Le texte ci-dessous trouve son origine dans le changement de nom de notre mouvement socio-pédagogique . L’ancienne Confédération Générale des Enseignants (CGE) est devenue CGé, ChanGements pour l’égalité, mouvement socio-pédagogique en août 2003, ceci afin de clarifier sa position dans les enjeux actuels autour de l’éducation.
Ce document reprend nos propositions afin d’apporter plus d’égalité à l’école.
Constats d’inégalité
Davantage mis en avant par des instances internationales que par des études communautaires en matière d’évaluation de notre système scolaire, les constats d’inégalité très forte des acquis des élèves en Communauté française sont incontournables.
Point de vue externe
L’enquête PISA 2000 (programme international pour le suivi des acquis des apprentissages) – à prendre certes avec certaines précautions que nous ne formulerons pas dans ce texte – a confirmé ce que bon nombre d’acteurs et d’observateurs de l’enseignement en communauté française de Belgique savaient déjà, à savoir l’inégalité produite par notre système scolaire.
Il s’agit d’une inégalité en termes de performances (compétences en lecture principalement, en mathématiques et en sciences plus secondairement).
- 28 % des jeunes de 15 ans n’atteignent pas des compétences élémentaires en lecture alors que la moyenne de la zone OCDE est de 18 %.
- Le score moyen de la Communauté Française-Wallonie-Bruxelles (CFWB) sur l’échelle de lecture est de 476 (moyenne de 500 pour la zone OCDE) et l’écart type, qui mesure la dispersion des résultats, est de 111 (le plus élevé avec l’Allemagne).
- Si on considère l’écart entre les 10 % les plus faibles et les 10 % les plus forts, c’est encore la CFWB qui en tête.
- Si on considère les résultats en fonction du niveau de formation des parents (c’est le diplôme de la mère qui est pris ici en compte), dans certains pays l’écart de performances, entre les élèves situés dans la catégorie inférieure et ceux situés dans la catégorie supérieure, est important. La CFWB occupe la deuxième position.
- Si on lie la variation de performance des élèves à l’origine des parents (lieu de naissance du père), on obtient aussi des écarts importants dans certains pays et la CFWB occupe la cinquième position.
Point de vue interne
Le taux de redoublement est important : 54 % des élèves, 60 % des garçons ont au moins un an de retard à la fin du secondaire.
En bref, le système scolaire produit de l’inégalité et celle-ci est clairement liée à l’origine sociale des enfants. Ce qui veut dire que l’école ne comble en rien l’inégalité sociale de départ.
Pourtant le pouvoir politique au travers de ses décrets (école de la réussite par cycles dans le fondamental, décret “missions” de 1997 portant en germes les autres dispositions qui s’en suivirent) a inscrit au cœur de l’école l’objectif d’égalité. En effet, “assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale” est l’un des quatre objectifs généraux définis par le décret “missions”.
Si tous ces objectifs appellent des changements importants dans notre système scolaire, la gravité de l’inégalité scolaire en Belgique francophone demande que la réalisation de l’objectif d’égale émancipation sociale reçoive en priorité les moyens supplémentaires très limités du refinancement de l’enseignement sur lequel les quatre partis politiques importants de Belgique francophone se sont engagés pour une dizaine d’années.
Causes
D’une manière générale, les politiques éducatives en CFB ne sont pas coordonnées et l’ensemble relève d’un montage complexe, composite, structuré en quasi-marché, favorisant la concurrence entre établissements. Différents mécanismes sont à l’œuvre tant au niveau du pouvoir central, des établissements que des acteurs de terrain.
-1. Dans l’organisation du système scolaire : la double liberté.
Le pacte scolaire de 58 a entériné la liberté des familles du choix de l’établissement scolaire pour leur enfant. Aujourd’hui cela aboutit à des regroupements d’élèves suivant le milieu social et/ou suivant le niveau de maîtrise, à savoir l’homogénéisation des publics.
La liberté de choix pédagogique des Pouvoirs Organisateurs d’école, ce qui permet aux uns de développer un enseignement élitiste tandis que d’autres développent un type de pédagogie adaptée à un public défavorisé.
-2. Dans le positionnement des établissements : la niche éducative .
Chaque établissement scolaire adapte son projet pédagogique en fonction de son public avec une participation plus ou moins grande des usagers à la définition du projet d’établissement. Chaque établissement construit de cette façon sa « niche » éducative qui lui permet de se positionner dans un espace concurrentiel local ainsi que sur le quasi-marché scolaire. Cette niche éducative est un moyen habile de conjuguer la concurrence entre établissements et la capacité à construire un projet autour d’une culture d’établissement.
Le danger réside justement dans l’occultation de phénomènes d’exclusion générés par ce système : le projet d’établissement est attractif voire spécialisé pour un certain type de population, adapté au niveau local et positionné sur le quasi-marché scolaire et de par ce fait exclut un autre public.
-3. Dans les comportements des enseignants : le refoulement sociopolitique
Beaucoup d’enseignants développent un discours très puerocentré (bien-être de l’enfant, valorisation de la relation pédagogique, égalité d’accès pour tous les enfants) mais méconnaissent les enjeux d’un système dans lequel ils jouent ; ils participent, à leur insu, à l’exclusion et à la reproduction d’inégalités. Les enseignants sont souvent peu conscients des stratégies d’établissement, des effets du quasi marché, …
Ils sont rarement conscients du fossé qui sépare la culture scolaire (qui leur est éminemment familière) des cultures familiales des enfants issus des milieux populaires, du fait que beaucoup de ces enfants se sentent étrangers à l’école. Ce qui les amène souvent à interpréter les résistances de ce type d’enfants aux apprentissages en terme de « mauvaise volonté », de « paresse » ou de « limitation intellectuelle ».
Axes de propositions
Pour obtenir une amélioration sensible dans un délai raisonnable, la modeste augmentation de budget qui a été promise doit être affectée à la mise en œuvre de l’objectif général d’égalité par des améliorations qualitatives dans les établissements fréquentés par des élèves de milieux populaires et aux étapes de la scolarité où se joue principalement le sort de ces élèves : au premier cycle du primaire tout d’abord, au premier cycle du secondaire ensuite.
Si les objectifs du décret Missions veulent être rencontrés, à savoir une volonté d’atteindre des socles d’acquis valables pour tous (socles de compétences à la fin du premier degré et compétences terminales) ainsi qu’une volonté d’émancipation sociale pour tous, donc une volonté d’égalisation des chances pour tous les enfants au niveau d’une société toute entière, il s’agit de faire converger tous les moyens pour mettre en oeuvre ces objectifs afin de combler le décalage permanent entre le discours et les actions sur le terrain.
A cet effet il y a lieu d’agir sur les structures et sur les cultures et ce aux trois niveaux possibles de régulation.
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1. Pouvoir central
1.1. Asseoir les réformes dans l’enseignement de base
« Vérifier de près les possibilités de mise en application de la série de décrets émis au cours des 10 dernières années et évaluer leurs effets réels (École de la réussite, Missions de l’enseignement, Discrimination positive, formation initiale).
Revoir les conditions nécessaires pour que des décrets, aussi beaux soient-ils puissent se traduire en actions valables. Pour ce faire, se poser réellement la question de la stratégie de changement des institutions : quelles sont les conditions d’élaboration et d’appropriation de nouveaux prescrits légaux dans cette vaste machine qu’est l’enseignement ? Comment impliquer les acteurs dans le changement, sans tomber dans les raccourcis pédagogiques des ” exprimez-vous ” ? »
1.2. Hétérogénéiser
A court terme il est possible de compenser ou corriger en partie des facteurs d’inégalité extérieurs à l’école. Distribuer les ressources entre les établissements selon un principe de discrimination positive est donc légitime. Mais cela ne suffit pas.
A moyen terme, il est indispensable de viser une plus grande hétérogénéité des publics scolaires tant d’un point de vue social (instauration de la carte scolaire et perte du choix des parents) que du point de vue structurel (tronc commun d’enseignement jusque 15 ou 16 ans), même si cela s’oppose à la culture des parents et des enseignants, et que cela nécessite des réformes de structure très importantes.
1.3. Créer un observatoire permanent de l’enseignement
Le système est totalement opaque : nous manquons cruellement de bases de données concernant les effets de notre système d’enseignement, ce qui provoque de l’incohérence à tous les niveaux de décisions (coordination du central, ignorance complète tant au niveau des établissements que des enseignants des effets discriminatoires allant à l’encontre des deux objectifs précités.)
A côté de la Commission de Pilotage, nous préconisons la création d’un organisme indépendant du pouvoir politique et des réseaux qui aurait pour missions de produire de l’information, évaluer la réalisation des objectifs assignés par les décrets.
1.4. Promouvoir une culture de coopération entre décideurs, chercheurs, pouvoirs locaux et enseignants
Le problème de l’hétérogénéité et de l’égalisation des chances se pose à tous les acteurs. Les responsables politiques ont la responsabilité de faire savoir que la commande sociale faite à l’école a changé radicalement. Il s’agit de faire savoir que ce défi formidable à relever exige la mobilisation de toutes les expertises et expériences. Les progrès des élèves et des écoles qui auront bénéficié de moyens supplémentaires doivent être évalués en permanence pour nourrir le débat démocratique sur un refinancement plus large de l’enseignement.
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2. Établissements
2.1. Asseoir les réformes
Baisser les normes d’encadrement, surtout lorsque le public est en grande difficulté socio-économique et/ou (un choix est à faire suivant les moyens) prévoir plus de temps de travail collectif entre tous tes intervenants, y compris les extérieurs à l’école.
2.2. Hétérogénéiser
Distribuer les ressources entre les établissements selon un principe de discrimination positive en mettant en place un mécanisme qui se présente plutôt comme une prime à l’hétérogénéité qu’une prime aux écoles spécialisées dans le service des pauvres.
Il y a lieu d’inciter chaque établissement à définir son projet en adéquation avec les objectifs d’hétérogénéité et d’égalité. A côté du projet d’activités existant, nous préconisons l’adjonction d’un rapport social comprenant un étude de composition du public, son évolution, les entrées et sorties en lien avec des indicateurs socioculturels. Ce rapport devrait faire l’objet d’un débat et d’une évaluation au sein de l’établissement.
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3. Enseignants
3.1. Professionnaliser le métier.
Entre les bonnes intentions des réformes et les moyens mis en œuvre, le gouffre ne cesse de se creuser et les enseignants finissent par s’en attribuer la responsabilité ou renoncer à leur métier. Il faut rendre aux enseignants la légitimité nécessaire pour revendiquer leur expertise professionnelle sur les conditions d’application des réformes.
Il s’agit de transformer un métier individuel en métier collectif et d’intégrer dans le temps de travail ces moments de travail collectif.
3.2. Développer davantage l’information et la formation de type socio-pédagogique des acteurs de terrain.
Faire prendre conscience du rôle de l’école dans la reproduction des inégalités sociales en travaillant avec les enseignants sur les rapports aux savoirs, principalement des milieux populaires. L’enjeu étant de percevoir les différentes activités d’apprentissage en fonction des différents rapports aux savoirs et comment s’appuyer sur des différences socioculturelles pour produire plus d’apprentissages.