Qu’est-ce qu’être citoyen ?

Une des compétences citoyennes fondamentales est la capacité à (re) mettre en questions les évidences sociales, les consensus confortables. L’éducation à la citoyenneté en fait partie. On interroge peu ce qu’est la citoyenneté[1]Au-delà d’une
stricte définition juridique comme la faculté de jouir des droits et des devoirs liés à une
nationalité. C’est ce que nous allons essayer ici.
et ce qu’est la pratiquer, et encore moins ce que serait une éducation à la citoyenneté[2]C’est l’objet de l’article qui suit..

La citoyenneté ne peut se concevoir qu’en référence
à la démocratie, considérée ici selon
deux de ses caractéristiques fondamentales.

C’est le seul système qui reconnait la pluralité
et la divergence d’intérêts et en accepte les affrontements
pour tenter de les concilier. Et cet affrontement
– conciliation s’inscrit dans la tentative désespérée
et toujours inachevée de concilier des valeurs contradictoires,
d’augmenter la liberté et l’égalité de ses membres.

Désespérée et inachevée parce que liberté et égalité
sont en tensions, qu’on veut toujours plus de liberté et
qu’alors on perd en égalité ; et qu’on veut toujours plus
d’égalité et qu’alors on perd en liberté. Idem pour les
autres tensions : sécurité versus libertés, coopération
versus contestation, singularité versus pluralité, etc.

La démocratie est une quête, un débat chronique, une
continuelle déception, un système politique qui ne cesse
de se (re) construire. Il ne s’impose pas à ses membres,
il est en co-construction permanente par ses acteurs et
chaque membre est invité à l’être.

Être citoyen, c’est être acteur de démocratie. Ce sont
les efforts fraternels d’améliorer pour soi et les autres.
Exercer sa citoyenneté, c’est donc agir en faveur de plus
de liberté et/ou plus d’égalité. On pourrait dire simplement
agir pour plus de justice, mais en concevant la justice
comme un processus inachevé inscrit au sein des
multiples tensions propres à la démocratie. Cela signifie
donc aussi la capacité à participer au débat démocratique,
à en comprendre les enjeux, à y prendre position
et agir en faveur de l’un ou l’autre des pôles des tensions
en présence.

Démocratie en danger

Trois grands dangers[3]Qui mériteraient
d’être développés…
qui peuvent interagir menacent
la démocratie : l’émocratie, la gouvernance technocratique
et la mondialisation libérale. L’émocratie, c’est le pouvoir des émotions populaires manipulées. C’est en matière de sécurité qu’elle s’exprime le plus.

Elle fait le lit des populismes. La gouvernance technocratique,
c’est le pouvoir des (pseudo) experts. L’Union
européenne la pratique allègrement. Elle prépare le
« Meilleur des Mondes » [4]D’après l’orthodoxie
néoclassique
en économie politique.
(libéral). La mondialisation
libérale concentre les capitaux entre quelques mains,
met en concurrence les systèmes socioéconomiques et
donc détruit les plus justes, renforce les inégalités au
point de préparer des révoltes qui seront noyées dans
le sang.

Un danger n’empêche pas les autres, au contraire, on
peut les combiner. Demandez à Poutine. Les partis traditionnels,
et même les autres, au fur et à mesure de leur
succès électoral et de leur participation au pouvoir, sont
condamnés à user des émotions populaires, de la gouvernance
technocratique et du dumping social. Celui
qui ne le fait pas perdra des voix au profit de ceux qui le
pratiquent. Et sans voix, aucun parti ne peut poursuivre aucun programme.

Exercer sa citoyenneté

La politique ne peut sauver la démocratie. Elle a
besoin de la contestation permanente, de la recherche,
de l’expérimentation sociale, et des propositions réalisées
par les associations, par la société civile. Que
deviendrait la législation sociale sans les syndicats, la
politique de santé sans les mutuelles, les indépendants
sans l’UCM ? Quels changements espérer sans Inter-
Environnement, le CNCD, l’UPJB, ATTAC, Amnesty,
les Chiennes de Garde, le GRACQ, CGé ?

Être citoyen, c’est donc participer au débat démocratique,
en comprendre les enjeux, y prendre position et
agir en faveur de l’un ou l’autre des pôles en tension, et
cela, en alliance avec des associations existantes, avec
d’autres acteurs de la société civile, au secours d’une
démocratie mise en danger par l’émocratie, la gouvernance
technocratique et la mondialisation libérale.

Pour la plupart de nos élèves et étudiants (et pour la
plupart de nos collègues aussi d’ailleurs), cela signifie
tout bonnement changer d’identité sociale. Cela ne se
fera pas avec un (petit) cours. Cela ne se fera que dans
un système scolaire qui le veut et en prend les moyens.
Pédagogiquement, on peut considérer la citoyenneté
comme une macro – compétence, incluant de multiples
compétences (comme lire, écrire, calculer !). Une
macro – compétence, cela signifie qu’il faut travailler à
la fois des savoir-être ( je préfère dire des dispositions[5]Au sens
de l’éthos de
Pierre Bourdieu
.),
des savoir-faire ( je préfère dire des connaissances procédurales[6]Au sens de
M. Dévelay, c.-à‑d.
pas seulement
savoir comment
faire, mais surtout
quand et pourquoi.
)
et des savoirs (de préférence, conceptuels
et théoriques). Comment ? C’est l’objet de l’article qui suit.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Au-delà d’une
stricte définition juridique comme la faculté de jouir des droits et des devoirs liés à une
nationalité. C’est ce que nous allons essayer ici.
2 C’est l’objet de l’article qui suit.
3 Qui mériteraient
d’être développés…
4 D’après l’orthodoxie
néoclassique
en économie politique.
5 Au sens
de l’éthos de
Pierre Bourdieu
6 Au sens de
M. Dévelay, c.-à‑d.
pas seulement
savoir comment
faire, mais surtout
quand et pourquoi.