Depuis quelques années, la géographie scolaire est en crise dans tous les pays d’Europe au point de disparaître des programmes.
Plusieurs études aboutissent aux mêmes conclusions : elle n’est pas suffisamment convaincante, « utile », elle permet trop rarement de construire du sens ou du raisonnement (Carlot, 2002 [1]Y. CARLOT, 2002, Fin de partie ?, billet d’humeur sur le site de l’Association Française pour le Développement de la Géographie ).
Prenons, pour illustrer ces critiques, l’approche du paysage. Que révèle l’analyse des programmes d’étude du milieu ou de géographie et des exemples de pratiques décrites dans des manuels ou des dossiers pédagogiques ?
Pour les plus jeunes enfants, il s’agit surtout d’éduquer à l’espace par le paysage : acquisition de repères spatiaux, d’un vocabulaire pour dire l’espace et de méthodes pour le représenter. Quelques publications témoignent cependant d’un intérêt pour des démarches plus globales (exemples : Jeux pour 1001 lectures du paysage [2]Si ma maison était… Jeux pour 1001 lectures du paysage, Collectif (CAUE 36), Châteauroux, CDDP 36,1986., Les mille lieux du paysage [3]Les mille lieux du paysage, Fiches d’activités pour l’école fondamentale – Géographie – cycle 3, E. JOFFRE, A. LEBAS, M. QUENDEZ, J.-C. SAPORITO, Pemf, 2000., 50 activités avec le paysage [4]50 activités avec le paysage, de l’école au collège, P. GUILLAUME, R. SOURP, Toulouse, CRDP Midi-Pyrénées, 1999., La classe paysage [5]La classe paysage – Découverte de l’environnement proche en milieux urbain et rural – du CP au CM2, Considère S., M. GRISELIN, F. SAVOYE, Paris, A. Colin, coll. Pratique … Continue reading).
Au secondaire, on vise surtout une meilleure connaissance des paysages dans un registre traditionnel (localiser, observer, décrire, classer, représenter, analyser, expliquer).
Le paysage est souvent abordé comme porte d’entrée pour développer autre chose. Il est rarement l’objet d’une sensibilisation citoyenne, alors qu’il est devenu un enjeu important en aménagement du territoire [6]Voir la [Convention européenne du paysage-> http://mrw.wallonie.be/dgatlp/dgatlp/Pages/DAU/Dwnld/2004ConventionEurPaysage.pdf
] .
En croisant l’approche sensible avec l’approche cognitive.
Sur une grande bande de papier, dessiner le paysage dans lequel nous sommes nés, puis ceux qui ont marqué les différentes étapes de notre vie. À travers un choix d’images, choisir le paysage dans lequel on se sentirait le mieux, ou celui qui rebute a priori. Sur le terrain, partager les souvenirs que certains éléments du paysage évoquent. Sur base de documents ou de témoignages, tenter de reconstituer le paysage dans lequel vivaient nos ancêtres, sous forme d’une maquette, d’un dessin ou d’une description littéraire. Prendre des photos pour confectionner un « calendrier des paysages de notre région ». Retrouver, à partir de cartes postales anciennes, les traces du passé dans le paysage, et reconstituer son évolution.
Nous apprenons d’abord sur nous-mêmes, sur notre manière d’habiter le paysage et sur la manière dont les paysages nous habitent. Nous affinons notre regard, nous donnons de l’importance à nos émotions, nous nous rendons compte que les paysages sont constitutifs de notre identité.
Pasticher un paysage à la manière des pointillistes ou des cubistes. Décrire un paysage à la manière des romantiques. Établir une grille de critères pour évaluer la qualité des paysages. Localiser la provenance de tous les matériaux utilisés dans les habitations pour prendre conscience de l’impact sur les paysages, ici et ailleurs, des choix de chacun. Chercher à savoir qui a le plus de pouvoir sur le territoire et évaluer le caractère « durable » des projets développés. Imaginer à quoi pourrait ressembler le paysage dans cent ans, en fonction de différents scénarios de société. Simuler une réunion de CCAT pour décider d’autoriser ou non la construction d’un bâtiment contemporain dans un paysage « naturel ».
Nous nous rendons compte que notre regard est culturellement déterminé. Nous prenons conscience de nos responsabilités, nous décodons la relativité de nos valeurs, nous exerçons notre esprit critique, nous anticipons l’avenir, nous posons des choix.
Ainsi, le « discours » sur le paysage produit par les élèves ne sera plus rébarbatif, sec et vide de sens. Il donnera à l’élève l’occasion d’exprimer et de développer sa personnalité : sa sensibilité, ses grilles de lecture et d’analyse, ses valeurs, sa mentalité, ses intérêts, ses besoins mais aussi ses peurs, ses croyances, et sa façon de voir le monde. Produit collectivement, il sera le témoin d’une négociation à tous niveaux (fond, forme). Diffusé en dehors de la classe, il résultera d’un questionnement sur son utilité sociale et représentera un engagement dans la société, une prise de risque aussi.
Nous pourrons peut-être alors un peu mieux défendre une géographie scolaire engagée au service d’une éducation à la citoyenneté. C’est ce que nous proposons par le biais du projet « hyperpaysages [7] Laboratoire de Méthodologie de la Géographie », en partenariat avec l’Institut d’Eco-pédagogie.
Notes de bas de page
↑1 | Y. CARLOT, 2002, Fin de partie ?, billet d’humeur sur le site de l’Association Française pour le Développement de la Géographie |
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↑2 | Si ma maison était… Jeux pour 1001 lectures du paysage, Collectif (CAUE 36), Châteauroux, CDDP 36,1986. |
↑3 | Les mille lieux du paysage, Fiches d’activités pour l’école fondamentale – Géographie – cycle 3, E. JOFFRE, A. LEBAS, M. QUENDEZ, J.-C. SAPORITO, Pemf, 2000. |
↑4 | 50 activités avec le paysage, de l’école au collège, P. GUILLAUME, R. SOURP, Toulouse, CRDP Midi-Pyrénées, 1999. |
↑5 | La classe paysage – Découverte de l’environnement proche en milieux urbain et rural – du CP au CM2, Considère S., M. GRISELIN, F. SAVOYE, Paris, A. Colin, coll. Pratique pédagogique, 1996. |
↑6 | Voir la [Convention européenne du paysage-> http://mrw.wallonie.be/dgatlp/dgatlp/Pages/DAU/Dwnld/2004ConventionEurPaysage.pdf ] |
↑7 | Laboratoire de Méthodologie de la Géographie |