L’existence en chaque enfant comme en chaque adulte de caractères totalement personnels est une vérité d’évidence. La conséquence qui devrait en découler pour tout pédagogue est l’ineptie de servir à tous « le même potage ». Erreur cependant commune et qui touche peut-être à l’origine du système d’enseignement secondaire français : il s’agissait d’instruire des élèves préalablement sélectionnés, donc d’un profil assez « homogène » avec des enseignants ayant une formation identique, dans des durées et avec des programmes unifiés. Depuis, les facteurs se sont modifiés : les élèves viennent de tous horizons socio-culturels. Ils sont de niveaux très divers. Les enseignants ont des statuts et des formations variés. Le temps et les programmes restent bien difficiles à modifier… malaise assuré ! Que faire ?
Autre aspect à la question : la demande de savoir, les mécanismes d’apprentissage peuvent être très divers selon les élèves, selon les moments, selon les matières… Les inhibitions et blocages sont nombreux, de nature complexe. Leurs causes ne sont jamais simples : cf schéma sur les difficultés scolaires…
L’abondance des difficultés, le nombre de variables du problème permet peut-être de comprendre, sinon d’excuser les collègues qui baissent les bras ou qui réclament de n’avoir que les bons élèves…
Pour ceux qui, malgré tout, restent désireux de prendre en compte ces difficultés et de leur apporter quelque élément de solution, certains récits des praticiens peuvent servir :
Mise en forme des savoirs.
Dans les classes, mettre à la disposition des élèves, des livres, des manuels, des dossiers, avec les index et les moyens d’y accéder par de multiples entrées : voici le premier aspect de la question. Une solution partielle est ainsi apportée à la diversité des « appétits de savoir ». Une condition : pour réaliser cette mise en forme, l’enseignant doit être lui-même compétent dans sa matière… S’il travaille dans un groupe ou une équipe, ça peut l’aider.
Des lieux et des temps.
Que chaque enfant puisse trouver dans sa classe, dans son établissement, DES LIEUX VARIÉS, marqués, faciles à utiliser : voilà qui résout en partie certaines inhibitions et difficultés dues à l’allergie de certains à l’immobilité passive. Au fait : l’immobilité passive est-elle une qualité ? Que l’EMPLOI DU TEMPS dans une même matière permette à chacun de trouver à tout moment quelque chose qui l’intéresse, de ne pas forcément faire la même chose que son voisin, de travailler avec ou sans l’aide de quelqu’un, ce quelqu’un étant l’enseignant ou un camarade… Voilà qui répond à certaines difficultés d’enfants, mais aussi ajoute à la difficulté de préparer son travail pour l’enseignant.
De l’organisation :
Facteur de liberté pour chacun dans un groupe si l’on veut bien reconnaitre que chaque sujet est différent, a des désirs personnels et une façon d’être unique… L’organisation va donc répondre à la fois à la nécessité d’articuler LIEUX, TEMPS, et DÉSIRS de chacun dans la classe. Multipliant les « possibles », elle apporte de la liberté. Nécessitant la rigueur à propos des temps et des lieux, elle apporte aussi des contraintes…
Les limites, la loi, la parole, la gestion « gestion du groupe ».
Pour que fonctionne ce tissu complexe dans lequel s’entretissent des situations, des relations si variées, que COEXISTENT des techniques pédagogiques aussi différentes que :
– les techniques Freinet
– le travail autonome
– le travail individualisé
– les cours magistraux
– la pédagogie des objectifs
pour que puissent se réaliser les progrès, qu’ils se marquent pour chaque élève par des preuves aussi tangibles que possible, il faut que les limites soient inscrites. Rigoureuses, claires, repères salutaires et points d’appui, ces limites sont nécessaires à chacun. Elles sont d’autant plus faciles à établir et mieux respectées que chacun a pu prendre part à leur élaboration.
Ici, c’est le rapport de chacun, y compris de l’adulte responsable du groupe, à la loi et à la parole qui est en question. Les raccourcis bâclés de la conduite démagogique, ou de l’autoritarisme – paternaliste ou non- ne font que reporter les éventuelles difficultés. D’où la nécessité d’avoir été confronté soi-même à la difficulté d’organiser un groupe à la question des droits et devoirs de chacun, à l’exigence pratique de FAIRE DE LA LOI ENSEMBLE.
Des institutions.
Si cette pédagogie (que l’on peut qualifier de « différenciée » puisqu’elle fait appel à tous les savoir-faire) se met en place, la classe ou l’établissement est le lieu de naissance et de fonctionnement d’institutions, au sens de ce mot qu’il n’aurait jamais dû perdre : lieu d’élaboration et de création des modalités vivantes de relations sociales (l’ « instituant »).
La pédagogie institutionnelle peut donc constituer une référence utile pour ceux et celles qui tentent de pratiquer une pédagogie différenciée, de faire face ainsi à l’inévitable hétérogénéité des publics scolaires.
Le 22.11.85
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