Plans de pilotage : les syndicats sur le qui-vive

Article paru dans le dossier «»Pilotage des écoles, comment atterrir ?»» de la Revue Nouvelle 2022/01

Le Pacte pour un Enseignement d’Excellence semblait vouloir revaloriser le métier des enseignants. Cette intention parviendra-t-elle à franchir l’obstacle des structures intermédiaires (Réseaux et Pouvoirs organisateurs) ? Ou au contraire, l’autonomie que les Plans de Pilotage sont censés apporter aux équipes éducatives sera-t-elle confisquée par les directions, les Pouvoirs Organisateurs et les Réseaux ?

En 2015, le processus d’élaboration du Pacte pour un Enseignement d’Excellence (désormais le Pacte dans ce texte) a pris le temps de faire l’analyse des difficultés auxquelles l’enseignement faisait face en Fédération-Wallonie Bruxelles (FWB), avec l’ensemble des acteurs institutionnels de l’école (les représentants de la Ministre, de l’administration, des Réseaux, des parents et des personnels de l’école). L’approche participative de la démarche a permis de mettre en évidence les aspects systémiques de ces difficultés. Il ne s’agissait plus de chercher la cause, le responsable et de lui imposer la solution qui provoquerait le changement souhaité, mais de comprendre comment, depuis son organisation jusque dans la classe, le système scolaire dans son ensemble et à tous les niveaux, dans sa structure, son organisation, son fonctionnement, ses méthodes et ses pratiques, tricotait de réforme en réforme sa propre inefficacité et réduisait tous les acteurs à l’impuissance.
Le Pacte s’est ensuite peu à peu structuré autour de trois grands axes de réformes : la régulation du système scolaire (Plans de Pilotage), le parcours des élèves (Tronc Commun) et le métier d’enseignant (Revalorisation du métier). Chacun de ces axes de réformes n’a de sens qu’en lien avec les deux autres et se décline lui-même en plusieurs réformes. L’enjeu est de rendre possibles pour les acteurs de tous les niveaux, des changements progressifs de posture et de pratiques, poursuivant les mêmes objectifs d’amélioration du système scolaire.
Ainsi, le Tronc commun se décline en réformes profondes concernant les savoirs et compétences enseignés, les modalités d’évaluation, de suivi des difficultés des élèves, d’orientation scolaire, la revalorisation de l’enseignement qualifiant, l’organisation du travail dans les établissements scolaires… Il doit s’articuler avec la réforme des Plans de Pilotage (comment, par exemple, les équipes éducatives dans leur établissement scolaire en particulier, peuvent décider des modalités de mise en œuvre du tronc commun et améliorer ainsi leur contribution aux objectifs du système scolaire). Il s’articule aussi à la Revalorisation du métier d’enseignant (comment, par exemple, repenser la formation initiale et continue des enseignants pour qu’ils soient en mesure de réussir à faire progresser tous les élèves ensemble et avec beaucoup moins de redoublements jusqu’à la fin du Tronc commun.)
On le voit, les Plans de Pilotage sont non seulement un maillon dans une toile de réformes plus vaste, mais aussi nécessairement reliés à l’ensemble de ces réformes par le sens qu’elles contribuent à leur donner. Il faut des réformes pour rendre l’élaboration des Plans de Pilotage possible, il faut des Plans de Pilotage pour rendre les autres réformes possibles.

Autonomie et reddition de comptes

L’ambition des Plans de Pilotage est de sortir des logiques d’injonctions successives et ciblées (par exemple la réforme du premier degré de l’enseignement secondaire) émanant du Pouvoir régulateur (la FWB) qui paralysent les acteurs et désorganisent le système scolaire plus qu’elles ne parviennent à le faire changer. Les acteurs au mieux s’exécutaient pour la forme, faisaient mine d’accepter des changements (le non redoublement entre la première secondaire et la deuxième) dont l’efficacité leur semblait contredite par leur expérience quotidienne et se repliaient sur leur territoire (le projet d’établissement pour le Pouvoir Organisateur, la classe pour l’enseignant) à l’abri des regards pour continuer à faire comme avant tout en mimant les nouvelles consignes.
La logique des Plans de Pilotage en FWB est la suivante : le Pouvoir régulateur fixe les objectifs d’amélioration du système que devra poursuivre chaque établissement (on pousse tous dans la même direction) mais ne prescrit plus de méthode pour y parvenir ; dans chaque établissement, l’équipe éducative collectivement, avec les moyens et les infrastructures dont elle dispose, et pour ses élèves, décide des stratégies et des actions qu’elle considère comme adaptées à son contexte. Le Pouvoir régulateur vérifie que ces stratégies et ces actions contribuent aux objectifs d’amélioration du système, et l’équipe éducative met en œuvre les actions de son plan de pilotage, devenu Contrat d’objectifs. Tous les ans, l’équipe vérifie qu’elle va dans le bon sens et, le cas échéant adapte les stratégies et actions ; après trois ans, l’équipe rend des comptes au Pouvoir régulateur, fait le point avec un Délégué au Contrat d’Objectif (DCO, représentant du Pouvoir Régulateur) et, le cas échéant, adapte les stratégies et actions ; après 6 ans, l’équipe écrit un nouveau Plan de pilotage à partir de sa nouvelle situation. De son côté, le Pouvoir régulateur récolte des données sur l’évolution du système scolaire pour vérifier qu’il évolue vers les objectifs d’amélioration qu’il a fixé et, le cas échéant, prend des décisions pour corriger le tir.
On le voit, c’est un système qui fixe des objectifs communs à tous les établissements, augmente la capacité du pouvoir régulateur à contrôler les objectifs poursuivis par les établissements scolaires, mais qui, a contrario, laisse beaucoup d’autonomie aux équipes éducatives, tant en termes d’organisation interne que de choix des méthodes pédagogiques. Pour les enseignants, cela devait correspondre à une revalorisation de leur métier, une reconnaissance de l’importance de leurs compétences professionnelles et une augmentation de leur pouvoir collectif sur les conditions d’exercice de leur métier ainsi que sur les choix pédagogiques et didactiques opérés dans leur établissement.

L’obstacle des niveaux intermédiaires

Ce qui précède dissimule cependant la complexité qui l’entoure.
Notre système scolaire n’est pas organisé en deux niveaux (Pouvoir Régulateur, établissement scolaire) mais en quatre niveaux. Entre l’équipe éducative de chaque établissement scolaire et le Pouvoir Régulateur s’interposent des structures intermédiaires qui représentent les 5 Réseaux (qui fédère chacun des pouvoirs organisateurs : SEGEC “ Réseau libre confessionnel catholique, CECP – Réseau public communal, CEPEONS – Réseau public provincial, FELSI “ Réseau libre non confessionnel et WBE “ Réseau public de la FWB) et dans tous les Réseaux [1]sauf pour WBE qui est à la fois Réseau et Pouvoir Organisateurdes Pouvoirs Organisateurs (PO, qui sont les autorités qui assument la responsabilité juridique d’un ou plusieurs établissements) publics ou privés, indépendants les uns des autres. Ces deux niveaux font véritablement obstacle entre les équipes éducatives et le Pouvoir régulateur en ce sens qu’ils se constituent eux-mêmes en Pouvoir régulateur local, fixant des couches d’interprétation des règles et de contre-pouvoir, produisant des prescrits locaux (programmes, modalités d’inscription, d’évaluation, d’engagement des personnels, de management, d’utilisation des ressources) qui n’entrent en résonnance avec les objectifs du Pouvoir régulateur que dans la mesure où cela leur permet de poursuivre les intérêts de leur organisation.
Cette situation conduit à une accumulation de pouvoirs et de moyens humains et financiers dans les structures intermédiaires qui ne cessent de se renforcer et tendent à s’accaparer l’autonomie que le Pouvoir régulateur a laissé aux établissements, au nom de leur projet de Réseau ou d’établissement. Ce qui devait renforcer le pouvoir collectif des équipes éducatives sur ce qu’il y a lieu de faire pour améliorer la situation au profit des apprentissages des élèves est partiellement ou totalement confisqué soit par les Réseaux soit par les Pouvoir Organisateurs (PO). Le renforcement des structures hiérarchiques verticales dans le fonctionnement tant des Réseaux que des établissements tend à replacer aux niveaux intermédiaires (Réseaux) et local (PO) le pouvoir d’injonction auquel a renoncé le Pouvoir Régulateur.
Cette situation a deux conséquences majeures : d’une part le renforcement des capacités de mise en concurrence des établissements entre eux, chaque Réseau et chaque établissement poursuivant désormais plus librement sa politique de positionnement sur le marché scolaire ; et d’autre part l’augmentation du risque de mise au pas des enseignants, contraints de devenir les exécutants de stratégies apparaissant comme décidées collectivement au niveau local mais résultant dans les faits de décisions élaborées par les Pouvoirs Organisateurs et/ou leur délégué (la direction) et avalisées dans des processus pseudo-démocratiques dans lesquels les personnels ne sont impliqués que pour la forme.

Des cadres et de l’évaluation

Craignant les difficultés que ce coup de force pourrait créer pour les directeurs dans la gestion des relations de travail, les Réseaux, des PO et certains directeurs réclament à hauts cris un système d’évaluation systématique des enseignants. Selon eux, les chefs d’établissement devraient pouvoir sanctionner, jusqu’à la possibilité de la perte d’emploi, les membres du personnel qui feraient preuve d’incompétence ou de mauvaise volonté[2]Négociation en cours d’un décret sur l’évaluation des personnels de l’enseignement. On voit mal dans un tel climat, comment la confiance nécessaire au travail collectif de réflexion sur les pratiques pourrait s’instaurer et comment ce travail collaboratif pourrait conduire à autre chose qu’à la production d’un voile de conformité masquant les difficultés pourtant bien réelles du travail pédagogique.
L’école a décidément des difficultés à renoncer à ce qui la paralyse pourtant depuis plus de trente ans, des injonctions, des prescrits pédagogiques et des règlements qui tentent d’obtenir par la contrainte les changements dans les pratiques et l’amélioration du système scolaire. Quand le Pouvoir Régulateur cherche à redonner de l’autonomie aux équipes éducatives, ce sont les structures intermédiaires qui s’en emparent, stoppant net les possibilités d’évolution des pratiques et dévalorisant un peu plus le métier d’enseignant.
Dénoncée comme vaine et contreproductive dans la phase diagnostique qui a conduit à l’élaboration du Pacte, cette stratégie craint tellement son propre échec qu’elle s’accompagne de revendications de renforcement à la fois symbolique et réelle des structures hiérarchiques chargées de l’appliquer (revalorisation barémique des directions, augmentation du personnel administratif dans les écoles, utilisation des moyens de l’encadrement pédagogique des élèves pour créer des postes de coordinateurs choisis par la direction, affirmation du leadership pédagogique des directions).
Les méthodes d’élaboration des plans de pilotage inspirées du management privé sont diffusées aux établissements comme des prescrits du décret Pilotage alors qu’elles sont des prescrits des Réseaux, via la formation Réseau de leurs directeurs et de leurs Conseillers au Suivi et à l’Accompagnement des Plans de Pilotage. Ces méthodes cadenassent, au sein d’un « Comité de Pilotage » restreint contrôlé par la direction, le pouvoir d’identification des difficultés et de proposition, réduisant le travail collaboratif des équipes éducatives à une entreprise de persuasion et d’acceptation des choix opérés en disqualifiant tout ce qui pourrait s’en écarter, sous couvert d’une obligation de résultat qui serait imposée par le Pouvoir Régulateur.
Là où le Pacte prétendait s’appuyer sur les compétences collectives d’équipes éducatives mobilisées autour d’un travail collaboratif de réflexion sur les pratiques et revalorisées par une conception plus collective du métier d’enseignant, les Réseaux et les PO cherchent à reconstruire au niveau local la chape de plomb de la prescription des bonnes pratiques partout où c’est possible.

Perte d’équilibre

Pour l’instant, la pression accrue sur les enseignants et les équipes éducatives en général décrite ci-dessus n’est encore ni généralisée ni complètement opérationnelle, notamment parce qu’il lui manque le bâton de l’évaluation sanction pour s’imposer et parce que les bonnes relations entre les enseignants, les éducateurs et la direction dans beaucoup d’établissements en ont atténué les effets.
Cependant, les enseignants ressentent de plus en plus que les améliorations attendues du système scolaire et de la réussite des élèves reposent quasi exclusivement sur leurs épaules. Dans cette perspective, la non atteinte des objectifs sera immanquablement imputée à la mauvaise volonté ou à l’incompétence des enseignants. Les directions et les pouvoirs organisateurs des écoles, quant à eux, sortent du Pacte globalement renforcés (plus de soutien et plus de pouvoir discrétionnaire), alors qu’on demande aux enseignants d’en faire plus, qu’on cherche à augmenter le contrôle sur leur travail et la possibilité de les sanctionner.
L’insistance sur le management, symbolisée par cette revendication récurrente de mise en place d’une évaluation individuelle systématique, tend à réduire les enseignants à de simples exécutants, les rend dépendants de PO auxquels ils seront redevables de leur emploi et leur fait courir le risque d’une évaluation de conformité aux attentes du PO qui les paralysera plus qu’elle n’aura de chance de les motiver.
Les équilibres qui ont mené à l’élaboration du Pacte ne se lisent pas que dans le texte du Pacte mais aussi sur le terrain, dans la manière dont les mesures se traduisent dans les établissements scolaires. Or, nous devons bien constater que ce qui devait être via les Plans de Pilotage, l’occasion de redonner du pouvoir collectif aux enseignants sur les conditions d’exercice de leur métier (leadership partagé et autonomie des établissements, travail collaboratif et promotion du modèle du praticien réflexif) tend à se transformer en augmentation unilatérale du pouvoir des Réseaux, des PO et des directions sur les équipes éducatives. Cette augmentation de leur pouvoir donne déjà lieu à des abus, démotive les enseignants les plus motivés pour le travail collaboratif et instille un climat de méfiance qui fragilise les conditions de réussite du Pacte. La mise en œuvre d’une évaluation sanction individuelle et systématique ne ferait que renforcer cette tendance.
La conséquence en est qu’il est de plus en plus difficile de trouver de bonnes raisons pour les enseignants d’entrer dans la logique du Pacte : du travail en plus, plus de contrôle, et moins de pouvoir sur leur métier. Pourquoi collaboreraient-ils ?
De plus, la réforme de la Formation Initiale des Enseignants (FIE) devait initialement renforcer les compétences de tous les enseignants au moyen d’une formation du niveau master en 5 ans et conduire à une revalorisation de leur salaire. Cette réforme avait pour but de mieux les préparer à affronter les défis posés par le Pacte (Tronc commun, nouveaux référentiels, évaluation formative, accompagnement personnalisé, travail collaboratif de réflexion sur les pratiques, élaboration des Plans de Pilotage). Cette réforme, ramenée dans sa forme actuelle à une prolongation d’un an pour les instituteurs et les régents, remet désormais en question la possibilité de l’atteinte des objectifs de renforcement de leurs compétences et l’augmentation de leur salaire.

Apprendre ensemble

Les systèmes de management qui fondent leur efficacité sur la capacité de concepteurs « sachant » à imposer leurs solutions et à persuader les exécutants « ignorants » de mettre en œuvre des consignes et des procédures pensées pour eux, ont conduit à des impasses[3]Etat des lieux, Rapport du Groupe de Travail 1, Pacte pour un enseignement d’excellence, juin 2015, p 187 à 204, http://hdl.handle.net/2268/193879. Face à ce constat, l’autonomie des établissements cherche à valoriser les savoirs et compétences que les professionnels qu’ils emploient détiennent sur leur fonctionnement et leurs difficultés. A partir d’une diversité des points de vue au départ sur « ce qu’il y a lieu de faire » (praticiens, cadres, experts), il s’agit de chercher à promouvoir, par la collaboration et la confrontation entre les acteurs, la mise en œuvre des compétences et savoirs de tous au service d’une amélioration de la situation.
Cela n’est pas sans risques, comme le note Michèle Garant, « les organisations cherchent à convertir les identités professionnelles classiques au profit d’une culture d’organisation. La professionnalisation se réfère alors à une nouvelle mobilisation des salariés dans des contextes de travail plus flexibles, des parcours plus individualisés inscrits dans un cadre de référence commun »[4]Michèle GARANT, « Apprentissage organisationnel », Dictionnaire des concepts de la professionnalisation, p. 35, 2013. . En clair, pour un rien, on se retrouve à s’imposer à soi-même une déterioration des conditions de travail au nom des intérêts supposés de l’établissement.
Or, la culture professionnelle des enseignants souffre d’un éparpillement dans de multiples identités professionnelles individuelles. Elle est donc quasi inexistante, affaiblie et peu, voire pas du tout, légitime pour dire les conditions d’existence du métier. Cet éparpillement est un obstacle à l’élaboration, l’amélioration et l’accumulation dans une culture professionnelle commune des savoirs et compétences propres à la pratique du métier. La voix et la voie sont dès lors entièrement libres pour les experts qui élaborent des savoirs et des compétences pour le métier à partir de rationalités qui disqualifient le plus souvent l’expérience de la pratique professionnelle. Et c’est d’ailleurs avec beaucoup de légitimité qu’ils le font puisque chaque enseignant ne perçoit la pratique professionnelle du métier qu’au travers de son expérience unique et partielle/partiale.
Une vision plus systémique, collective et collaborative du métier permettrait de corriger ce déséquilibre entre la rationalité des experts de l’organisation scolaire (techniques, didactiques, pédagogiques, gestionnaires) et la rationalité pragmatique de la pratique professionnelle. Ce déséquilibre est d’autant plus dommageable qu’il est à l’origine de résistances réciproques auxquelles se heurtent toutes les tentatives de faire évoluer les pratiques des enseignants.
Dans le rapport entre pouvoir de l’institution (de l’établissement, du Réseau) et légitimité de leur culture professionnelle, les enseignants sont en position de dominés. Ils n’y échappent que dans le « secret » de leur classe et le « secret » de leur travail hors classe quand ils ont un peu d’expérience et que leur statut les protège légalement un peu des pressions et menaces que fait peser sur eux l’institution. Toute tentative de briser ce secret, d’en fragiliser les contours est donc perçue directement par les enseignants comme une tentative de leur retirer le peu qu’il leur reste de capacité de résistance.
On ne fera dès lors évoluer durablement les pratiques professionnelles des enseignants que s’ils parviennent à renforcer leur culture professionnelle non en opposition mais en contrepoint à la culture de l’institution (de l’établissement, du Réseau), c’est-à-dire avec toute la légitimité que peut leur apporter l’organisation, de manière « organique », en instituant dans l’établissement, un leadership pédagogique partagé, dénué de toute velléité de sanction, afin de créer les conditions de l’accumulation de cette culture professionnelle commune portée par les objectifs d’amélioration du système scolaire.

Pour un leadership pédagogique partagé

Vu du côté des enseignants (côté équipe et animation pédagogique), les enseignants recrutés s’insèrent dans des équipes avec des compétences plus ou moins évidentes, plus ou moins révélées. Comme tous les enseignants, ils commencent avec de gros défauts, et des problèmes de différents types, mais progressent peu à peu et, s’ils sont bien entourés, finissent par devenir de bons professionnels.
Les enseignants, entre eux, doivent pouvoir, par le travail collaboratif, élaborer les éléments constitutifs de leur métier et les accumuler dans une culture professionnelle commune. Cela signifie concrètement qu’il faut favoriser toutes les possibilités d’organisation du travail en équipes qui permettent aux enseignants d’avoir un regard réflexif sur leur pratique professionnelle, de produire des savoirs et compétences sur cette pratique, de les diffuser entre eux, dans l’équipe, dans l’établissement, entre établissements, entre réseaux, de les confronter à ceux des experts, et de les mettre en œuvre dans leur pratique.
C’est tout le sens du renforcement de la culture professionnelle des enseignants dans la culture de l’organisation (de l’établissement, du réseau), non pour s’y opposer, mais pour y contribuer de manière délibérée, choisie et collective. Les enseignants pourraient ainsi revendiquer la rationalité de leur expérience par leurs pratiques partagées. Leurs connaissances et compétences communes accumulées dans le travail collaboratif entre pairs pourraient servir de repères à tous, à côté de la rationalité des gestionnaires et des experts, et renforcer les capacités des établissements à s’améliorer.
A contrario, la mise en place d’une évaluation systématique pouvant déboucher sur des sanctions (la menace suffit) induit un climat de méfiance qui rend impossible le travail réflexif collectif sur les pratiques et génère des comportements apparents de soumission aux normes, la production d’informations fictives visant à attester que « tout va bien » et le repli dans la sphère individuelle du travail pour lui donner du sens.
Au niveau de l’établissement, dans la mise en œuvre du travail autour de la rédaction des Plans de Pilotage on peut voir clairement si l’autonomie accordée aux établissements par le Pouvoir Régulateur donne aussi de l’autonomie collective aux enseignants. L’enjeu est que le travail de rédaction du Plan de Pilotage soit l’occasion de mobiliser l’équipe éducative autour d’un diagnostic commun, du choix des objectifs prioritaires qui en découlent et des stratégies à mettre en œuvre. Concrètement, pour les enseignants, cela revient à analyser leur institution et leurs pratiques afin de décider, ensemble, de stratégies et des actions communes.
Dans l’élaboration des Plans de Pilotage, l’enjeu central est de savoir quel type de «»leadership pédagogique»» va se mettre en place dans l’établissement. Le Pacte n’en dit rien et c’est donc au niveau de l’établissement que tout se joue, entre deux modèles opposés et aux conséquences fort différentes sur les conditions de travail.
Les réseaux et certains PO semblent plébisciter un leadership pédagogique de type vertical détenu par le PO et la direction, avec des enseignants exécutants. C’est ce leadership qui serait renforcé par l’évaluation sanction des personnels réclamée par les Réseaux. Diagnostic, stratégies et solutions seraient élaborés par le PO et/ou la direction, l’équipe éducative serait consultée, le Plan de Pilotage serait une contrainte de plus pour l’équipe éducative et les capacités de l’équipe éducative à agir sur son travail et les conditions de son exécution seraient fortement diminuées.
Les organisations syndicales et certains PO et directeurs plaident pour un leadership pédagogique de type plus horizontal, partagé avec l’ensemble de l’équipe éducative et qui s’appuie sur une évaluation collective des pratiques. La participation active de l’équipe à l’élaboration du diagnostic, ainsi que des stratégies et des solutions renforçant la culture professionnelle de l’équipe éducative.
Pour les enseignants, l’enjeu est triple. Il s’agit à la fois de revaloriser leur métier en lui reconnaissant des compétences sur le terrain, de donner du sens au travail collaboratif comme outil de réflexion sur les pratiques et l’utilisation des ressources de l’établissement, et de faire en sorte que le Plan de Pilotage ne soit pas une contrainte inutile de plus (dérive technocratique et/ou bureaucratique).

Cet article fait partie d’un dossier consacré au Pilotage des écoles et est disponible sur le site de la Revue Nouvelle: https://www.revuenouvelle.be/2022-01

 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 sauf pour WBE qui est à la fois Réseau et Pouvoir Organisateur
2 Négociation en cours d’un décret sur l’évaluation des personnels de l’enseignement
3 Etat des lieux, Rapport du Groupe de Travail 1, Pacte pour un enseignement d’excellence, juin 2015, p 187 à 204, http://hdl.handle.net/2268/193879
4 Michèle GARANT, « Apprentissage organisationnel », Dictionnaire des concepts de la professionnalisation, p. 35, 2013.