« Dites, la PI, il parait que ça marche,
je ne sais pas trop ce que c’est et
personnellement, j’y crois pas trop, mais
vous ne pourriez pas venir installer ça
chez nous, une fois ? »
Un groupe de travail
européen sur le décrochage
scolaire me
demande de venir
présenter en une
demi-heure ( je vous le jure !) ce
qu’est et fait la CGé, l’organisation
de Tenter Plus (classe coopérative
verticale), ce qu’est la PI et ce qu’elle
peut faire contre le décrochage et
pourquoi je ne suis pas d’accord
avec cette entrée
par le décrochage.
Une professeure de
Haute École pédagogique
nous demande
de pouvoir venir
nous « observer »
avec ses étudiants tel
jour telle heure pour
comprendre « l’autogestion
et la pédagogie institutionnelle
». Une directrice du secondaire
nous demande d’accompagner un
projet de pédagogie institutionnelle
dans deux classes de 3e et 4e, mais
sans aucun moyen supplémentaire
ni formation des enseignants, en
respectant strictement le règlement
et les habitudes de l’école, sans rien
changer donc, mais en exigeant
après un an des résultats significatifs.
Etc.
Bonne nouvelle : la prise de
conscience qu’il y a un problème
et qu’il serait peut-être temps d’essayer
autre chose se répand. Les demandes
concernant la PI augmentent
significativement. Mauvaise
nouvelle : le problème est souvent
mal posé et la solution définitive
(finale ?) exigée…
Prenons l’exemple du décrochage.
Excellent thème, très porteur,
le décrochage ! Rien de tel pour financer
un groupe ou une recherche.
C’est drôle, à CGé, on ne parle pas de
décrochage, mais d’exclusion. Ah !
Le pouvoir des mots ! Souvenezvous
de vos cours de grammaire :
« Une pédagogie
pour lutter contre
les exclusions et
contre le système
qui exclut. »
pour accorder les verbes d’action,
cherchez le sujet qui fait l’action.
Qui décroche ? Certains élèves, pas
tous, c’est leur responsabilité. C’est
eux qu’il faut changer. Qui exclut ?
Le système scolaire, le plus souvent
à la suite du système social, c’est lui
le responsable et lui qu’il faut changer.
Vous commencez à comprendre
pourquoi on finance plus facilement
des projets sur le décrochage et pourquoi
les directeurs commandent une
pédagogie raccrocheuse ?
De manière générale, une moitié
des commandes concernent l’implication
(ou plutôt la désimplication)
des élèves, leur (manque de)
travail, leur (in) attention, leur (in)
appétence, leur décrochage. Avec
bien sûr si possible, le dépistage des
élèves à risques pour prévenir le décrochage.
Si, si, si ! Il y a des élèves
qui naissent inappétents, prêts à
décrocher, il suffit de les repérer
et d’adopter les bonnes stratégies
de prévention : vous pourrez alors
déposer sur un site prévu pour cela
vos « bonnes pratiques » qu’il suffira
d’appliquer[1]Voir par exemple
http://ick.li/VkLosz…
L’autre moitié des commandes
est motivée par des problèmes d’indiscipline,
d’incivilité, de violence.
Avec la même remarque, en plus
urgent, sur le dépistage précoce de
ces élèves nés agressifs et rebelles.
Et d’en appeler alors à une pédagogie
institutionnelle pacificatrice
(castratrice ?) !
C’est donc pour des élèves « en
retrait » et/ou « en révolte » [2]« En retrait » et
« en révolte » sont
les deux catégories
d’élèves qui, pour
François Dubet,
anticipent ou réagissent
au jeu de
dupes que l’école
leur propose. Lire
« L’école et … Continue reading que la
pédagogie institutionnelle est appelée
à la rescousse. De quoi est-ce
qu’on se plaint ?
La pédagogie est politique (et
la politique est pédagogie aussi
d’ailleurs, mais ce serait une autre
question). La fin ne justifie pas les
moyens. La fin suppose des moyens
qui contiennent déjà la fin. Si nous
avons tant de mal à répondre aux
demandes et si nos réponses sont
tellement insatisfaisantes, c’est tout
simplement parce qu’une pédagogie
émancipatrice ne pourra jamais
sauver l’ordre établi…
On attend de la PI le contraire de
ce pour quoi elle a été inventée. Le
Conseil ne peut servir à écrire un
règlement (une charte !) pour soumettre
les élèves à ce que l’enseignant
ou l’école se révèle impuissant
à leur imposer. Il ne peut servir
non plus à faire faire aux élèves ce
que les adultes se révèlent incapables
de faire entre eux. Le Quoi
d’neuf ou autres entretiens familiers
ne peuvent servir à trouver le
père alcoolique qui explique le retrait
ou la révolte et permet l’étiquetage
(pardon, le dépistage) définitif.
Les responsabilités ne sont pas des
« charges » imposées (effacer le tableau
à la place de l’enseignant). Les
temps de paroles n’ont pas vocation
moralisatrice…
Les techniques Freinet ne sont
pas que des techniques. Les institutions
ne sont pas qu’instituées. Il ne
s’agit pas de trouver des stratégies
efficaces pour des élèves, objets de
nos transmissions et enseignement.
Les techniques Freinet et la pédagogie
institutionnelle, c’est d’abord
un projet politique, un projet de
société, un collectif où on partage
le pouvoir pour en détenir plus,
chacun et ensemble, un collectif de
sujets soumis à une Loi commune,
où, à la fois, on exige toujours plus
de chacun et où, à la fois, chacun est
plus reconnu dans sa singularité,
quelle qu’elle soit.
De nombreux enseignants, et
même des directeurs, c’est plus rare,
sont prêts pour cette demande : une
pédagogie pour lutter contre les
exclusions et contre le système qui
exclut. Leurs attitudes ne naissent
pas d’un refus d’un changement
aussi politique que pédagogique,
mais d’une inconscience culturellement
généralisée du caractère politique
des modèles dominants, dont
principalement le modèle médical
individualiste « diagnostic — remédiation
» qui occulte les dimensions
collectives et empêche la remise en
question des dispositifs en place.