Cher Benoît, cher Elio, Messieurs les recteurs,
C’est au nom de 50 ans de passion pour l’école, l’éducation et la formation que je m’autorise à vous écrire publiquement. J’ai eu le privilège rare de bourlinguer aux quatre coins de la planète éducative. Du Collège Cardinal Mercier à Braine-l’Alleud, comme enseignant et directeur en milieu privilégié à une école professionnelle du bâtiment dans les Marolles. En formation initiale d’institutrices maternelles, d’institutrices-teurs et de régent(e)s. En éducation permanente comme co-fondateur et animateur à Changements pour l’égalité (CGé). Et même quelques années au Parlement de la Communauté française, quand Elio faisait ses premières armes de ministre !
Une certaine expérience fonde donc ma modeste expertise. Aussi, malgré le bruit autour du Mundial, en tant que citoyen je considère que cette période de formation d’un gouvernement pour la Wallonie et Bruxelles justifie amplement une prise de parole. Je constate que, en matière de formation, on peut lire un peu partout des prises de position fortes des recteurs d’universités. Ils réclament la fin de l’enveloppe fermée. Je les comprends bien sûr et ne doute pas que leurs voix seront entendues. D’autant qu’ils ne manquent pas de relais dans vos partis.
Les institutrices maternelles, elles, bouclent l’année scolaire. Souvent épuisées. Surtout quand elles ont eu la responsabilité de 20, 25, parfois plus de petits bouts. Encore plus quand ces tout petits sont issus de familles défavorisées ou venues d’ailleurs. Elles exercent souvent leur beau métier dans des locaux vétustes et dans des quartiers pauvres. Elles n’ont pas de porte-parole éloquents, encore moins de relais puissants.
Et pourtant, le terrain de la petite enfance et des premières années de la scolarité maternelle et primaire est celui qu’il faudra privilégier en premier ! Parce qu’il est décisif pour l’avenir des enfants et de notre société. C’est le moment de l’accrochage des enfants et de leurs familles. C’est le temps où il est possible, mais difficile, de donner confiance. Où il est possible, et difficile, de reconnaître toutes les cultures, toutes les classes sociales, avec leurs richesses et, parfois, le fossé qui les sépare de la culture de l’école.
Ces dernières années, la Fondation Roi Baudouin, l’Unicef, de nombreux chercheurs et professeurs d’université ont souligné à travers de solides études, des colloques, des appels, … que (presque) tout se jouait au cours de ces années décisives où la curiosité et l’appétit d’apprendre des petits sont immenses. Mais tous soulignent que notre système ne prend pas suffisamment en compte les énormes différences entre les enfants, les familles et les écoles. C’est à peine caricatural d’écrire que certains naissent avec la petite caisse à outils de l’écolier à côté de leur berceau, tandis que d’autres arrivent à l’école sans (presque) aucun des outils indispensables pour y réussir. D’autant plus que, aujourd’hui, la folie des évaluations et des formes subtiles de compétition atteint même les écoles maternelles.
Dès lors, cher Benoît, cher Elio, n’oubliez pas ces enfants, ces enseignant(e)s, ces familles qui relèvent de ce qu’on qualifie pudiquement « encadrement différencié ». C’était quand même mieux quand on osait appeler les choses par leur nom et parler de « zones d’éducation prioritaires » ! Aussi, parlons « budgets » pour finir… Cet encadrement différencié devrait permettre aux enfants des familles pauvres et défavorisées d’accéder, eux aussi, aux formes de réussite les plus variées. Mais, la Communauté française y consacrait jusqu’ici seulement 1% de son budget. C’est indécent !
Il ne s’agit pas seulement de ne plus tolérer que des classes d’accueil en maternelles « différenciées » regroupent 20, 25, voire plus de tout petits. Que des classes « différenciées » de début du primaire dépassent, elles aussi, les 15 élèves dont bon nombre ne maitrisent pas la langue de l’école et ne trouvent pas de soutien scolaire à la maison. Il s’agit aussi d’assurer aux équipes qui travaillent dans ces secteurs sinistrés des conditions de travail et de formation continuée adaptées. De libérer une part de leur temps pour rencontrer les parents et les animateurs de quartier. Il s’agit … Tout est dans les dossiers de vos conseillers, tout a été proposé et justifié dans les études déjà citées et dans pas mal d’autres.
C’est le moment pour les humanistes et les socialistes de tenir leurs promesses. D’accorder la priorité aux milieux populaires, aux enfants du peuple, aux petits de l’Evangile. De surcroit, c’est dans l’intérêt de tous. Car une société qui entretient un système scolaire qui produit autant d’exclusions et d’échecs que le nôtre, cette société prépare à tous ses enfants un avenir bien sombre fait d’apartheid et de violence.
Messieurs les recteurs, merci d’être attentifs à ces enfants qui devraient, eux aussi, pouvoir accéder un jour à l’enseignement supérieur avec de bonnes chances de succès.
Cher Elio, cher Benoît, voilà le match qu’il faut absolument gagner !