe »[1]F. Oury, A. Vasquez, Vers une pédagogie institutionnelle ?, Éditions Matrice, 1991 (réédition). et vise à médiatiser les face-à-face aliénants que génère la pédagogie traditionnelle. Les institutions du groupe-classe permettent à l’échange de se déployer tout en gérant les conflits inévitables qui « non résolus, interdisent à la fois l’activité commune et le développement affectif et intellectuel des participants. »[2]Idem
Elles sont l’ensemble des organisations sur lesquelles le groupe-classe (le maitre et les élèves, ensemble) ont prise. Elles se déploient sur l’organisation temporelle, spatiale, matérielle et relationnelle de la vie de la classe. Un lieu spécifique, le Conseil, institué par le maitre, est l’institution primordiale et indispensable, véritable « clé de voute » de la classe institutionnelle. Les institutions y naitront, y seront travaillées et pourront y évoluer pour permettre le travail et les progrès de tous et de chacun. Car il sera surtout le lieu où l’angoisse inhérente aux échanges, inévitablement source de conflits, pourra être parlée de façon médiatisée (au sujet de…), jusqu’à en faire non pas un frein mais une source d’énergie pour les apprentissages.
Les institutions de la classe permettent et sont la condition de l’engagement personnel, de la possibilité d’initiative, de la prise de responsabilité, de l’exercice de la liberté de jugement et de choix de chacun dans une vie de groupe qui s’inscrit dans la durée.
Toutes les institutions de la classe pourront et devront être parlées, car la parole dans la classe est la première et indispensable condition de la loi de l’échange réciproque. Le vecteur essentiel de l’organisation d’un espace instituant est cette parole mise en scène, ritualisée, organisée. La parole de chacun, considéré comme un sujet, devient alors possible, non seulement tolérée mais organisée de façon à être entendue par tous les partenaires et destinée à l’exercice d’un pouvoir réel : un pouvoir partagé où les élèves ne subissent pas le désir du maitre mais où s’organise une coopération, c’est-à-dire une mise en commun des pouvoirs, des désirs, des projets, des savoirs, des possibilités et des compétences de chacun. Irène LABORDE

Documents joints

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 F. Oury, A. Vasquez, Vers une pédagogie institutionnelle ?, Éditions Matrice, 1991 (réédition).
2 Idem