Prêt à mettre ses enfants dans une école “ghetto” ?

Choix cornélien ! Je suis grand-mère de six petits-enfants dont seulement trois connaissent la mixité sociale à l’école. Une opinion d’Anne Deroitte, grand-mère et enseignante retraitée.

Ils ont un, deux, trois enfants, voire plus. Sur leur lieu de travail, lors de manifestations, avec leurs amis, ils défendent des valeurs de solidarité, de justice, d’égalité. Ils s’investissent en tant que volontaires dans des associations culturelles, sportives dans les quartiers défavorisés… Ils veillent à partager et à transmettre leurs valeurs à leurs enfants, souhaitent qu’ils deviennent des citoyens solidaires, sensibles aux questions sociales et environnementales, prêts à combattre l’injustice.

Comment vont-ils garder ces valeurs au moment du choix d’une école pour leurs enfants, que ce soit l’école fondamentale ou secondaire ?

Bien que conscients des inégalités scolaires et soucieux de voir celles-ci diminuer, ces parents ne sont pas prêts à mettre leurs enfants dans une école “ghetto” où se retrouvent essentiellement des enfants de milieux socio-économiques défavorisés et d’origines culturelles différentes. Mais ils ne veulent pas non plus une école “ghetto” de riches, élitiste. Choix cornélien !

Finalement, leurs enfants se retrouvent soit dans une école où la mixité sociale est réelle, soit dans une école de classes socio-économique et culturelle privilégiées, parfois même payante.

Doit-on en conclure que les premiers seront, à l’âge adulte, plus sensibles aux questions des injustices sociales ayant eu l’occasion de fréquenter des enfants venant de tous les horizons tandis que les seconds resteront aveugles et sourds à ces réalités ?

Je ne le pense pas. Je suis grand-mère de six petits-enfants dont seulement trois connaissent la mixité sociale à l’école. Ces derniers se rendent compte des différences de milieux de vie grâce d’abord au quartier dans lequel ils vivent, aux invitations d’anniversaire des copains, aux récits des vacances passées. Mais les autres appréhendent ces réalités aussi. De manière moins empirique certainement, soit à l’école à travers des cours de morale ou de citoyenneté, soit en traversant certains endroits de la ville, ou encore grâce aux discussions familiales, aux manifestations auxquelles ils ont participé… Sans nier l’influence de l’école, le milieu social et la famille restent des lieux d’éducation majeurs. Le caractère et la sensibilité de l’enfant jouent, à mon avis, aussi un rôle très important. Une interaction dont j’ai des difficultés à mesurer l’ampleur.

Quel est, dès lors, le bon choix pour les parents, leurs enfants et la société ?

Sans doute les écoles où la mixité sociale est réelle donnent-elles plus de garanties d’expériences riches et diversifiées. Mais constituent-elles aussi une solution pour les enfants moins favorisés, éloignés de la culture scolaire ? Certaines recherches montrent que c’est davantage le redoublement et l’orientation précoce qui sont la cause des inégalités scolaires. Et la Belgique reste championne de ces pratiques ! Croire que quelques exemples d’écoles mixtes socialement vont remettre fondamentalement en cause le caractère ségrégué de notre système scolaire actuel en FWB pourrait se révéler une illusion et diluer les efforts.

Alors doit-on pour autant renoncer à cette mixité en encourageant la FWB à plutôt s’orienter vers des écoles d’excellence dans les quartiers défavorisés ?

Cette solution exigerait un projet professionnel fort de l’équipe éducative, un financement différencié, des professeurs expérimentés, conscients des malentendus scolaires, prêts à remettre continuellement l’ouvrage sur le métier pour mener les enfants le plus loin possible et accompagner les parents inquiets ou démunis.

Utopie ? Non. Des (trop rares, certes !) écoles ont réussi ce pari. D’autres sont en train de relever ce même défi.

Quelques années suffisent pour que des parents de milieux favorisés attirés par la qualité de l’enseignement y inscrivent leurs enfants. Une mixité s’implante progressivement. Pour la maintenir, il faut cependant veiller à mettre des “quotas” : ces écoles d’excellence doivent rester ouvertes majoritairement aux plus défavorisés économiquement et culturellement parlant.

Comment poursuivre cette réflexion si ce n’est en amenant ces parents de classe moyenne, certains plus conscients que d’autres, à s’interroger sur leurs propres représentations, sur le rôle de l’école, une école qui produira plus d’égalité pour une société plus juste telle qu’ils la rêvent pour leurs enfants et moi, pour mes petits-enfants ?