Dans la réalisation d’un projet de classe, j’ai cherché à faire vivre l’expérience de la liberté lors des différentes étapes de ce processus d’apprentissage. Mais est-ce qu’un élève livré à lui-même apprend mieux que lorsqu’il est guidé ? Quel rôle puis-je jouer si je le laisse avancer suivant ses désirs ? «,»J’enseigne la gestion de l’environnement dans le troisième degré de l’enseignement qualifiant. La pédagogie du projet y est encouragée. J’expérimente à la fois des projets personnels et des projets collectifs. Dans ce dernier cas, il m’est arrivé à plusieurs reprises d’imposer un projet. Les élèves me l’ont reproché après coup.
Je tente maintenant d’intégrer les élèves dans le choix du projet. Il m’arrive de leur proposer une liste de projets possibles, afin de leur donner une idée du genre de travaux et aussi pour permettre s’il y a une affinité pour un sujet de la liste de ne pas devoir passer trop de temps à chercher.
Ma dernière expérience m’a amené à proposer un thème, sans que le projet ne soit prédéfini : la gestion d’un cours d’eau. J’ai voulu vérifier si la thématique intéressait les élèves de cinquième.
J’ai commencé par leur montrer des photos du cours d’eau voisin de notre école, un tronçon qui n’a subi aucune intervention humaine ” c’est un endroit inaccessible au public, que bordent des voies de train. On y trouve de nombreux déchets de toutes sortes. Je leur ai demandé de donner leurs impressions. Les élèves ont été touchés par le contraste entre la nature sauvage de cet endroit et la quantité de déchets présents. Ils avaient tous envie de nettoyer l’endroit. Certains ont même proposé d’essayer de trouver une solution à plus long terme pour protéger le site. D’autres ont émis le souhait de réaliser un reportage de notre action sur le cours d’eau, afin d’encourager d’autres écoles à faire de même.
J’ai proposé d’aller plus loin que le nettoyage et de mener un projet dont le thème général serait la gestion du cours d’eau. Ils ont accepté ma proposition. Bien que les actions de gestion puissent être multiples, je me dis que j’ai peut-être, à nouveau, un peu forcé leur choix, d’autant que je les aie amenés à être touchés émotionnellement de l’état de pollution du cours d’eau.
Avant d’aller plus loin, nous avons pris contact avec l’association qui est responsable de la gestion du cours d’eau, plus en amont de son cours, afin d’avoir d’une part l’autorisation d’intervenir, et d’autre part, d’avoir quelques conseils sur les actions prioritaires à réaliser. Et, pour notre sécurité, nous avons averti Infrabel de notre passage le long des voies pour accéder aux berges.
Nous avons ensuite établi une carte mentale à partir des intérêts de connaissance et des questions que chacun se pose sur ce thème. À partir de cette carte, j’ai construit un tableau reprenant toutes les idées et questions, en les classant en objectifs, connaissances préalables à la réalisation d’un acte de gestion du cours d’eau, connaissances à acquérir au cours du projet, actions sur le terrain visées et outils de communication du projet vers d’autres publics.
Nous avons alors tous voté en accordant une valeur allant de 1 à 5 pour chacune des actions. Nous en avons retenu dix. Parmi elles, chacun en a choisi une dont il assumerait la responsabilité de sa réalisation. Certains se sont retrouvés avec le même choix. Je leur ai alors proposé de travailler en binôme ou de préciser les spécificités de leurs approches, afin de distinguer différents pans d’une même action.
Chaque élève a ensuite élaboré une fiche projet qui a donné lieu à des présentations individuelles, afin que chacun puisse avoir connaissance des projets des autres, puisse poser des questions amenant le responsable à vérifier s’il avait bien cerné toutes les dimensions, et en invitant tout le monde à partager les idées pouvant aider dans les réalisations.
Chacun prépare la partie pratique de son projet de façon individuelle. Une fois prêts, nous nous rendons sur le terrain et, à tour de rôle, ils présentent leur projet, en intégrant les éléments théoriques nécessaires à la bonne compréhension de la pratique. Ensuite, chaque élève ou binôme explique à la classe ce que chacun va pouvoir faire pour contribuer. Nous réalisons donc tous ensemble les parties pratiques des projets. Pour conclure, une analyse critique de chaque projet est réalisée collectivement.
Dans ce projet, j’ai posé le cadre général : production attendue, échéances intermédiaires et une finale, calendrier des temps consacrés ensemble à ce travail, étapes de travail. Chacun a établi ” en évoquant les raisons de son choix à travers l’expression des affinités qu’il ressent avec le sujet ” ses objectifs d’apprentissage, déclinés en savoirs et en savoir-faire, ses intentions, c’est-à-dire la posture qu’il souhaiterait adopter durant la réalisation du projet et ses critères d’autoévaluation sur la base desquels il pourra estimer son degré de satisfaction par rapport à la production réalisée.
Dans ce cadre, comment accompagner chacun ? Comment trancher entre l’expérience de la réalisation en complète autonomie et l’accompagnement guidé que je pourrais offrir ? La première option sera riche en expérience du fait que l’élève soit seul face à sa volonté, à ses valeurs, à sa créativité, à ses connaissances, à ses compétences, à la gestion du temps… Mais cette option donnera-t-elle le meilleur résultat possible ? Face à cette crainte que l’élève ne parvienne peut-être pas à un travail de qualité satisfaisante à mes yeux, je mets alors à disposition, sur chacun des thèmes travaillés, des documents théoriques et techniques, afin de leur donner une base qui m’assure que des ressources de qualité leur sont disponibles. Certains les utiliseront et en intègreront précisément le contenu, d’autres se sentiront libres d’utiliser d’autres ressources, voire d’y aller à l’instinct. Face à ce constat, je me dis que leur offrir des sources documentaires n’est pas trop contraignant si je ne les oblige pas à les utiliser. Aussi, j’ai demandé à chacun s’il souhaitait que je me penche sur son travail en cours d’élaboration afin que je partage mes impressions et conseils.
Dans le calendrier de travail du projet, je place des moments de partage sur le travail réalisé jusqu’alors. Chacun expose les grandes lignes de là où il est arrivé, présente ce qu’il envisage encore de faire, les éventuelles questions qu’il se pose par rapport à la poursuite de son travail, les demandes d’aide formulées à l’attention du groupe. L’élève peut aussi demander l’avis et les idées des autres sur l’étape de travail présentée.
Par rapport au choix du projet, il m’apparait utile de dire aux élèves que celui-ci dépend de leur implication et qu’il n’est peut-être pas souhaitable de se lancer dans un projet s’il ne retient pas l’intérêt, si pas de tous, au moins de la majorité des élèves, espérant que ceux qui y seraient réfractaires trouvent néanmoins leur compte dans la prise de l’une ou l’autre des responsabilités nécessaires à sa réalisation.
Concernant les résultats, les connaissances théoriques laissent parfois à désirer. Par contre, pour certains élèves, la maitrise du sujet est vraiment impressionnante. Je constate que certains n’ont pas du tout fait appel à moi. Ceux que j’ai orientés réalisent un travail correspondant plus à mes attentes, mais cela ne veut pas dire que le travail des autres soit nécessairement moins bon. En tout cas, personne ne s’est montré hésitant au point de poser des questions à chaque étape. Il y a donc bien eu prise d’autonomie, même si elle fut partielle dans certains cas.
Je constate aussi que j’ai établi de façon unilatérale le type de production attendue : un travail écrit, décrivant les aspects théoriques et techniques d’une action pratique favorable à l’amélioration de l’état écologique du cours d’eau. Peut-on parler de travail personnel avec une telle consigne ? La liberté que je cherche à leur proposer n’est-elle que fictive ? Je ne le pense pas, mais je me demande néanmoins quelle expérience les élèves ont réellement acquise à la suite de cet exercice.
Je reste avec la question de savoir si le cours théorique sur la gestion des cours d’eau doit venir avant la réalisation du projet ou après. Dans le premier cas, on privilégie l’expérience que peut faire l’élève de devoir choisir et expérimenter sur la base de ses connaissances et de ses représentations. Il confrontera ensuite son expérience avec la théorie qu’il recevra avec une perception enrichie de cette expérience. Dans le second cas, il expérimentera la mise en pratique des éléments vus au cours. Bien qu’il ne soit pas exclu que certains élèves cherchent à explorer des pistes non évoquées dans le cours, il s’agira, dans la plupart des cas, d’un exercice de confrontation de la théorie à la pratique. Les deux démarches sont évidemment pertinentes. Les choix d’actions à réaliser diffèreront, de même que la manière de construire la connaissance. Le degré d’acquisition des connaissances et des compétences ne sera pas le même non plus.
Afin d’aider ceux dont la partie théorique est plus faible, j’ai envie d’essayer de travailler, avec les élèves, la manière d’investiguer et de s’approprier une thématique. Comment cerner un sujet est une question qu’il me semble utile d’aborder avec eux pour tenter de les amener à aller plus loin dans leurs expérimentations et leur questionnement. Les amener à vivre la liberté de l’orientation de leur travail passerait par l’acquisition d’une méthode ? Dans le même ordre d’idée, j’aimerais préparer le terrain de l’écriture. Pourquoi ne pas envisager une production qui comprenne aussi des passages d’écriture personnelle, des moments de réflexion, des liens avec le sensible ?
2022-09-28 11:25:23