Il y a quelques années, la proposition de partir en classes de dépaysement nous a été soumise par notre direction.
Une nouvelle classe de 3e maternelle venait de s’ouvrir et notre section mater-nelle comptait désormais 4 classes de « grands ». Les classes de dépaysement étaient au programme de notre projet d’établissement, une fois par cycle, or cer-taines collègues de 1res et 2es années étant indisponibles pour partir, la proposi-tion nous est faite de partir avec nos grands pour 3 jours.
Mes collègues et moi avons donc décidé de relever ce défi, persuadées que ces trois jours, passés avec nos élèves, leur apporteraient beaucoup.
Première chose à faire : trouver un endroit accueillant, adapté aux enfants, dans un cadre rassurant et sécurisé.
Au plus tôt, l’endroit et les dates sont trouvés, au plus tôt, nous pouvons parler de ce projet, avec les parents, afin de pouvoir écouter leurs appréhensions, leurs questions, leurs peurs. Nous en sommes bien conscientes que, pour la plupart de nos élèves et de leurs parents, c’est une première !
Une autorisation est demandée aux parents et une épargne leur est proposée.
Permettre à nos élèves de partir, c’est leur permettre de faire l’expérience de vivre une vie sociale différente, de vivre pendant 3 jours, avec les copains de la classe, en ap-précier les inconvénients et les avantages. C’est s’adapter à de nouvelles habitudes de vie. C’est développer son autonomie, son indépendance, une certaine liberté dans ses choix, l’entraide vis-à-vis des autres. C’est vivre différemment la classe et ses appren-tissages : les enfants des différentes classes sont regroupés, ils vont pouvoir faire des apprentissages concrets, sur le terrain en collaborant avec les autres. C’est faire de chaque activité, quelle qu’elle soit (visite, promenade, repas, douche…), un moment d’apprentissage.
C’est aussi découvrir des activités de pleine nature, que ce soit dans les Ardennes ou à la mer, activités peu accessibles pour certains de nos enfants, dont le contexte fami-lial est parfois démuni, à ce niveau, et pour lesquels, c’est parfois une vraie décou-verte.
C’est aussi modifier ses relations avec les autres, mais aussi, avec l’enseignant, puisque l’enfant et l’adulte sont associés, dans d’autres domaines que la classe, y compris ceux de la vie courante.
Notre projet est annoncé aux parents, lors de la réunion de rentrée, en septembre, et nous leur exposons nos objectifs, notre point de vue, sur ces classes de découvertes et notre expérience déjà vécue.
Une seconde réunion est organisée 3 ou 4 semaines avant notre départ : des photos de l’endroit y sont montrées, des conseils y sont donnés. Les parents y posent toutes leurs questions : nous sommes là, pour y répondre, de façon pratique et rassurante. Un feuillet leur est remis, avec tous les renseignements utiles, pour préparer au mieux les classes de découvertes de leur enfant.
Bien sûr, ce serait mentir que de dire que tous les enfants y participent, même si c’est ce que nous aimerions. Voir un enfant triste, car il ne peut pas partir avec ses copains, ne nous laisse pas de glace et notre direction nous épaule dans cette problématique, en rencontrant les parents. Les enfants aimeraient tous participer, mais certains pa-rents sont réticents et refusent. Ce n’est pas une question financière, notre école pro-posant d’aider les parents qui ne peuvent payer l’entièreté de ce séjour. Les parents qui refusent nous parlent souvent de l’âge de l’enfant : ils le trouvent trop jeune pour partir seul, pas assez « débrouillard ». Plusieurs cas de figure sont représentés : cer-tains parents ayant refusés dans un premier temps, changent d’avis et acceptent après nous en avoir parlé et après en avoir parlé à leur enfant. D’autres acceptent d’emblée et se rétractent après pour les raisons évoquées plus haut. D’autres encore acceptent et refusent à la dernière minute, suite à un changement dans leurs projets (départ en vacances anticipé, par exemple). Le fait que les enfants soient issus de l’immigration ne semble pas jouer dans ces refus.
Il nous semblait inutile de leur en parler trop tôt, les enfants de 5 ans ayant une notion du temps tout à fait différente de la nôtre. Ils ont encore du mal, à leur âge, à se proje-ter dans l’avenir… Un mois, pour eux, c’est très abstrait ! Nous leur en parlons au dé-but de l’année, lorsqu’ils arrivent chez les grands, mais nous ne leur mettons pas la pression. Ils savent que nous partirons ensemble à la fin de l’année et on en parlera, en classe, un peu plus tard. Trois ou quatre semaines avant notre départ, nous poin-tons la date sur le calendrier. Nous commençons à en parler : l’endroit leur est présen-té, des histoires leur sont racontées, des albums « collant » au thème leur sont mon-trés, des recherches sont entamées avec eux. Des moments privilégiés leur sont con-sacrés, pour les rassurer, pour qu’ils puissent poser des questions, pour que nous puissions y répondre, pour leur expliquer l’organisation de ce voyage. Les étiquettes des bagages sont réalisées avec eux. Nous essayons qu’ils participent au maximum à l’organisation de leur séjour. Nous nous entrainons à faire notre tartine, à nous servir, à rassembler les assiettes. Tout cela dans une ambiance détendue…
Et puis le grand départ a lieu, l’aventure ! Nous découvrons nos élèves sous un nou-veau jour : certains, timides en classe, ne le sont plus du tout, d’autres, parfois autori-taires, se font mener par leurs copains. Nous découvrons des élèves qui s’essayent à l’autonomie, qui y réussissent très bien et qui en sont très fiers, des élèves curieux, indépendants, pour certains moins violents qu’en classe, moins bruyants, plus « zen ». Nous sommes là pour les rassurer, les encourager, les câliner en cas de chagrin, les épauler dans leurs découvertes, leurs difficultés.
À leur retour, les parents retrouvent leurs enfants fatigués bien sûr par ce changement de rythme et ces journées trépidantes, riches en découvertes et en émotions, mais des enfants heureux et « grandis ». Les retours des parents sont très positifs et il n’est pas rare de les entendre nous dire : « Maintenant, il aime la soupe. », « Il veut se laver tout seul. », « Il s’habille tout seul. »
Nous revenons, nous aussi, fatiguées de ces classes de dépaysement, mais heu-reuses d’avoir passé ces trois jours de découvertes, à tous points de vue, avec nos élèves, même s’il est vrai que c’est du 24 h/24 h.
Nous nous sommes données à fond, tout comme nous le faisons lors des fêtes sco-laires, lors des réunions de parents tardives, lors des vacances pendant lesquelles nous rafistolons et rafraichissons les murs de notre classe. Nous ne nous sommes pas senties « obligées » de partir. Nous avons juste voulu tenter l’aventure et nous ne le regrettons pas !