Pourquoi c’est comme un sport de combat ?

Trois mamans, membres de Coalition des parents [1]Coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent pour changer l’école. partagent leurs luttes en faveur de la réussite de leurs enfants et, aussi, leur fierté de prendre position lorsque l’école manque à son devoir de l’égalité des chances.

Parfois, je trouve ma fille en train de pleurer dans sa chambre. Elle se dit qu’elle ne va pas y arriver. Je lui demande pourquoi. “Ça se voit, Maman. Je n’ai pas ça. La prof m’a dit ça. L’autre prof m’a dit ça.”

«J’ai demandé au prof ce que je pouvais faire pour aider ma fille en math. Et le prof m’a répondu qu’il ne savait pas. J’ai quitté l’école en pleurant.»

« C’est contre cette école à deux vitesses qu’il faut lutter. »

«Ma fille est arrivée dans une nouvelle école. Au vu de ses résultats déplorables, j’ai compris qu’elle n’avait que très peu d’acquis. Elle venait d’une école dite poubelle. En 3e primaire, elle ne savait pas lire. Elle s’est renfermée sur elle-même, elle souffrait de maux à l’estomac, elle vomissait, elle ne voulait plus aller à l’école. Elle avait peur. Elle m’a demandé de la remettre dans son ancienne école.»

«Lorsque j’ai dû inscrire mon fils en 1re secondaire, j’ai voulu le mettre dans une école. Celle-ci demande un certain niveau de réussite au CEB. Il lui manquait quelques points… Ça m’a choquée! Je me suis dit que ça ne servait à rien que je fasse la demande pour qu’elle soit refusée et que mon fils soit déçu. Je ne voulais pas qu’il se sente dévalorisé, qu’il se dise que, malgré ses efforts, on ne l’accepte pas. Je l’ai alors inscrit dans une école dite de quartier populaire.»

«Et lorsqu’on les pousse à aller dans de bonnes écoles, ils ont accumulé tellement de retard que les gamins se font ratatiner. Pour pouvoir faire ce qu’on veut dans la vie, il faut un minimum de bagages. Et, les écoles à indice socioéconomique faible ne le leur offrent pas. C’est révoltant!»

«Tu ne peux pas t’émanciper facilement. C’est un combat. Quand on est enfant d’immigrés, issu de familles et de quartiers populaires, et qu’on essaie de sortir de là, ce sont des murs qu’on rencontre. Pourquoi est-on obligé de se battre pour prouver ce qu’on vaut? Ce n’est pas normal. Ils te font sentir que tu es inférieur. Tu finis par y croire. Cela engendre de la haine.»

Quelle réaction avoir, en tant que parent, face à une institution qui sélectionne, qui classe, qui hiérarchise les enfants? Et qui, parfois même, est impuissante à remédier aux problèmes qu’elle crée?

Coalition!

«On se rend compte qu’il y a plein de parents qui sont face aux mêmes problèmes que nous. Ils connaissent les mêmes inégalités, les mêmes discriminations. C’est alors qu’on se dit qu’on doit être ensemble. C’est là qu’on s’est vraiment rendu compte des inégalités qu’il y avait dans le système scolaire belge. C’est affolant!»

La coalition vise à changer l’école et à la rendre plus égalitaire en passant par une amélioration des apprentissages. Elle propose de soutenir les parents dans leur réalité, pour qu’ils deviennent acteurs de la scolarité de leurs enfants plutôt que de la subir.

La coalition fonctionne avec :

  • les parents qui peuvent venir poser des questions avec des problématiques précises;
  • les associations qui les accompagnent, qui les outillent pour les amener à entrer dans l’école et à faire part de leurs exigences;
  • le comité de pilotage qui rassemble toutes les infos.

«Bien sûr, en tant que parent, on a des responsabilités. Il faut que les devoirs soient faits. Mais, ce que j’aime dans la coalition, c’est que les parents prennent conscience qu’ils ont des droits et qu’ils peuvent travailler à l’amélioration de la scolarité de leurs enfants. Ils apprennent aussi que leurs enfants ont des droits.»

«Avant, je n’osais pas poser des questions. Je pensais que je n’avais rien à dire sur ce qui se faisait à l’intérieur de l’école. Depuis que je suis membre de la coalition, je sais que je peux poser des questions et discuter avec les professeurs de la scolarité de mes enfants.»

«On avait l’étiquette de parents de milieu populaire, donc on nous traitait de cette façon-là, tous de la même manière. Ils avaient déjà leurs œillères, ils ne cherchaient pas à nous connaitre. Maintenant que je connais le jargon scolaire, j’ai l’impression de parler la même langue qu’eux. Je ressens beaucoup plus de respect de la part des enseignants. Ils parlent plus des apprentissages. Mais pas encore avec les autres parents. Le changement qu’il y a eu, c’est qu’on a eu beaucoup plus facile à aller vers eux. J’ai l’impression que c’est à nous, parents, de faire le pas pour qu’ils viennent vers nous.»

«On a le droit d’avoir une vue d’ensemble, on a le droit aussi de frapper à des portes. On ne savait pas au début que les associations de parents étaient obligatoires, qu’on pouvait avoir accès à la Fapeo[2]Fédération des parents et des associations de parents de l’enseignement officiel. .»

«On a créé un comité de parents. Maintenant, on essaie d’être concertés avant la prise de certaines décisions, car on a souvent été mis devant le fait accompli. Beaucoup de parents se plaignent d’un manque de communication de l’école. Nous voulons être vraiment intégrés à la vie scolaire de nos enfants.»

«La réussite des enfants reste liée à nos capacités à actionner tous les verrous. Mais la grande majorité des enfants issus de familles de milieu populaire sont sacrifiés parce que tout le système ne s’attaque pas aux véritables causes des difficultés d’apprentissage et d’insertion.»

«La coalition porte très fort cette volonté que les enseignants changent leur regard sur les enfants des milieux populaires. Sans cette remise en question, ça ne peut pas changer.»

Système, tu es cerné!

«Mieux connaitre le système éducatif belge m’a permis de ne pas me sentir seule responsable de la scolarité de mes enfants. Le système fonctionne comme si tous les enfants avaient les mêmes conditions à la maison (matériel, ordinateur, espace de travail, santé…). Les inégalités sociales, c’est continuer de fonctionner sans se soucier de savoir si l’élève est en mesure de réaliser ce qui est demandé.»

«L’école, aujourd’hui, dans les milieux populaires, produit de nombreux analphabètes fonctionnels[3]En ce qui concerne la lecture, 24 % des enfants de 15 ans ont un niveau insuffisant pour pouvoir se débrouiller dans la vie et 24 % des jeunes de 15 ans n’arrivent pas aux compétences minimales … Continue reading. Les enfants finissent les études secondaires et font des milliers de fautes d’orthographe. Je trouve ça révoltant. J’en veux à l’école parce qu’ils n’ont pas le niveau. Parce qu’ils ne sont pas dans les bonnes écoles. Ils sont face à des professeurs qui ne les tirent pas. Si l’enfant sait qu’il n’est pas mis en valeur, qu’il n’est pas poussé, comment il peut se construire?»

«Il y a des écoles qui ont un très bon niveau et puis les écoles où le niveau n’est pas assez poussé. C’est contre cette école à deux vitesses qu’il faut lutter.»

«On doit mettre en avant qu’il y a un retard dans l’apprentissage de la langue qui conduit à toutes les difficultés. Le français de l’école n’est pas le même que le français courant. Dans les écoles à ISE faible, certains parents ne maitrisent pas le français. Il n’y a pas cette mixité sociale qui va faire que les enfants vont enrichir leur vocabulaire. C’est à l’école de pallier ça. Or, elle n’est pas pensée pour les enfants de milieu populaire.»

En lutte

«C’est difficile de se dire que nos enfants n’ont pas le niveau. Alors que j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour l’aider, pourquoi il ne réussit pas? Cette prise de conscience est nécessaire parce que, après ça, on se bat!»

«Avec nos luttes, on contrebalance ce sentiment de honte que l’école renvoie à nos enfants : vos parents sont analphabètes, ils ne comprennent pas… Mais, même si je suis analphabète, je suis là pour lutter pour eux, pour qu’ils réussissent leurs études. Pour qu’ils se sentent valorisés. Car, s’ils se sentent mieux, ils seront plus aptes à accrocher aux apprentissages et à travailler.»

«Nos enfants doivent savoir que nous sommes en lutte parce qu’eux-mêmes vont devoir l’être. S’ils comprennent ce qui se passe, il y a des possibilités de jouer sur certains leviers. C’est pour les armer. La connaissance, c’est une arme. Je ne veux pas qu’ils subissent. On subit déjà assez.»

«Nos enfants doivent prouver qu’ils ont le niveau, les connaissances, les capacités. Mais ce n’est pas à l’école de décider de leur devenir. Ce n’est pas parce qu’ils viennent de tel quartier qu’ils doivent suivre le chemin que la société semble leur destiner.»

«En tant que parent, on a donc un rôle à jouer pour aider nos enfants. Mais va-t-on oser exercer notre droit ou est-ce qu’on va suivre les décisions prises par l’école pour nos enfants aveuglément? Comment pouvoir, dans tout ce qui est compliqué avec l’école, slalomer pour garder un maximum de portes ouvertes pour mon enfant et qu’il choisisse librement son parcours?»

«On y va, mais timidement. On aimerait arriver avec plus d’assurance et frapper à avoir des leviers beaucoup plus forts. Si on y va seul, ils ont plus facile à fermer la porte que si on est dix parents ou si on est soutenu par des associations.»

«Maintenant, on comprend ce qui se passe. Fatalement, on a des revendications beaucoup plus claires. On sait où interpeler, ce qu’on peut questionner. Dans les réunions à l’école qui se tiennent tous les trois mois, nous sommes présentes. Et on est fières d’avoir fait changer certaines choses. Un professeur irrespectueux qui ne se souciait pas des apprentissages des enfants a été remplacé.»

«On se sent maintenant écoutées, vues, mais pas encore toujours comprises.»

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent pour changer l’école.
2 Fédération des parents et des associations de parents de l’enseignement officiel.
3 En ce qui concerne la lecture, 24 % des enfants de 15 ans ont un niveau insuffisant pour pouvoir se débrouiller dans la vie et 24 % des jeunes de 15 ans n’arrivent pas aux compétences minimales en mathématiques, selon une étude de CGé de 2018.