ChanGements pour l’Égalité. En choisissant ce nom, nous donnons priorité à l’égalité sociale, comme finalité de notre action.
Or notre manifeste attache autant d’importance à deux autres finalités : la démocratie et le développement durable. Par ailleurs, dans les objectifs généraux affirmés par le décret Missions, produit d’un compromis entre des sensibilités politiques différentes, ces finalités n’apparaissent qu’en filigrane.
Voilà deux raisons de clarifier le sens de notre action. En mettant les points sur les “i”.
Si le triptyque égalité-démocratie-rapport à la nature désigne bien les grands défis de notre époque, l’École a une responsabilité plus grande face à l’égalité, en Belgique francophone en particulier.
Égalité
L’enquête PISA1 a montré qu’ici, plus que dans tout autre pays avancé, les adolescents sortent de l’enseignement obligatoire avec des compétences – et en particulier une maitrise de la langue commune – inégales. Inégalité qui reproduit l’inégalité économique des milieux où leurs familles sont inscrites et qui leur promet une insertion professionnelle encore plus inégale.
Or, on sait dans quelles voies aller pour estomper les facteurs culturels de l’inégalité. D’abord, les enseignants doivent être plus attentifs aux ” rapports aux savoirs “2 de leurs élèves, rapports différents selon les familles et leurs milieux socioprofessionnels. On peut approcher ce rapport au savoir en observant les élèves, mais aussi en parlant avec les parents. Encore faut-il aux enseignants une grille pour interpréter leurs observations et des méthodes pour y adapter leurs pratiques pédagogiques, donc une formation adéquate.
Ensuite, les écoles-ghettos, pour pauvres et pour riches, produit d’un quasi-marché scolaire particulièrement actif en Belgique3, doivent s’ouvrir aux populations des autres, pour constituer des classes socialement hétérogènes, où l’apprentissage peut être plus efficace. Pour y parvenir, les écoles devraient recevoir un budget d’autant plus important que leurs élèves, issus de milieux pauvres, ont plus de difficultés scolaires : elle pourraient ainsi s’attacher des enseignants plus compétents et, par là, attirer moins difficilement des élèves de milieux aisés. Encore faut-il qu’une telle discrimination positive, au sens profond du terme, soit acceptée par une majorité de citoyens. Or, ceux-ci sont inspirés, sur ce thème, par leurs aspirations de parents.
Enfin, face à des différences de qualité moins dramatiques, des parents de milieux aisés pourraient, en plus grand nombre, envisager de confier leur enfant à une école dont les élèves sont, en majorité, issus de milieux modestes. À condition qu’ils aient pu débattre, avec l’école, des risques qu’ils prendraient.
Voilà trois modalités pour un dialogue plus responsable entre l’École et les familles4, qui promet plus d’égalité5.
Démocratie et égalité sont souvent confondues. Ainsi, la démocratisation de l’enseignement, slogan majeur au milieu du XXe siècle, désignait en fait une égalité d’accès aux études.
Or, dans la démocratie, mode de vie politique où tous les citoyens participent également à la décision et assez activement à la délibération, cette participation peut être limitée à une partie seulement de la population. Ce fut le cas dans la Grèce antique et chez nous au XIXe siècle. Inversement, une égalité sociale considérable peut aller de pair avec la dictature : on l’a vécu dans les pays sous régime communiste.
En brassant les couches sociales, l’école peut constituer un facteur d’égalité sociale efficace, tout en restant autoritaire, tant pour maintenir l’ordre en classe que pour pratiquer une pédagogie de transmission frontale, assez peu efficace. Inversement, elle peut, même dans un système scolaire inégalitaire, éduquer à la démocratie, surtout en faisant vivre aux élèves l’expérience de conseils où ils décident ensemble d’une part importante de ce qui fait leur vie à l’école6. Et l’efficacité des apprentissages repose largement sur le fameux conflit socio-cognitif dont la gestion fait appel à des règles fort proches de celles d’une gestion démocratique de la vie en classe7.
Ainsi, l’apprentissage de la démocratie a partie liée avec les pédagogies actives.
Cette expression, qui veut cristalliser un consensus, est aussi source de confusion. L’important, que les mots égalité et démocratie ne désignent pas, c’est l’équilibre écologique : un rapport de l’homme à la nature qui préserve les ressources naturelles.
La rupture des équilibres écologiques est un mal en soi, mais aussi un facteur d’inégalité. Et c’est surtout pour reconnaitre ce lien qu’on a rassemblé les deux notions sous le vocable de développement durable. À l’échelle mondiale, l’inégalité prend de plus en plus la forme d’un accaparement ou d’une destruction, par les riches, de ressources naturelles qui constituaient jusqu’il y a peu le milieu de vie des pauvres. Pour l’éviter, les riches doivent apprendre des modes de consommation et de production qui les rendent moins dépendants de ressources pillées dans l’environnement naturel des pauvres. Cet apprentissage, affaire de formation continuée et d’éducation populaire, doit entrer aussi dans les missions de l’École.
Si l’utilité pour l’équilibre écologique n’est pas le seul critère pour choisir les savoirs à transmettre, elle pèse lourd pour mettre cette sélection à l’agenda de l’École. Donc l’équilibre écologique concerne les contenus d’enseignement.
Les choses sont, certes, plus complexes. Mais, dans le tissu des liens en tous sens entre les fins du progrès et les moyens de l’École, il y a des fils plus gros que d’autres. Par ailleurs, l’École est inégalement capable de concrétiser ces trois finalités. D’où, pour notre mouvement, un ordre de priorité. Première, l’égalité se gagnera dans les relations avec les familles. Deuxième, la démocratie est liée aux méthodes pédagogiques. Troisième, l’équilibre écologique devrait guider le choix des contenus d’enseignement.
Eugène Mommen
1. Voir le dossier PISA, Échec à l’échec, n°156, juin 2002.
2. Voir le dossier ” Le rapport au savoir “, Échec à l’échec, n°160, mars 2003.
3. Voir le dossier ” Marché scolaire “, Échec à l’échec, n°136 et 137, sept. et oct. 1999.
4. Voir le dossier ” Écoles/familles “, Échec à l’échec, n°147, mars 2001 et CGE, Que faire des conseils de participation ?, dans Politique, n°hors série, avril 2003, pp. 10 à 13.
5. Voir le dossier ” Égalité “, Échec à l’échec, n°150, sept. 2001.
6. Voir le dossier ” Le droit à l’école “, Échec à l’échec, n°129, sept. 1998; et le dossier ” Pédagogie institutionnelle “, Échec à l’échec n°152 et 153, déc. 2001 et jan. 2002.
7. CGE, Apprendre la démocratie et la vivre à l’école, Labor, Bruxelles, 1995.