L’an passé, à la veille des élections fédérales, dans une carte blanche[1]Pierre Waaub et Rudy Wattiez, École : débattre des réformes avec les enseignants, Le Soir, 8 mai 2003., CGé demandait que les réformes de l’École soient débattues avec les enseignants.
Au printemps dernier, avant les élections communautaires, la demande de CGé était satisfaite : la consultation des enseignants du fondamental, réalisée par le Centre d’études sociologiques des Facultés Saint-Louis, à la demande du ministre Nollet, a été largement diffusée en février et une consultation analogue, des enseignants du secondaire, a été publiée en mai.
Les 85 000 enseignants (et directeurs d’école) de Belgique francophone ont reçu un questionnaire, 11 000 d’entre eux ont répondu par écrit, des chercheurs ont dépouillé et classé ces réponses. Parmi 1500 volontaires, 130 enseignants ont été choisis, pour constituer un échantillon représentatif par leurs réponses et leur situation. En groupes de 12, ils ont analysé pendant deux jours deux réponses, soit plus de vingt en tout, qu’ils ont choisies eux-mêmes dans une présélection des chercheurs. Sur cette base, chaque groupe a élaboré des propositions qui ont été synthétisées par leur assemblée.
Elles montrent que les enseignants – au moins ceux qui ont répondu – aspirent à plus d’autonomie mais aussi plus d’aide dans l’exercice de leur métier. On leur a servi trop de prescriptions généreuses et générales qui ignorent combien la conduite quotidienne d’une classe peut être complexe.
Un manifeste libéral
Simultanément avec la première consultation, mais comme en réponse à cette aspiration, est sorti de presse le livre L’école de l’échec, comment la réformer ?, d’A. Destexhe, V. Vandenberghe et G. Vlaeminck. Il propose que l’on mesure systématiquement l’efficacité des établissements, par une évaluation externe des acquis de leurs élèves, comme l’enquête PISA l’a fait[2]Cette enquête PISA avait mis en évidence « le » problème de la Belgique francophone : ici plus qu’ailleurs, le système scolaire accentue les inégalités sociales plutôt que de les … Continue reading. Donner aux enseignants une information sur l’effet de leur travail, comparé à celui des autres écoles, serait sans doute une bonne chose.
Ce livre propose aussi une plus large autonomie des établissements : en pratique, de leurs directeurs. Or, sur notre « quasi-marché » scolaire une plus grande liberté des chefs d’établissement ne ferait qu’accentuer la différenciation entre les écoles où les gosses des riches et des intellectuels se retrouvent entre eux et celles où se concentrent les enfants des pauvres, avec plus de problèmes et moins de moyens. En cela, la réponse de Destexhe et consorts est mauvaise.
La liberté des directions d’école ne garantit pas un bon accompagnement des enseignants.
Les enseignants sont las de se voir répéter ce qu’ils doivent faire, mais voudraient mieux savoir comment le faire. Selon la consultation, les missions de l’école font l’objet d’un relatif consensus et ils sont mal à l’aise de ne pouvoir les concrétiser. Ils acceptent d’être supervisés par des cadres de l’enseignement, mais ils déplorent souvent leur manque de compétence. Ils demandent moins de contrôle et plus d’accompagnement : des gens qui descendent sur le terrain à leurs côtés et mettent les mains « à la pâte ». Ils demandent du temps pour réfléchir ensemble, avec des accompagnateurs compétents, à leurs problèmes professionnels : aux dispositifs précis qui, dans la situation concrète de leur classe, permettraient à plus d’élèves d’apprendre réellement.
Bref, ils demandent des conditions de travail qui permettent de se construire une culture professionnelle collective. Voilà l’autonomie demandée que nous montrent les consultations. Comment la concrétiser ?
Des structures pour une culture professionnelle collective
Une culture professionnelle, c’est d’abord la concertation entre collègues : une réflexion collective dans l’établissement, sur les problèmes rencontrés par chacun dans sa classe. Mais cela demande du temps, reconnu comme partie intégrante du temps de travail.
C’est aussi une montée en compétence de tous les enseignants. Parmi ceux qui ont déjà travaillé quelques années comme enseignants de base, il faudrait choisir comme cadres, ceux qui ont le mieux résolu leurs problèmes professionnels et qui savent écrire sur cette résolution et en parler, pour leur offrir une formation approfondie, qui parte de ces problèmes. Mais avec quels contenus de formation et quels critères de sélection, mis en œuvre par des formateurs et des examinateurs choisis comment ?
Du temps pour la concertation et la formation continuée, des règles pour choisir les cadres et accompagnateurs, ainsi que les contenus de leur formation : c’est ce qu’on peut appeler les structures de la culture professionnelle.
Pas plus que le contenu de la culture professionnelle, ces structures ne peuvent être concoctées dans un petit cénacle de prescripteurs, elles doivent être débattues avec l’ensemble des enseignants : les consultations récentes montrent que c’est possible. Il est urgent d’ouvrir le débat et d’expérimenter les hypothèses qui en émergeront.
Bien répartir un refinancement amplifié
Mais l’urgence de ce débat nouveau, entre enseignants, ne devrait pas faire oublier l’importance de deux autres débats, déjà engagés.
Car, pour construire ces structures d’une culture professionnelle, il faut de l’argent : d’abord pour payer les remplaçants des enseignants en concertation ou en formation. Or le refinancement est aspiré par d’autres projets : une revalorisation salariale générale des enseignants (objet de négociations récentes) et le financement différencié des établissements, selon l’origine sociale de leurs élèves (organisé par le décret Nollet). Pour l’avenir, la répartition du refinancement entre ces trois buts – ou l’élaboration de règles qui les combinent – demande aussi un débat, qui déborde du milieu enseignant.
Un troisième débat, au travers de toute la société, concerne les modalités d’un refinancement plus généreux de l’enseignement, d’un investissement massif de la société wallonne et bruxelloise dans les compétences de ceux qui deviendront travailleurs et citoyens.
Notes de bas de page
↑1 | Pierre Waaub et Rudy Wattiez, École : débattre des réformes avec les enseignants, Le Soir, 8 mai 2003. |
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↑2 | Cette enquête PISA avait mis en évidence « le » problème de la Belgique francophone : ici plus qu’ailleurs, le système scolaire accentue les inégalités sociales plutôt que de les réduire. Voir Échec à l’échec n°156 |