Pour quels élèves ?

Ce n’est pas la pauvreté qui est intolérable, c’est le mépris.
Voltaire

Le projet primordial du praticien de la Pédagogie Institutionnelle est bien sûr la réussite scolaire et personnelle de tous ses élèves sans exception, quelle que soit leur situation sociale, familiale, scolaire. Mais la P.I. met l’accent en priorité sur l’ici et maintenant de la classe institutionnelle et ce qui s’y joue aux plans cognitif, affectif et relationnel. Elle entend opérer ainsi pour l’enfant une rupture radicale d’avec le familial familier, tout en le valorisant, et permet à chacun de s’affranchir de tous les déterminismes qu’ils soient sociaux ou psycho-affectifs.

La classe institutionnelle, lieu protégé et structuré entend permettre à chacun, quel que soit son origine sociale et ses composantes psychologiques singulières, de trouver l’accès à ce qui fonde tout sujet, son désir, trop souvent confisqué par l’institution dans son projet d’instruire coute que coute où la dimension de la personne est niée. Quels principes, spécifiques à la P.I., président-ils à ce projet ? On avancera ici deux d’entre eux.

L'univers, sel de chac'un
L’univers, sel de chac’un
« Fermer le gaz » disent les praticiens de la P.I…

… Pour en finir avec des discours récurrents, propres à démobiliser. Et d’abord refuser l’arrière plan insidieux de l’expression « handicap socioculturel » qui stigmatise la plus grande difficulté à apprendre de certains enfants des classes populaires, comme une déficience. Et d’abord, reconnaitre les carences gravissimes de l’école elle-même : lorsqu’elle fonctionne, sans le reconnaitre, pour les classes aisées et moyennes, elle est dans le déni de son insuffisance à accueillir et à travailler avec TOUS les enfants.

Fermer le gaz ensuite pour adopter la posture et le projet du « passeur culturel » [1]L’expression est le titre de l’ouvrage de J.-M. Zakhartchouk, L’enseignant, un passeur culturel, ESF, 1999., qui est d’amener les enfants, à partir d’une culture donnée, la leur, héritée de leur milieu familial et social à une autre plus universelle sans que la leur soit niée, ni interdite ni surtout méprisée.

Fermer le gaz enfin pour donner aux familles leur place toute leur place mais rien que leur place afin que l’école, la classe, soit appréhendées et identifiées comme lieux sécurisés – où chacun a à apprendre et grandir – clairement distincts de la maison, de la communauté familiale, du quartier. La formule lapidaire de Fernand Oury « Avec les parents des élèves, on peut tout, sans les parents on peut beaucoup, contre les parents on ne peut rien », dit les limites, non pas au sens de la restriction mais à celui de la distinction des rôles et du partenariat, dans lesquelles le travail de l’enseignant peut s’inscrire.

Mettre le passé à sa place

Dans la pratique de la classe institutionnelle, cette proposition concerne autant l’enseignant que l’élève.

Pour l’élève, il s’agit d’abord que lui soit signifiée (par la mise en actes tangible de pratiques) la reconnaissance et le respect de son histoire et celle de ses pères où il aura à puiser les ressources pour se développer. Ensuite, le praticien de la P.I., pour tous ses élèves, veut faire en sorte qu’un éventuel passé scolaire chaotique, ne soit en aucun cas une impasse. Il fait le pari que jamais rien n’est perdu et qu’à tout moment il est possible de se « remettre en selle » car les pratiques visent à la levée des inhibitions tenant du non-désir d’apprendre.

L’organisation des apprentissages n’est pas anodine car pour permettre à chacun de progresser à partir du niveau – quel qu’il soit – qui est le sien, la nécessité de recourir aux formes d’apprentissage les plus différenciées s’impose. L’organisation pédagogique de la classe institutionnelle favorise à la fois le travail coopératif et le travail autonome, – soucieux de marquer les progrès individuels, ceux qui précisément donneront envie de continuer à progresser – et rompt donc avec la pédagogie traditionnelle du cours collectif où la parole du maitre est omniprésente.
Pour l’enseignant, il est certes plus facile de porter sur les enfants des écoles des milieux populaires un regard positif quand on en est soi-même issu. Tous les enseignants, loin de là – on sait que le recrutement des enseignants s’opère majoritairement dans les classes moyennes et aisées de la société – n’ont pas cette « chance » de relativiser le couple réussite scolaire/origine sociale en sachant pour avoir été « pauvre » que la difficulté d’une enfance tient davantage aux aléas affectifs et relationnels, notamment au regard que les adultes portent sur l’enfant qu’à l’argent qui rentre à la fin du mois à la maison.

L’enfant des classes défavorisées est trop souvent rebutant [2]L’expression est empruntée au titre du dernier ouvrage de Dominique Sampierro (ancien instituteur dans le Nord, poète et co-scénariste du film de Bertrand Tavernier Ça commence … Continue reading. Il renvoie aux enseignants, même s’ils s’en défendent, une image qui les effraie, et leur fait éprouver une forme de pitié ou de fatalisme qui ne sont jamais qu’une forme de mépris.

La Pédagogie Institutionnelle alerte à l’égard de la fusion et de la connivence autant que du rejet conscient ou non de l’autre-élève, différent ou semblable, et propose des moyens de s’en garder. Par la distance qu’elle prône, le clivage qu’elle nomme et institue entre le maitre et l’élève, elle permet de veiller aux identifications dangereuses, à l’origine de rejets injustes et destructeurs ou encore d’indulgences coupables et fort peu productives de progrès. La P.I. aide ainsi à moins confondre l’enfant-élève en soi – celui qu’on a été – et l’enfant-élève en face de soi – celui avec lequel quotidiennement il s’agit de travailler.

Favoriser l’exigence

Ce travail ne peut se faire qu’au prix de pratiques pédagogiques exigeantes pour les élèves et pour le maitre. La lutte pour les progrès de tous ne souffre d’aucune tiédeur ni médiocrité en quelque domaine que ce soit et de plus, elle ne peut se conduire dans la solitude ni sans formation.

La pratique de la P.I. enclenche un acte de rupture qui demande à être sous contrôle, non pas d’un pouvoir hiérarchique de surveillance mais de celui, symbolique, qu’on accorde à des pairs qui ont le même projet premier « de ne pas nuire » pour que tous réussissent non seulement leur scolarité mais leur vie.
La Pédagogie Institutionnelle, axant l’organisation de la classe sur le sujet en apprentissage propose – moins qu’une approche des raisons sociologiques des difficultés scolaires – une approche compréhensive des difficultés que tous les enfants, quelles que soient leurs origines sociales, éprouvent à grandir.

Ce refus de tout déterminisme s’exprime dans l’exigence : exigence à l’encontre des élèves, exigence à l’égard de ses pratiques.

En préservant du misérabilisme à l’égard des élèves les plus démunis, la P.I. aide à s’armer d’une conviction inébranlable, celle que tous peuvent progresser s’ils se voient offrir la possibilité de s’ouvrir à leur désir de sujets.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 L’expression est le titre de l’ouvrage de J.-M. Zakhartchouk, L’enseignant, un passeur culturel, ESF, 1999.
2 L’expression est empruntée au titre du dernier ouvrage de Dominique Sampierro (ancien instituteur dans le Nord, poète et co-scénariste du film de Bertrand Tavernier Ça commence aujourd’hui) Le rebutant, Gallimard, 2003, écrit à partir d’entretiens conduits avec les plus pauvres d’entre les pauvres.