Osons l’intelligence des convictions


« Je suis Charlie » a accéléré le processus de « dé-tricotage » des compromis institutionnels autour des cours dits « philosophiques ». Enseigner « la religion » ou « la morale » sonne bien désuet et il semblerait qu’il est temps de jeter cette « complication » bien belge. Par facilité esthétique rebaptisons « philosophie et citoyenneté » et jetons les religions dans la sphère du strictement privé. Il s’agit d’une lame de fond qui s’annonce depuis longtemps. Je crains seulement qu’on ne jette le bébé avec l’eau du bain.

Nous observons que les religions et les convictions font la preuve de leur influence et de leur potentiel de violence, dans l’actualité. Comme au 20e siècle où des idéologies athées du « surhomme » ou de « l’homme nouveau » ont semé les germes des violences d’aujourd’hui. Il me semble que ce n’est absolument pas le moment de se priver d’un espace d’éducation et d’enseignement où, précisément, ces idéologies sont discutées.

J’entends qu’il s’agirait de les remplacer par des cours de philosophie, d’histoire des religions ou de citoyenneté… C’est être naïf et superficiel que d’imaginer que des cours axés sur la rationalité et un savoir enseigné de manière traditionnelle feraient mieux. Après tout, la France qu’on nous montre en exemple avec ses cours de philosophie ne me semble pas mieux lotie, ni plus admirable dans les débats de société que nous. Si ?

Questionner l’héritage

Ce genre de décision qui semble souhaitée par un grand nombre avec quelque pertinence ne rencontre pas la réelle complexité de la question. Il s’agit moins de pensée, de contenu théologique que de convictions et de croyances. Et ne nous leurrons pas l’athéisme l’est autant. La laïcité est une tentative de mettre la rationalité au service du vivre ensemble, mais il faudrait reconnaitre que la laïcité est à l’œuvre dans tous les univers convictionnels. Premier point. Qu’elle est à encourager chez tous.

Deuxième point rencontrer la profondeur de l’inscription des convictions. D’où tenons-nous nos convictions ? Quels sont les ressorts de nos décisions concrètes en matière d’engagement politique, de soin, de choix des systèmes éducatifs, des canaux d’information, bref de citoyenneté ? En toute honnêteté, en toute lucidité, ne voit-on pas qu’il s’agit souvent d’abord d’appartenances inscrites dans un milieu social, culturel, hérité qui sont reprises de manière plus ou moins personnelle selon l’éducation et les espaces de discussions et de rencontres que la vie nous a ménagés.

J’ai la faiblesse de croire que l’école fait partie de ces lieux. Les cours de religion ou de morale permettent la plupart du temps de parler de cette « inscription » des convictions et donc amènent une prise de conscience des héritages des jeunes. Pas nécessairement pour les entériner, bien au contraire. Il y a longtemps que les cours de religion ne sont plus du catéchisme. Le désarroi des jeunes musulmans qui se révoltent dans les cours d’histoire, d’éducation physique ou artistique se parle au cours de religion ou cela devrait se faire.

La messe n’est pas dite

L’enjeu d’un renouveau, là, tient à une laïcisation : définition des programmes, des méthodes et des évaluations, désignation et formation des profs dans un cadre académique belge indépendant des chefs de culte. Il y a dans chaque univers convictionnel des laïcs formés (parfois plus et mieux) et la création d’instituts belges de formation des professeurs de religion musulmane est indispensable. Il faudrait aussi, par exemple, que l’Assemblée des Évêques « lâche » son contrôle sur le contenu du cours de religion catholique. Il y a assez de personnes compétentes laïques pour le faire, elles sont parfois, plus largement et mieux formées que les clercs. L’enseignement n’est pas une catéchèse. Laissons la catéchèse au clergé et travaillons avec les concepts du « contrat pour l’école ».

Mais l’idée d’un cours commun est intéressante. Non pas un cours « neutre » de citoyenneté où il s’agirait d’apprendre à traverser dans les clous. Ce serait un cours partagé où l’enjeu de citoyenneté n’est pas dans le ravalement au « plus petit commun dénominateur » mais une expression de modes de vie pluriels sous une loi commune. Ce serait un cours donné par des professeurs d’obédiences différentes, en alternance, ou mieux, ensemble quand c’est possible. Obligatoire et non soumis au bon vouloir des parents ou des motivations d’élèves. La loi n’est pas optionnelle, mais elle n’est efficace que si elle est comprise et inscrite dans l’agir social.

Voici qui demande du courage, de la liberté d’esprit et une vraie créativité. C’est ce qu’appelle cette crise !!! J’espère fermement qu’il se trouvera des citoyens pour en discuter et y travailler. Sinon, je crains le pire. Actuellement, supprimer les espaces « religion » ajoute une couche d’une dureté inouïe à la violence institutionnelle de l’école ; c’est véritablement renoncer au vivre ensemble pour alimenter les écoles confessionnelles et les ghettos. Qu’on ne s’y trompe pas, je défends, et ce, depuis toujours, l’école officielle.