Perles de langage ou indices pour l’enseignant ?

Dans une classe où la mixité sociale est bien réelle, il est indispensable de rester attentif à la compréhension du français des enfants qui le maitrisent pour communiquer entre eux, mais qui ont d’énormes difficultés à en comprendre les nuances quand il est utilisé en classe.

Assis au coin à paroles, les enfants de première année primaire attendent ma consigne d’écriture : « Vous allez écrire le portrait d’une mamie[1]Nous lisons « Une mamie en or » et les enfants devront utiliser une structure donnée pour faire le portrait vestimentaire d’une mamie.. De quoi allez-vous parler dans votre texte ? »
De nombreux doigts se lèvent. Le mot « portrait » semble connu ! J’interroge Safia qui agite le doigt avec insistance : « Je vais la dessiner. » Je reprends : « Je n’ai pas demandé de dessiner une mamie. Vous allez écrire un texte pour décrire votre mamie. De quoi vas-tu parler dans ton texte, Safia ? » Elle persiste : « Je vais la dessiner ! ». J’abdique : « Et bien, si tu la dessines, à quoi vas-tu faire attention ? » « À ne pas rater ! »
Le malentendu s’est installé. D’abord, parce que Safia est persuadée qu’un portrait, c’est un dessin, sans doute parce qu’elle en a dessiné un en maternelle. Ensuite, si j’ai utilisé l’expression « faire attention à quelque chose » dans le sens « d’observer quelque chose », elle l’a comprise comme « prendre garde à, faire gaffe à ».

En « grandeur »

En dictée à l’adulte, les enfants doivent écrire ce que signifie le mot « comparer ». La veille, nous avions comparé deux gobelets et noté sur une grande affiche ce qui était pareil et ce qui était différent. Nous avions identifié ce qui nous intéressait en mathématique (on ne parlera plus de la couleur, mais de la hauteur, de la largeur et de la contenance des gobelets). Les enfants ont utilisé les mots « haut », « bas », « large », « étroit » et les structures « est plus… que », « est moins… que ». J’ai fortement insisté sur les mots « pareil » et « différent » et j’ai laissé en suspens la comparaison de la contenance des gobelets parce que nous ne pouvions pas répondre à cette question simplement en les regardant.
Safia, Jonathan, Najib et Allison me dictent : « Comparer, c’est pareil et différent ». Je les questionne : « Mais qu’est-ce que vous faites quand vous comparez ? » Ils me regardent et se taisent. Je reprends : « Hier, quand nous comparions les deux gobelets, vous faisiez quelque chose ! » « Ah oui, pareil et différent ! »
À force d’insister sur certains mots, quelques enfants, fiers de les connaitre, les prononcent, presque mécaniquement. Sans avoir perdu le sens de ces mots, ils ne sont plus capables de les utiliser dans une phrase correcte alors que spontanément, cela ne leur avait posé aucun problème.

En « savoir lire »

Lors de la lecture des textes du livre « Une mamie en or », Chaïma lit : « j’ai déjà dit » au lieu de « je te l’ai déjà dit », « il faut voir son bolide » au lieu de « il faut la voir sur son bolide » ou encore « parfois, elle prend des robes » au lieu de « parfois, elle porte des robes ».
Elle est pourtant une bonne lectrice. En février, elle déchiffrait la plupart des mots, elle en reconnaissait sans devoir les déchiffrer. Elle cherche le sens de ce qu’elle lit. C’est cette dernière stratégie qui provoque ses erreurs. À l’oral, elle n’emploie jamais ces constructions et donc, elle les modifie pour donner du sens à ce qu’elle vient de déchiffrer !

En « éveil »

Un élevage d’escargots a permis aux enfants d’observer presque toutes les étapes de la reproduction de cet animal. Je leur lis un livre documentaire pour identifier ce que nous n’avons pas pu observer dans notre terrarium. Une grande fresque de papier au centre du livre retrace la reproduction, depuis l’accouplement jusqu’à l’âge adulte. J’insiste sur le concept de reproduction qui est une des caractéristiques du vivant. Je leur lis aussi une page sur les prédateurs de l’escargot et sur ses moyens de défense.
Le lendemain, je montre la grande fresque et demande à Aleksander de rappeler de quoi parlaient ces pages. « De comment on fait des bébés ! » « D’accord ! Et quel est le mot correct pour dire “comment on fait des bébés” ? » « Les escargots font des produits ! C’est la bave ! Je ne me souviens plus du bon mot ! » Louise intervient : « Mais non pas faire des produits ! » et Aleksander se reprend : « Ah, non, les escargots se produisent »
La confusion est totale entre les escargots qui se reproduisent et qui produisent du mucus… Cette confusion entre les mots exprime-t-elle une confusion entre les concepts de reproduction et de prédateurs ? Comment Aleksander peut-il organiser sa pensée s’il confond ces mots qui se ressemblent ?
Il fut une époque où j’aurais raconté ces exemples comme autant de perles d’un langage enfantin ! Aujourd’hui, je suis très attentive à ces malentendus. Je les cherche, je les traque, je les débusque. J’interroge d’abord les enfants qui me paraissent bien éloignés de ce que l’École exige d’eux. J’essaie de comprendre ce qui, dans la langue de l’École, leur pose problème. Je reprends leurs difficultés, je les renvoie à toute la classe, afin que mes élèves partent de ce que ces enfants savent déjà et que leurs paroles ou les miennes leur permettent de se rendre compte de ce qu’ils apprennent tous !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Nous lisons « Une mamie en or » et les enfants devront utiliser une structure donnée pour faire le portrait vestimentaire d’une mamie.