L’enseignement ne doit pas seulement être égalitaire. Il a aussi comme objectif l’efficacité. Ce qui correspond aux différentes demandes des acteurs concernés.
L’efficacité de l’enseignement est la base porteuse du professionnalisme de l’enseignant. Elle représente le souhait légitime des parents, elle est la volonté compréhensible des investisseurs politiques et elle est également une réponse possible aux demandes du monde économique. Les élèves eux-mêmes prennent rapidement conscience de l’efficacité ou non de ce qui leur est proposé. Néanmoins, ils ne peuvent que rarement interpeler leurs enseignants, si ce n’est en manifestant un certain désintérêt.
Bien entendu, chacun définit l’efficacité en fonction de ses intérêts. La question de l’efficacité de l’enseignement semble être une question simple et pourrait être formulée de la manière suivante : quels sont les dispositifs et pratiques qui favorisent l’apprentissage des élèves et augmentent leur performance dans un contexte d’enseignement ?[1]X. DUMAY, V. DUPRIEZ, L’efficacité dans l’enseignement, promesses et zones d’ombre, De Boeck, 2009, p. 7.. Il est évident que les réponses apportées à cette question sont très complexes. Rappelons qu’à partir des enquêtes internationales d’évaluation des acquis scolaires[2]Dont la plus connue est l’enquête PISA de l’OCDE qui a lieu tous les trois ans., la Communauté française de Belgique est, en termes d’efficacité, dans la moyenne des pays de l’OCDE. Nous aimerions mettre en parallèle cet objectif d’efficacité et les libertés spécifiques à l’enseignement en Communauté française de Belgique.
Lorsque l’objectif d’efficacité doit aller de pair avec la quatrième mission du décret du même nom, à savoir l’égalité d’enseignement pour tous, alors cet objectif d’efficacité doit être prioritairement mis au service de l’émancipation des plus faibles et donc être commun pour tous les élèves, quels que soient l’établissement, la classe, le tissu sociologique environnant. On sait qu’il n’en est rien et on constate que, dans notre système éducatif, la variation des résultats entre élèves est une des plus grandes des pays de l’OCDE. Les facteurs qui expliquent cette situation sont multiples, mais les libertés des différents acteurs entrent parfois en contradiction avec l’efficacité recherchée.
Une fracture assez conséquente s’est installée entre les établissements : des établissements dits « forts » où l’on retrouve une majorité de bons élèves, issus essentiellement de milieux favorisés, et des établissements dits « faibles » où l’on retrouve plus d’élèves moyens et faibles, issus principalement de milieux défavorisés (avec bien entendu un certain nombre d’exceptions). Cette situation provient en partie de la liberté accordée aux parents. L’article 17 de la Constitution belge garantit la liberté du chef de famille dans le choix d’un établissement scolaire. Celui-ci choisit pour ses enfants l’établissement qui lui semble garantir le plus d’efficacité[3]Notons à ce propos que bon nombre de détracteurs du décret mixité ont brandi cet article comme un rempart infranchissable : ces opposants ont tellement bien intégré ce qui leur avait été … Continue reading. Ceci augmente la ségrégation urbaine aggravée par la sélection scolaire. Or, il est démontré que les systèmes qui mixent le plus les élèves de niveaux scolaires et de conditions sociales différents sont les plus efficaces, alors que l’homogénéité des classes et des établissements induit des processus de sélection précoce[4]Guide pratique de la rentrée 2007 : la France fait-elle le bon choix, entretien de N. MONS par F. JARRAUD, publié sur www.cafepedagogique.net..
Lorsqu’une grande différence existe entre établissements (avec des établissements dits « forts » et « faibles »), il importe de s’interroger afin de savoir d’où vient ce phénomène : des enseignants, du public d’élèves ou des moyens attribués ? Par exemple, on relève des différences entre établissements au niveau des évaluations et des notations des élèves. Les établissements sociologiquement et/ou scolairement favorisés ont tendance à noter plus sévèrement les élèves, mais aussi à multiplier leur taux de redoublement (présenté parfois comme un gage de qualité) alors qu’inversement, les notations sont plus indulgentes dans un établissement moins favorisé. Ce phénomène peut être démontré lors de confrontation des notes attribuées dans les établissements et des scores obtenus par les mêmes élèves à des épreuves standardisées. Comparaison que notre enseignement commence timidement à proposer, par des épreuves communes en vue d’évaluer l’efficacité du système. Au regard de ces apports, ne faut-il pas dès lors remettre en question, du moins partiellement, la « liberté du chef de famille dans le choix d’un établissement scolaire » ? C’est bien sûr ce qui a inspiré le décret inscription et le décret mixité.
Une autre explication peut se trouver au sein même des classes. Des disparités peuvent apparaitre lorsque les enseignants modulent leurs contenus et pratiques pédagogiques en fonction de leur public et du niveau supposé de leurs élèves. De fait, ils offrent aux meilleurs élèves les plus grandes chances de s’améliorer encore, en multipliant les interactions et les stimulations alors que, souvent, ils proposent aux plus faibles des défis plus modestes, un rythme plus lent et des objectifs de bas niveau. Ils sous-estiment bien souvent le niveau de compétences des enfants d’ouvriers, convaincus que celui-ci relève de facteurs liés à l’environnement familial et culturel. Sans compter l’énergie déployée et le temps utilisé par les enseignants en milieu défavorisé – fait observé dans la pratique – dans la gestion de la discipline ou dans des actions visant plus la motivation que les apprentissages proprement dits.
Bien qu’aucune pratique pédagogique n’ait en elle-même d’effet spectaculaire sur les inégalités, notons malgré tout que, d’une part, les inégalités sont d’autant plus fortes que les pratiques sont inefficaces et, d’autre part, certaines pratiques pédagogiques qualifiées d’innovantes peuvent avoir des effets contraires et renforcer ces inégalités. Le rapport COLEMAN (USA, 1966) avait déjà constaté la correspondance élevée entre milieux défavorisés et difficultés scolaires. Ce rapport précisait que cette situation n’était pas irréversible et que l’école elle-même pouvait *contrebalancer le poids de l’origine socioéconomique des élèves. Sur cette base, de plus en plus de chercheurs en sciences de l’éducation insistent sur l’effet de l’enseignant sur la réussite scolaire, pour des élèves d’origine modeste.
Au regard de ces apports, ne faut-il pas remettre en question, du moins partiellement, la « liberté pédagogique » des enseignants ? Certes, le balancier pédagogique de ces dernières décennies ne facilite pas les choses et peut donner le tournis à plus d’un. Bien entendu, il existe un certain nombre de décrets de la Communauté française qui instaurent des orientations pédagogiques (le décret Missions entre autres). Et pourtant, beaucoup de ces orientations restent lettre morte, sont peu ou mal appliquées. D’aucuns avancent avec force que la pédagogie ne se décrète pas et qu’il n’est pas question de toucher à la liberté pédagogique des profs. D’autres rétorquent, avec raison, que trop souvent on met « la charrue avant les bœufs » et que tout nouveau décret d’orientation pédagogique doit impérativement s’accompagner de formations et d’accompagnement des enseignants.
Il importe surtout de définir ce que recouvre cette liberté pédagogique de l’enseignant. Si elle sous-entend que l’enseignant soit autonome et capable de mettre en place la pédagogie la plus efficace selon les élèves qu’il a devant lui, qu’il ait pour cela une « boite à outils » comprenant un éventail de méthodes appropriées aux situations auxquelles il est confronté et qu’il sache expliquer pourquoi, pourquoi faire et avec quels objectifs il les emploie, alors nous plaidons pour la liberté pédagogique. Et aux défenseurs de la liberté pédagogique telle qu’elle se pratique généralement aujourd’hui, nous demandons : peut-on parler de liberté pédagogique si l’enseignant n’est pas apte à enseigner autrement que ce qu’il fait, même s’il sait que d’autres possibles plus efficaces existent ?
Avec un cadre éthique défini, une formation initiale et continuée ambitieuse et un contrôle légitime qui permette à la Communauté française de piloter son enseignement, les libertés pédagogiques des professionnels de l’école, comme nous les avons définies précédemment, sont tout à fait compatibles avec les objectifs d’égalité et d’efficacité souhaités.
Notes de bas de page
↑1 | X. DUMAY, V. DUPRIEZ, L’efficacité dans l’enseignement, promesses et zones d’ombre, De Boeck, 2009, p. 7. |
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↑2 | Dont la plus connue est l’enquête PISA de l’OCDE qui a lieu tous les trois ans. |
↑3 | Notons à ce propos que bon nombre de détracteurs du décret mixité ont brandi cet article comme un rempart infranchissable : ces opposants ont tellement bien intégré ce qui leur avait été imposé (dans ce cas, cet article de la Constitution) qu’ils en arrivent à le défendre becs et ongles au nom de sa légitimité inaliénable. |
↑4 | Guide pratique de la rentrée 2007 : la France fait-elle le bon choix, entretien de N. MONS par F. JARRAUD, publié sur www.cafepedagogique.net. |