Piège à …

Si enseigner et gouverner sont deux
métiers impossibles, enseigner la
politique serait-elle la quadrature du
cercle ? Alors, si en plus, cela tombe
pendant une année électorale…
Potpourri d’essais et erreurs.

Expérience 1

Désireux de réduire la distance entre les politiciens
et les jeunes, j’organise avec d’autres collègues un débat
à l’école, organisé autour de questions préparées par les
élèves.

Pour ce faire, nous mettons à la disposition des différentes
classes du 3e degré un portefeuille d’articles de
presse couvrant les différents champs concernés (économie,
sécurité sociale, etc.), et soulevant des questions
centrales susceptibles d’accrocher les élèves. Ceuxci
lisent en diagonale, retiennent une problématique
qui les intéresse, se regroupent en
conséquence.

Sur ce thème choisi, ils lisent de
manière plus approfondie un dossier
plus complet, discutent, posent des
questions, notent les informations
de contexte nécessaires pour comprendre
les enjeux du débat, et formulent une ou des
questions destinées aux politiques.

Il n’est pas toujours facile de trouver des articles [1]Depuis lors, les principaux journaux, en période électorale, réalisent des dossiers thématiques où ils présentent sommairement la position des principaux partis sur un sujet … Continue reading

suffisamment explicites pour être accessibles à des
élèves qui suivent peu l’actualité. Le plus souvent, la
presse quotidienne est inutilisable, car basée sur beaucoup
d’implicites que ne peuvent combler que des
lecteurs assidus. L’alternative de la presse simplifiée
(l’Essentiel, le Petit Ligueur, Métro, etc.) présente le
défaut inverse : la synthèse est tellement bouclée que le
débat n’y apparait plus, ou il est réduit à sa plus simple
expression. Dans d’autres cas, le texte présente un point
de vue raisonnable et chèvre-choutiste qui évacue toute
contradiction ; parfois, le texte prend clairement position
en faveur d’une option au détriment des autres.
Mais on fait avec.

Le jour du débat arrive : si d’un côté, il est positif
de voir les élèves touchés par le fait que de grosses
pointures se soient déplacées pour eux, le pugilat verbal
entre les 4 candidats n’apporte pas que du positif.
D’abord, parce que la plupart des politiciens ont tôt fait
d’écouter les questions lues, par les élèves, la voix souvent
tremblante, pour se mettre à discuter entre eux.
Parfois, ils en oublient de vulgariser le contenu de leurs
propos, parfois, ils abusent dans le sens inverse et en
deviennent caricaturaux.

Au fil du débat se multiplient les effets de manche et
autres phrases assassines. Certains candidats tiennent
même des propos qui n’ont pas grand-chose à voir avec
ce qu’a fait ou ce que défend réellement leur parti, du
moment qu’ils peuvent séduire notre public.
Public qui n’intervient pas souvent : d’abord, parce
que donner un temps de parole à 4 candidats est mangeur
de temps, ensuite parce que peu d’élèves s’autorisent
à le faire. Cela va donc vite, on passe d’un sujet à
l’autre, de quoi se demander ce qu’ils peuvent s’approprier
réellement.

De leur côté, ne voulant pas déposséder les élèves de
« leur » débat et par souci de préserver une sacrosainte
neutralité, les enseignants n’interviennent pas.
Au fur et à mesure que les propos s’échauffent, les
jeunes se mettent à ponctuer les tirades enflammées de
certains candidats par des applaudissements trop nourris
et des « olé ! » retentissants. La télé, en pas mieux,
mais en 3 D…

Expérience 2

On ne m’y reprendra plus : plus de débats réunissant
tous les partis en présence d’un parterre de classes. Il
faut éviter au maximum les effets de masse.

Plus de dispersion non plus dans les thèmes traités :
on en travaillera un, et un seul, tous ensemble, avant la
rencontre. Je parie sur le fait que la perception des différences
entre partis sur ce sujet précis donnera une idée
plus exacte des positions globales des uns et des autres,
qu’un balayage d’ensemble.

Le point de départ reste globalement le même : portefeuille
de lecture (avec des articles brefs, destinés à

« La télé en pas mieux mais en trois D »

accrocher), ou, plus sommairement, une liste de phrases
« chocs » portant sur une problématique donnée (le prix
du logement explose, notre formation ne vaut plus rien,
etc.).

À ce stade, le portefeuille ou la liste couvre les compétences
de tous les niveaux de pouvoir (fédéral, régions,
etc.), quel que soit le niveau concerné par les élections.
J’organise un vote afin de lister les 5 sujets qui intéressent
le plus la classe. Puis, on regarde à l’aide d’un
tableau du CRISP et de cartes sur les niveaux de compétence
à quel niveau échoient les problèmes retenus.

Avec la question : va-t-on bientôt voter à propos de ces
problèmes ? On examine donc qui s’occupe de quoi dans
ce pays, ainsi que les logiques historiques qui ont amené
à la structure politique de la Belgique.
Puis, des problèmes sélectionnés et pour lesquels
on va réellement voter, on n’en retient plus qu’un seul.
Nouvelle phase de travail, à partir de documents audiovisuels,
de tableaux statistiques, d’articles qui listent
des faits, formulent des problèmes (de préférence, de
manière contradictoire) en envisagent les causes. On lit,
on analyse (voir grille ci-dessous), on discute, on essaie
de schématiser. On essaie de rencontrer un expert ou un
témoin de la question pour lui exposer ce qu’on a compris,
nos questions, etc.

Sur cette base, la classe se divise en différents groupes
pour rencontrer le candidat d’un parti de leur choix
(dans la mesure du possible). L’entretien commence
toujours par des questions plus globales : « Pourquoi et
comment êtes-vous entré en politique ? », « Pourquoi ce
parti ? », etc.).
Des questions génériques sont déterminées par les
grilles d’analyse données en classe : « Quel est pour vous
le problème ? », « Quelles en sont les causes ? », « Qu’avezvous
proposé concrètement durant la législature écoulée
? », « Avec quel résultat ? », « Que pensez-vous proposer
à l’avenir ? », « Pouvez-vous citer une proposition
intéressante défendue par un autre parti ? », « Une proposition
critiquable ? », « En quoi le sont-elles ? », etc.
La discussion entre le politicien et petit groupe
d’élèves est filmée pour pouvoir être montrée (entièrement
ou partiellement) après, à l’ensemble de la classe,
dans un travail de synthèse final, objet de l’évaluation.
Le fait de rencontrer le politicien en groupe restreint,
le plus souvent sur son lieu de travail, facilite la discussion.

De plus, puisqu’il n’est pas nécessaire de réunir tout
le monde au même moment, il est plus facile de mettre la
main sur un spécialiste du thème traité. En contrepartie,
cela demande de la souplesse au niveau de l’organisation
du travail, puisque les élèves ne partent pas faire les interviews
nécessairement au même moment (parfois, ils
doivent même partir pendant le cours d’un collègue…).
Il y a d’autres revers à la médaille : ce n’est pas parce
qu’on a travaillé le sujet préalablement que tous les
élèves le maitrisent comme il le faudrait, alors que je ne
suis pas là pendant la rencontre pour aider à formuler,
recadrer, expliciter.

Enfin, une seule rencontre pour faire connaissance
avec une personnalité, installer une confiance, s’approprier
et utiliser le travail fait en classe sur une problématique,
obtenir des réponses à toutes les questions,
comprendre et prendre distance par rapport au discours
et à l’analyse du politicien, pour éventuellement l’obliger
à expliciter, pointer des contradictions, etc., c’est très
court. Trop ?

Non-expérience 3

L’objectif est le même que celui de l’expérience 2,
mais en l’étalant sur plusieurs rencontres pendant l’année.
Cela permettrait de prendre une plus juste mesure
du travail d’un politicien sur le long terme, l’évolution
d’une problématique au fil du temps, etc. Si j’utilise le
conditionnel, c’est que l’expérience n’a pour le moment
pas été menée.

D’abord, parce que les principaux partis démocratiques
n’ont pas tous daigné répondre à l’invitation
que j’avais lancée, pour débroussailler le terrain, avant
d’adresser cette proposition de travail aux élèves. On
était sans doute trop loin des élections.

Ensuite, parce que les élèves eux-mêmes n’ont finalement
pas été preneurs du projet. Enfin, parce que je
ne sais même pas si l’école aurait accepté de se lancer
dans le casse-tête horaire qu’aurait supposé l’envoi de
différents groupes d’élèves, avec le risque que cela se
produise à différents moments pour chaque groupe, et
plusieurs fois dans l’année.

Épilogue

Finalement, s’occuper de politique alors que les élections
approchent, n’est-ce pas déjà trop tard ? Peut-être
l’expérience la plus intéressante que nous avons menée a
été de travailler sur un sujet indépendamment de toute
échéance électorale. Les modalités de travail étaient
celles de l’expérience 2, à la différence près que la rencontre
se faisait entre toute la classe et seulement deux
candidats politiques — choisis pour leur maitrise du sujet
et pour leurs positions opposées en la matière. Ceci, pour
limiter le nombre d’interventions, éviter le brouillage qui
y est lié, permettre à chaque candidat de mieux développer
son point de vue, augmenter le temps de discussion
avec la classe, etc..

Cela suppose, évidemment, de faire une tournante
entre partis, afin d’assurer un équilibre.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Depuis lors,
les principaux
journaux, en
période électorale,
réalisent des dossiers
thématiques
où ils présentent
sommairement
la position des
principaux partis
sur un sujet traité.
Malheureusement,
les positions des
uns et des autres
sont souvent trop
résumées (ou très
partielles, parfois
même de manière
caricaturale).