Après avoir hésité, je décide d’entamer un travail sur la posture d’auteur en sondant les représentations initiales des élèves. Ils sont en 5e primaire et viennent de milieux sociaux différents. Ils maitrisent la langue française comme des débutants ou des experts et ont un parcours scolaire sans accroc ou particulièrement chaotique.
Dans un premier temps, je leur propose d’écrire, sous forme de mur parlant, les mots qui expriment le mieux ce qu’est être un auteur. Ensuite, je leur demande de rédiger un texte court qui explique quelles sont les situations d’écriture proposées en classe qui leur permettent d’être un auteur. Yassine dit qu’on peut être auteur quand on écrit les textes libres et les poésies.
Samia complète en disant : « Moi quand j’écris dans mon cahier de textes libres, j’écris plein de choses chouettes sur ma vie et après quand je m’ennuie à la maison, je crée des histoires qui parlent de ma vie. Et après, je les raconte à ma petite sœur. Et j’ai l’impression d’être un auteur. » Ishak, quant à lui, répond qu’il est auteur quand il mémorise des textes, apprend à lire et qu’il fait des photocopies.
Je me rends compte, à la lecture de leur production, que la majorité des élèves se sentent « auteur » lorsqu’ils écrivent des textes libres ou des poésies. Et c’est bien normal !
Les ateliers que j’ai mis en place depuis la rentrée se cantonnent à la production de textes libres et à la création de poésies. Je décide de proposer des ateliers d’expression pour élargir leur palette de types d’écrits et leur permettre d’affiner leur perception de cette posture d’auteur. Je les plonge dans trois ateliers d’écriture[1]S. SCHNEIDER, « Ateliers d’expression », Éditions Accès. qui portent les noms « Aller simple », « Je suis » et « Un peu timbré ».
« Aller simple » permet de s’exprimer à partir d’un document authentique, dans ce cas-ci une invitation. Les élèves annotent toutes les données du document en les associant à une idée, un évènement, un commentaire. L’objectif n’est pas de produire un texte, mais de commenter toutes les parties d’un document.
« Je suis » permet de se connaitre et de connaitre l’autre en partant de ses gouts. Les élèves répondent à différentes questions et les associent ensuite par paire.
« Un peu timbré » permet d’écrire un texte à partir d’un timbre. L’élève choisit un timbre qu’il colle sur une enveloppe. Il doit ensuite prolonger le dessin en imaginant le personnage. Lorsqu’il est créé, l’élève doit lui donner vie par l’écriture.
Lorsque j’ai mis ces ateliers en place, j’avais des doutes sur la pertinence de mon choix. Cadenasser les élèves dans une structure établie, était-ce la meilleure solution pour qu’ils deviennent auteurs ? Pas sûr ! Pourtant, lors des ateliers, les élèves sont motivés et se sentent pleinement responsables de leur texte. J’entends certains dire que c’est génial de pouvoir écrire comme ça et qu’ils sont impatients de lire leur œuvre à la classe ! Me voilà soulagée et un peu plus convaincue qu’ils sont en train de ressentir le plaisir d’être auteur. C’était sans compter sur Chaïmae, Kacper, Yassine, Sylvanos, Anthony et Iris qui sont venus m’expliquer qu’ils n’ont pas écrit, car ils ne savent ni écrire ni ce que j’attends d’eux. Chaimae m’explique qu’elle n’a pas écrit, car elle ne veut pas partager avec les autres élèves des informations personnelles. Elle ajoute que ce serait bien plus facile d’écrire n’importe quoi pour ne pas se dévoiler. Elle n’est pas prête à partager et ne veut pas qu’on se moque d’elle. Kacper et Sylvanos n’aiment pas écrire en français. Ils trouvent que c’est beaucoup trop compliqué ! Ils ajoutent, en chœur, qu’ils sont trop mauvais et qu’ils vont avoir de mauvais points s’ils le font.
Imaginez mon état d’étonnement après ces réflexions alors que l’erreur fait partie de l’apprentissage et que les points n’existent pas dans ma classe…
Pour Anthony et Iris, les raisons du refus sont plus opaques. Ils n’osent pas se lancer dans l’écriture, ils ont peur de mal faire et ne savent pas par où commencer. La tâche que je leur demande leur semble énorme. Ils sont déstabilisés par les autres, par le rythme ainsi que par l’obligation de résultat. J’ai beau leur expliquer qu’ils peuvent « oser, se lâcher, créer » : rien n’y fait. Ni production ni plaisir. Est-ce les références culturelles qui sont trop éloignées, le manque de temps pour verbaliser, le sentiment d’insécurité trop développé ou encore le manque de créativité. La question reste posée ? _ Que penser de ce non-investissement ? Leurs raisons sont fort différentes pourtant le résultat est le même : pas de production. J’analyse ce manque d’investissement selon deux axes distincts, mais complémentaires.
Premièrement, ce manque d’investissement serait une protection face aux manques de moyens techniques maitrisés. Ils ne maitrisent ni le langage, ni les univers, ni les effets qu’il faut produire pour être auteur. Deuxièmement, ils n’ont ni projet d’écriture réel ni d’ambition esthétique. Ils ne peuvent de ce fait être auteurs puisqu’être auteur c’est d’abord avoir une intention artistique comme l’écrit Catherine Tauveron[2]C. TAUVERON, « De la lecture littéraire à l’écriture à l’intention littéraire ou comment construire une posture d’auteur à l’école », IUFM de Bretagne..
Et me voilà à nouveau devant des doutes : textes libres, ateliers d’écritures, poésies… ? Le temps scolaire n’est pas élastique et il me faudra bien choisir et sans doute varier les dispositifs que je mets en place pour faire écrire tous les enfants, surtout Chaïmae, Kacper, Yassine, Sylvanos, Anthony et Iris.
Je reprends donc la lecture d’auteurs qui se sont penchés sur cette question et notamment celle d’un article de Catherine Tauveron. Je décide de (re) commencer en appliquant quelques principes repris de celui-ci. Pour qu’un élève devienne auteur, il faut lui donner le projet de l’être en le rendant responsable de sa production (j’aiderai donc mes élèves à clarifier leur projet artistique, à écrire comme si quelqu’un d’autre avait besoin de cet écrit), en l’encourageant à trouver son style à partir de son expérience de lecteur (je proposerai à mes élèves de copier, dans un carnet d’écrivain, les phrases et les mots qui pourrait leur servir de base à une future production, de dessiner un personnage rencontré lors de leurs lectures et de lui donner vie par l’écriture, d’utiliser leur cahier de cercles de lecture pour y retrouver des propos d’auteur), en l’incitant à verbaliser avec ses pairs pour créer une communauté d’auteurs (j’instituerai un temps où les élèves expliqueront aux autres leur projet artistique et lors duquel les autres pourraient l’aider à affiner son projet).
Il y a du boulot, mais j’y crois ! À quand la prochaine désillusion… Auteur, avez-vous dit !