Les rapports entre la santé et l’école concernent aussi les certificats médicaux. Comme tous les médecins généralistes, je suis amené régulièrement à me positionner face à des demandes de certification de maladie pour des enfants et adolescents fréquentant l’école.[1]À propos des certificats, il est notamment mentionné dans la circulaire n°90 année 2002 de l’ordre des médecins du Hainaut que : • Il importe que le certificat garde toute sa valeur : la … Continue reading
Bien entendu, la plupart de ces situations ne pose aucun problème car elles concernent des maladies diagnostiquées et constatées par le médecin et pour lesquelles le repos ou l’éloignement momentané de l’école fera partie intégrante du traitement. D’autres situations par contre sont beaucoup plus problématiques.
J’ai choisi d’illustrer ici une de ces situations. Elle me permettra de faire part de quelques réflexions à ce sujet, sans avoir la prétention d’être exhaustif.
Cela se passait il y a pas mal d’années, au début de ma pratique médicale à Montignies-sur-Sambre. Philippe a 15 ans. Il s’est absenté de l’école secondaire depuis bientôt trois semaines. Il vient un soir à ma consultation. Son motif : obtenir un certificat médical le couvrant pour ces trois semaines d’absence afin de pouvoir réintégrer l’école. Celle-ci lui aurait fait savoir que pour pouvoir poursuivre son année scolaire, il lui fallait fournir un certificat médical.
Cette situation n’est pas exceptionnelle, si je m’en réfère au nombre important d’élèves absents de l’école. Elle a suscité chez moi certaines réflexions quant au rôle du médecin et de l’école dans ces circonstances. J’en ai dégagé quelques pistes d’action qui soutiennent désormais mes interventions pour des situations similaires.
Responsabilités et engrenage
Tout d’abord, cet adolescent vient seul à la consultation. Il ne prétexte pas une quelconque maladie qui l’aurait éloigné de l’école. Non. Il reconnait honnêtement ne pas avoir été à l’école. En m’en tenant strictement aux faits, il est clair qu’un certificat de maladie est injustifiable et constituerait d’ailleurs un faux. Je peux même me poser légitimement la question : est-ce du domaine de la responsabilité médicale ? Posée autrement la question est : pourquoi le certificat médical est-il présenté comme la seule solution pour que l’élève et l’école soient en règle administrativement ? Mais faut-il pour autant clôturer la consultation par un simple refus ?
Je m’informe tout d’abord des circonstances de l’absentéisme de Philippe. Il en vient très rapidement à m’expliquer qu’il avait de grandes difficultés à suivre à l’école. Il se sentait progressivement dépassé dans certaines matières et n’osait plus le signaler à certains professeurs. Il ne voyait pas comment s’en sortir. Il n’était pas aidé à la maison ou n’en parlait pas. Il s’est absenté une première fois parce qu’un devoir mal compris n’était pas terminé à la date prévue pour le rendre. Ensuite, ce fut l’engrenage et la répétition des absences qui n’arrangeaient évidemment rien à sa compréhension des matières concernées. Retourner à l’école comme cela lui paraissait au-dessus de ses forces. C’était le début du décrochage scolaire.
Comme adulte, j’ai un certain nombre de repères et de valeurs à lui rappeler comme essentiels : notamment que faire un faux n’est pas autorisé, même pour une bonne cause ; qu’il vaut également toujours mieux résoudre les problèmes là où ils se posent plutôt que d’en masquer les conséquences ; que dans toute profession il faut pouvoir justifier les actes posés.
Comme médecins, nous savons que le décrochage scolaire peut être un symptôme de malaise, d’une maladie, d’une dépression aux causes variées… Nous savons aussi que les consultations d’adolescents comportent parfois des difficultés et des particularités qu’il est important de bien cerner afin de ne pas passer à côté des vraies demandes ou attentes des jeunes.
Dans le cas de Philippe, après avoir exclu de telles hypothèses de maladies, je lui ai proposé mon assistance, ce qui était la seule chose qui soit de mon ressort et de ma responsabilité dans ce contexte[2]Voir aussi ce que dit le service de médiation scolaire en région wallonne (cité dans la circulaire n°89 année 2001 du Bulletin du conseil de l’ordre des médecins du Hainaut) : • Les … Continue reading. Je lui ai proposé de rechercher ensemble la meilleure solution, après avoir fait l’inventaire des problèmes à résoudre : Quel est son objectif ? Quels sont les obstacles ? Qu’est-il prêt à faire pour réaliser son objectif de réintégrer l’école ? Quelles aides sont nécessaires ?
Sans papier…
Son objectif était de continuer son année scolaire. Les obstacles étaient : une absence injustifiée de plusieurs semaines, sans certificat médical ; la peur de parler de ses difficultés scolaires à son titulaire et certains professeurs ; la crainte de se voir refuser par le préfet de discipline ; son manque personnel d’assurance, savoir-faire et de ressources personnelles pour mener cela à bien ; le fait de ne pas en avoir parlé à ses parents.
Il était prêt à s’engager à ne plus s’absenter sans motif, et de se confier à quelqu’un de référence à l’école (son professeur titulaire par exemple) en cas de difficultés. Il était prêt à expliquer la situation actuelle à ses parents même si visiblement cela lui était difficile.
Nous passions d’une demande de certificat qui revenait, dans ce cas-ci, à me demander d’assumer la responsabilité d’un acte réalisé par quelqu’un d’autre, à une situation de prise de responsabilité par l’adolescent lui-même dans laquelle je pouvais jouer un rôle de catalyseur et d’accompagnement.
… mais pas sans voix
J’ai ainsi rédigé un mot pour le préfet de discipline de l’école. J’y mentionnais la demande de certificat à laquelle je ne pouvais pas répondre mais surtout mon souhait d’avoir un contact téléphonique avec lui afin de lui préciser les termes du « contrat » que Philippe souhaitait lui soumettre. J’y précisais également que je pouvais rédiger une attestation en ce sens.
L’enjeu était multiple : créer des conditions de reprise basées sur un dialogue vrai ; parler de ses difficultés à l’école au lieu pour Philippe de se réfugier dans un comportement de fuite qu’il pourrait avoir tendance à reproduire par la suite si aucun remède n’est proposé ; mais aussi responsabiliser l’élève : il est en effet responsable de son absence et en fait l’apprentissage des conséquences tout en sachant que ce n’est pas aux autres de l’assumer.
J’ai eu le bonheur dans les jours qui ont suivi de recevoir un coup de téléphone du préfet de discipline pour me confirmer que ce « contrat » entre Philippe et l’école allait se réaliser.
Notes de bas de page
↑1 | À propos des certificats, il est notamment mentionné dans la circulaire n°90 année 2002 de l’ordre des médecins du Hainaut que : • Il importe que le certificat garde toute sa valeur : la constatation d’une maladie dont le repos est une des composantes thérapeutiques. • Souvent sollicités par les parents, agissant sur injonction d’un membre du corps professionnel, les médecins sont mis en demeure de régulariser médicalement et à postériori des situations de toute nature sauf médicale. Dans ce cas, le message est passé de fournir des ” déclarations ” et non des certificats. Cette déclaration reprend l’identité de la personne qui sollicite, le nom de l’élève, la raison invoquée et la durée, des formulaires-type étant d’ailleurs disponibles. • Il n’appartient pas au médecin d’occulter l’absentéisme scolaire. Mais il en résulte des plaintes de directions scolaires qui admettent mal ces formulations. |
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↑2 | Voir aussi ce que dit le service de médiation scolaire en région wallonne (cité dans la circulaire n°89 année 2001 du Bulletin du conseil de l’ordre des médecins du Hainaut) : • Les élèves tant mineurs que majeurs sont légalement tenus de fournir à l’école leur certificat médical au plus tard le 4e jour de l’absence. • Les justificatifs rédigés sur papier libre sont laissés à l’appréciation du chef d’établissement et peuvent fournir à l’école de précieuses indications sur des situations difficiles vécues par le jeune et sa famille. Le médecin pourrait alors rappeler qu’une aide peut être trouvée tant au sein de l’école qu’auprès du centre P.M.S. avec toutes les garanties de confidentialité nécessaire. |