Depuis septembre, un groupe de parents se réunit à la Maison médicale « le Renfort », à Molenbeek, pour parler de et autour des questions qu’ils se posent à propos de l’école et de la scolarisation de leurs enfants. Les thèmes abordés sont multiples et les échanges s’enrichissent des expériences des uns et des autres.
Comment peut-on aider son enfant à réaliser son travail scolaire ? Qu’est-ce qu’un comité de parents ? À qui peut-on parler à l’école ? Comment oser encore interpeler un prof ou la direction quand on a été mal reçu plusieurs fois ? Où peut-on dire que des choses inacceptables se passent à l’école ? Pourquoi l’enseignement à Molenbeek est-il moins bon qu’ailleurs ? Est-ce que c’est vrai ?
Parfois une personne extérieure est invitée pour apporter des éléments d’éclairage aux débats menés par les parents : une médiatrice, un enseignant, une collaboratrice des délégués aux droits de l’enfant… À un moment donné de l’histoire du groupe, ces parents ont décidé de mener un combat pour demander que les garderies du matin, du midi et du soir redeviennent gratuites (elles l’étaient jusqu’à l’année scolaire passée). Un combat qui pourrait paraitre périphérique, mais qui s’est avéré révélateur de questions cruciales pour la vie de bien des familles molenbeekoises. Ci-dessous, une lettre adressée aux élus communaux qui ont pris, en juin dernier, la décision de faire payer ces garderies.
Madame la Bourgmestre,
Mesdames et Messieurs les Échevins,
Comme nous l’a conseillé Madame la Bourgmestre, nous nous adressons à vous pour vous faire part de nos arguments concernant le paiement des garderies et l’évaluation que vous vous apprêtez à faire de cette nouvelle mesure. Nous espérons que ce que nous voulons vous dire fera écho chez vous et que vous comprendrez que notre demande d’un retour à la gratuité se fonde sur notre réalité quotidienne et l’espoir énorme que nos enfants pourront avoir, grâce à l’école, un avenir plus solide que le nôtre.
Des arguments pour demander le retour à la gratuité :
– le cout de la garderie pèse trop lourd dans le budget de beaucoup de familles. Avec l’argent disponible, il faut déjà faire des choix, souvent impossibles, entre des choses nécessaires : manger convenablement, se chauffer, payer les frais scolaires obligatoires, s’habiller… Pour de nombreuses personnes qui travaillent, les garderies sont aussi trop chères. Nous voulons attirer l’attention de ceux qui décident sur notre réalité quotidienne : avez-vous déjà dû choisir entre deux nécessités ? Savez-vous que 10 ou 15 euros valent beaucoup pour certains habitants de votre commune ?
– l’école n’est déjà pas gratuite, alors qu’elle est censée l’être : livres, spectacles, piscine, caisses de classe… Quand on ne sait pas payer, la situation s’envenime avec l’école. Ce sont nos enfants qui en souffrent. Ils ne peuvent pas apprendre et grandir harmonieusement. Madame Mahy, du Réseau wallon contre la pauvreté, que nous avons rencontrée dernièrement a affirmé que partout en Belgique des familles ne s’en sortent pas pour payer l’école. Selon le Réseau, cela pollue les relations entre parents et école, et rend de plus en plus difficile l’accrochage des enfants, partagés entre l’école et leur famille qui ne peuvent plus s’entendre, à cause de l’argent ;
– les temps avant et après l’école, le temps de midi sont des moments importants pour les enfants. Ils aiment jouer avec leurs amis, ils apprennent à vivre ensemble. Ils se sentent mieux à l’école quand ils peuvent profiter de moments de détente tous ensemble. Nous ne voulons pas que nos enfants grandissent dans un monde où certains sont exclus et où l’argent divise…
– si la qualité de la garderie augmente, mais qu’on la rend inaccessible pour certains, cela signifie que la qualité sera réservée à quelques-uns, les plus favorisés. Est-ce que l’école ne doit pas offrir un service de qualité de toute façon ? Est-ce que la qualité doit dépendre de la richesse de la population qui fréquente une école ? Comment dire que nous vivons dans un pays démocratique dans de telles conditions ?
– trop de parents ont dû abandonner des formations qualifiantes, des cours de langues ou d’alphabétisation, certains ne peuvent plus fréquenter des associations et participer à la vie sociale de la commune, d’autres sont freinés dans la recherche d’un emploi parce qu’ils ne peuvent pas payer la garderie à leurs enfants. Les exemples où des personnes ne peuvent plus s’investir pour mieux s’intégrer dans notre société ou pour rendre la vie collective meilleure sont nombreux et variés. Qui veut l’entendre ? Après, nous sommes montrés du doigt parce que soi-disant nous ne voulons pas faire d’effort, nous ne participons pas à la vie sociale belge, nous nous replions…
– lorsque les enfants d’une même famille fréquentent plusieurs écoles ou sont dans une école loin du domicile, les parents doivent se couper en quatre pour aller chercher leurs enfants à temps. Dans certains cas, c’est impossible !
Des éléments pour une évaluation :
– dans certaines écoles, les enfants mangent dehors, ou sont assis par terre dans le couloir, ou dans les classes. Il n’y a pas toujours de réfectoire pour que les enfants qui apportent les tartines puissent manger dans des conditions normales. Une directrice nous a dit que cela l’arrangeait que les enfants ne restent plus à l’école sur le temps de midi puisqu’elle n’avait pas de place pour organiser convenablement les repas ;
– le matin, des enfants dont les parents doivent aller à leurs activités attendent devant l’école que les garderies deviennent gratuites et qu’ils puissent y être accueillis. Cela crée une insécurité et un sentiment de rejet chez eux ;
– de nombreux parents n’ont pas été informés correctement de leurs droits à obtenir une réduction de 50 %. Certains ne connaissent toujours pas les démarches à faire pour l’obtenir. La communication des informations n’est pas bonne. Dans la plupart des écoles, aucune réunion d’explication n’a eu lieu à ce sujet ;
– il y a énormément d’erreurs dans les factures et cela crée des relations pourries entre les parents et le personnel de l’école. Les parents font des aller-retours entre l’école et la commune qui se renvoient la balle en cas d’erreur. Il faut parfois prouver que ses enfants sont ailleurs qu’à l’école après 15 h 30 pour ne pas devoir payer un service dont on ne peut plus bénéficier ;
– beaucoup de factures pas claires et irrégulières ; on ne comprend pas pourquoi elles varient d’un mois à l’autre.
– pour les familles, on ne fait pas une seule facture, mais une facture par enfant. Pour les parents qui doivent payer par voie postale, cela les force à payer les frais postaux par versement ;
– dans certaines écoles, il y a deux entrées, une pour les primaires, une pour les maternelles. Certains jours, d’un côté ou de l’autre, les portes de l’école s’ouvrent en retard. Quand on arrive de l’autre côté, l’enfant est déjà inscrit à la garderie et il faut payer, même si on était à temps pour venir chercher son enfant ;
– les parents sont pénalisés après quelques minutes de retard ; mais eux-mêmes doivent souvent attendre plus de dix minutes que les enfants sortent. Si l’école impose aux parents d’attendre, pourquoi le retard des parents est-il lui inexcusable et payant à 5 minutes près ? Pour 5 minutes de retard un jour, il faut payer tout le mois… Cela crée un climat de stress journalier chez les parents, qui n’est pas favorable à une bonne relation avec l’école. Nous avons toujours l’impression que nous allons être pris en faute… Certains parents ont déjà reçu jusqu’à 70 euros d’amendes. Ainsi, la commune pousse des gens à l’endettement, cela ne peut pas être le but ;
– on ne voit pas en quoi la qualité a augmenté, et on ne sait pas ce que la commune entend par une garderie de qualité ;
– dans plusieurs écoles, nous ne voyons rien de ce qui apporte une meilleure qualité : pas plus de personnel, pas plus de matériel, de jeux, pas d’école de devoirs. Les parents payent depuis septembre pour une « meilleure qualité ». La commune encaisse notre argent, et n’en fait rien.
_ Petit rappel historique
Nous sommes déçus par le refus de nous écouter qui a été celui des membres de la majorité jusqu’à présent. Personne parmi ceux qui avaient voté pour le paiement des garderies n’a pris la peine de répondre aux éléments en faveur de la gratuité qui vous ont été lus lors d’une interpellation citoyenne. Seuls l’argument de l’augmentation de la qualité (réservée donc à ceux qui peuvent payer) et une comparaison avec les autres communes (malheureusement pas celles où les garderies sont encore gratuites) ont été relevés par la majorité. Nous sommes restés avec nos constats d’une école inégalitaire, qui exclut les plus pauvres, d’un accueil qui n’en est plus un…
Lors du conseil communal spécial organisé à ce sujet, nous nous sommes rendus à la séance, pleins d’espoir. Aucun débat. Aucune réponse à nos inquiétudes. Nous avons été très choqués d’être reçus par des policiers et leurs chiens, d’avoir dû écouter le conseil debout, dehors, par le biais de micros régulièrement coupés. Nous considérez-vous comme des gens dangereux ? Non respectables ? Ou incapables de comprendre ? Vous qui ne désirez pas vous distinguer des autres communes en proposant un accueil gratuit pour nos enfants, il nous semble que vous vous distinguez étrangement dans l’accueil des citoyens désireux de dialoguer avec vous… Nos tentatives pour être reçus par les responsables de l’enseignement et expliquer calmement nos difficultés n’ont rien donné non plus. Voilà pourquoi nous nous sommes décidés à vous écrire.
Nous vous remercions de l’attention que vous apporterez à notre lettre et espérons pouvoir entendre la réponse que la commune apportera à nos inquiétudes de plus en plus lourdes.
Vingt parents d’élève de Molenbeek
Cette lettre est restée sans réponse. L’évaluation qui devait avoir lieu en mars et qui était l’argument principal de la majorité pour ne pas revoir sa décision dans l’immédiat n’a pas eu lieu ! Trop tôt, parait-il, pour évaluer cette mesure…