Quand la domination symbolique globale s’inverse au niveau local

Dans les groupes de jeunes avec lesquels je travaille, en milieu hospitalier, il est super tendance d’être basané, d’avoir un air dur et fermé, casquette vissée sur le crâne, démarche boitante, humour cassant, le tout saupoudré de quelques mots d’arabe (pas toujours bien compris ou utilisés).

Voici le type de jeune qui sera respecté, que le groupe peut facilement placer en tant que leadeur et qu’on ne viendra pas emmerder. Il y a un pouvoir, une domination symbolique à être issu de l’immigration, plus précisément une immigration magrébine ; bien que, un teint basané et quelques mots d’arabes peuvent également fonctionner sans provenir du Maghreb pour se garantir une place confortable et rassurante au sein du groupe. Je constate que ce type de jeune est également reconnu, valorisé, légitimé dans les discours et les réflexions sur le complotisme, les Illuminati, Dieudonné, l’esclavagisme, etc.
Des dynamiques s’installent entre jeunes, il y a les dominants que l’on craint et les victimes que l’on peut casser. Les victimes seront plus facilement des gwers (en arabe gaouri = blanc, Occidental) ou des flappis ou encore flamanis (= Flamands), c’est-à-dire généralement des blancs, éventuellement frêle et blond. Tu auras beau être polonais, tu feras partie de la catégorie des flappis.
Les voici en train de rejouer des dominations symboliques qu’ils peuvent vivre à l’inverse dans la société. Ce type de jeunes a dû comprendre par différents éléments du quotidien qu’ils n’avaient que très peu de pouvoir : issus de l’immigration, parents ne parlant pas bien le français, scolarité compliquée, rapport aux forces de l’ordre conflictuel, méfiance de la part et envers les institutions de façon générale, rapport au monde extérieur pas sécurisant, etc.
Comment accompagner ces dynamiques, les questionner, les nommer en groupe afin de repartager le pouvoir, tant d’un point de vue sociétal que local ? Sortir de dynamiques sélectives et excluantes, comprendre ce qui se joue dans un groupe classe et au sein de notre environnement global ?

Une vague qui balaie tout ?

Une quête de chaque instant pour ces jeunes dont les trajectoires de vie sont brimées, secouées, brisées, bloquées, étouffées.
Une fuite vers l’avant, sans penser son histoire, vouloir être normal, comme les autres qui vont à l’école.
Et pourtant, ce malêtre qui persiste, ces maux qui resurgissent pour se rappeler que l’on ne peut plus avancer comme si de rien n’était.
Des scarifications, une tentative de suicide, une deuxième, des voix qui prennent le dessus sur la pensée, une pensée angoissante, une nuit dans le parc, un parcours d’errance qui nait, un intérieur et un extérieur qui étouffent.
Tant de signes qui rappellent aux jeunes qu’ils ne peuvent plus avancer avec légèreté.
Il est alors temps de s’arrêter, contraints par la douleur. Obligés de faire face à son histoire, à son être. Essayer de comprendre, essayer de mettre des mots sur ce qu’on ne comprend pas, sur ce que notre corps ou notre douleur nous dit.
Voilà le travail par lequel ces adolescents sont obligés de passer afin de retrouver une place juste, une place en eux-mêmes, une place dans la famille, une place dans le groupe, une place dans une classe…
Et puis, progressivement et parallèlement, petit à petit, une place pour l’apprentissage. Quelles sont ses capacités cognitives ?, aime demander la directrice, on lui a fait passer un test ?
Un cadre rassurant pour accompagner cette quête fragile.