Pour une école démocratique, ne confondons pas évaluation et sanction des enseignants

ChanGements pour l’égalité soutient la demande des syndicats enseignants de ne pas mélanger évaluation formative et contrôle-sanction des enseignants.

Après mûre réflexion et examen de tous les aspects de la question, CGé pense que c’est une fausse bonne idée qui a l’air “ seulement l’air “ de répondre à la préoccupation légitime de s’assurer de l’amélioration des pratiques enseignantes et surtout d’avoir une « arme » contre les enseignants qui nient les réalités d’échec, rejettent toute part de responsabilité et s’entêtent dans des pratiques sélectives et/ou discriminantes et/ou trop peu attentives aux élèves en difficulté.

Arrêtons-nous là un moment et développons point par point :

On est d’accord que notre système scolaire a un besoin urgent de changer, de s’améliorer et que ça demande la pleine collaboration de tous les acteurs concernés dont au 1er chef les P.O., les directions et les enseignants.

On est d’accord aussi que tout qui a eu un pied dans ce système scolaire a pu voir à certains moments des comportements extrêmement problématiques et très peu éthiques, que ce soit dans le chef d’un P.O., d’une direction ou d’un ou plusieurs enseignants. Et se demande quels sont les leviers pour agir face à ces comportements.

Or, pour que la réforme du pacte pour un enseignement d’excellence réussisse, c’est bien tous les boulons du système qu’il va falloir resserrer.

Une idée qui rate sa cible

Mais être d’accord avec ces assertions ne débouche pas sur la conclusion qu’il faut ajouter ce dispositif de contrôle-sanction au sein d’une procédure d’évaluation qui doit permettre à l’enseignant de nommer les difficultés qu’il rencontre dans l’exercice de sa fonction pour décider, avec sa direction et éventuellement des collègues, de ce qu’il faudrait faire et mettre en place pour le soutenir et lui permettre de dépasser ses difficultés. Quel enseignant va admettre ses faiblesses et difficultés sachant que ça peut se retourner contre lui et être utilisé pour le pousser dehors ?

Et puis surtout, cette mesure fait la part belle aux directions et aux Pouvoirs Organisateurs. Comme capitaines de bateaux-écoles, ils ont la responsabilité de donner le cap, de soutenir les marins et de créer un esprit de corps (plutôt que diviser pour régner), de veiller à ce que tous “ y compris les élèves et les parents “ aient une vraie place et tiennent leur place, se sentent respectés et respectent en retour. Et que tous contribuent bien à ce que les conditions d’apprentissage soient réunies pour les élèves.

Ça, c’est la première condition à vérifier. Le font-ils ? L’ont-ils fait ? Qui l’évalue ? Et sur quelle base directions et P.O. vont-ils décider qu’un enseignant fait preuve de « mauvaise volonté manifeste » ?

Nous pensons que beaucoup d’entre eux sont aussi en difficulté pour réaliser ce travail qui demande bien des compétences. Ils doivent donc aussi mettre sur table leurs difficultés et recevoir soutien et formation.

Les leviers existent déjà mais ils ne sont pas activés

Des directions des écoles qui font leur job et sont outillées pour le faire nous disent que quand il y a des problèmes qui ne peuvent pas être surmontés avec un enseignant, l’arsenal juridique existe déjà pour réagir, qu’on soit dans le libre ou dans l’enseignement communal. Mais ça demande que la direction s’implique, soit vigilante, soit en dialogue permanent avec son équipe, ose la confrontation respectueuse et in fine, si nécessaire, prenne ses responsabilités et soit soutenue par son P.O.

Et si on remettait le système sur ses pieds et qu’on commençait par appliquer les dispositifs déjà prévus en cas de non-collaboration et de problèmes répétés ?

Le problème, c’est aussi la façon dont se jouent les relations de pouvoir dans l’école : pas simple… comment y empêcher les abus de pouvoir en tous sens (1) qui sont réguliers et destructeurs ? Comment, d’une part, demander l’adhésion des membres de l’équipe éducative nécessaire aux réformes et, d’autre part, agiter le bâton des sanctions.

Demander des bons ou des mauvais comptes ?

Donc, en synthèse, il y a 4 cas de figure auxquels il faut apporter des réponses différenciées :

Si un enseignant dysfonctionne gravement, nommé ou pas, la loi et le prescrit sont déjà là pour permettre de le sanctionner. C’est le travail de la direction et du P.O. de l’utiliser.

Si un enseignant ne s’en sort pas, c’est sa responsabilité de ne pas masquer et de chercher de l’aide et c’est la responsabilité de la direction et du P.O. d’abord et de ses collègues aussi de le soutenir. Et si la direction fait son job d’être attentive à ce qui se passe dans les classes, la période avant nomination d’un membre du personnel permet de se rendre compte si ça ira ou si la personne est à contre-emploi et qu’il vaut mieux arrêter, pour elle et pour les élèves.

Si un enseignant est compétent mais en désaccord avec le fonctionnement ou l’idéologie de l’école et ses choix pédagogiques, il faudrait pouvoir l’acter et il devrait pouvoir aller ailleurs, dans une école plus conforme à ses choix, sans devoir passer sous les fourches caudines.

Et enfin, il y a des événements “ des incidents “ ponctuels ou plus fréquents “ du fait d’un ou de plusieurs enseignants ou d’une direction ou encore de surveillants… qui relèvent un peu des deux premiers cas de figure, un peu seulement et qui ne devraient pas passer sous les radars mais pas pour autant donner lieu à des procédures lourdes.

Nous pensons que prévoir un lieu et des temps pour pouvoir nommer ces problèmes, les mettre sur table et décider collectivement d’où et comment ils devraient être traités en garantissant aux personnes (qu’elles soient élèves, parents, profs ou autres membres de l’équipe éducative) qu’il n’y aura pas de représailles possibles, est la seule façon raisonnable de ne plus mettre sous le tapis des choses qui se passent et qui pourrissent le climat des écoles et rongent les acteurs (élèves, profs, parents, direction) qui les subissent. Et que cet exercice démocratique qui fait très peur aux écoles peut, s’il est bien mené, se transformer en force puissante de transformation de l’école et gain de bien-être pour tous les acteurs.

Ce lieu et ces temps existent dans la loi mais ils sont beaucoup trop souvent peu ou pas investis. Ce sont les conseils de participation.

Pas de salut possible sans renforcer la démocratie à l’échelle de chaque école

Ça nous ramène finalement à ce que CGé et la FAPEO ont proposé dans le cadre de la journée de travail sur les Conseils de participation à laquelle ils ont convié 100 acteurs dont la Ministre, des membres de l’administration, des responsables de P.O./Fédérations de P.O., des directions, des enseignants, des parents, des élèves et des acteurs autour de l’école : l’idée que la démocratie à l’école via l’exercice de vrais conseils de participation ne serait pas l’ultime amélioration à apporter au système scolaire (5e et dernier axe du Pacte) comme la cerise sur le gâteau mais la condition de base, le levier indispensable pour commencer à se parler vraiment de ce qui va bien et de ce qui ne va pas entre tous les groupes d’acteurs concernés par ce lieu de vie qu’est une école.

Seule cette confrontation, fortement encadrée sur le plan éthique et pilotée de main sûre et non partisane, menée pour la recherche d’un meilleur fonctionnement de ce lieu de vie qu’est l’école au service des apprentissages des élèves, peut permettre d’avancer de façon juste et respectueuse et d’empêcher la prise de pouvoir et les règlements de comptes, pour se concentrer sur l’essentiel : faire apprendre et grandir les élèves dans un cadre bienveillant, exigeant et respectueux.

(1) Abus de pouvoir de la part de P.O., directions, profs, parents, élèves…

Carte blanche de JADIN Benoît et MAWET Fred.
Parue dans Le Soir.be, le 10 février 2023.

Aussi disponible sur :
[https://www.lesoir.be/494398/article/2023-02-10/pour-une-ecole-democratique-ne-confondons-pas-evaluation-et-sanction-des
->https://www.lesoir.be/494398/article/2023-02-10/pour-une-ecole-democratique-ne-confondons-pas-evaluation-et-sanction-des]