Le champ scolaire n’est pas le seul où le concept de « mixité sociale » est apparu depuis quelque temps. Dans un autre champ des politiques publiques, celui des politiques de la Ville, ce concept a fait irruption il y a une quinzaine d’années. Un détour que nous prenons le risque de vous soumettre…
Les politiques urbaines ont suivi l’évolution d’une Ville marquée par la désindustrialisation, la tertiarisation du système économique et le déplacement des classes moyennes désertant les quartiers centraux au profit de la périphérie. Ces évolutions sont particulièrement visibles dans une ville comme Bruxelles. Les communes de Bruxelles rassemblées autour du canal, au nord et à l’ouest de la ville, prennent la forme d’un « croissant » dit pauvre. Ces quartiers populaires ne peuvent cependant pas être comparés aux ghettos américains ou aux banlieues françaises, car il s’agit moins d’enclaves ethniques que de quartiers défavorisés socialement.
Ensemble, c’est tout
En matière d’action publique urbaine, l’image de référence a longtemps été celle de l’homme au travail. Les phénomènes décrits ci-dessus ont opéré un glissement vers une nouvelle référence, celle de « l’habitant au sein de son quartier ». Dans ce cadre, le quartier n’est pas seulement un territoire, il est avant tout peuplé d’habitants. Paradoxalement, dans notre monde ultraglobalisé et mobile, nous observons depuis le début des années ‘90 un retour vers le local. Cette nouvelle vision fait naitre l’image idéalisée d’un lieu convivial, harmonieux, où il ferait bon vivre ensemble entre classes sociales différentes.
Il faut vite se rendre à l’évidence : mixité sociale et proximité ne riment pas souvent quand le concept est imposé d’en haut. La recherche d’une mixité mythique agirait comme une formule magique auprès des populations défavorisées, comme si côtoyer les classes moyennes pouvait faire évoluer leur situation, par le biais d’un processus d’imitation et d’émulation…
Le rapprochement de différents groupes socioéconomiques peut au contraire susciter une rivalité accrue. La rhétorique fréquemment utilisée en matière de politique de mixité et de proximité afin de lutter contre la fragmentation urbaine ne doit pas occulter le fait que la ville est l’objet de jeux de pouvoir et de luttes pour l’accès ou l’exclusion de certaines franges de la population à des biens et services convoités[1]Pour un développement plus complet, voir le dossier consacré par le CBAI aux récentes politiques urbaines : Mix-cité, Agenda interculturel nº 263. Voir également l’édito d’Alter Échos n° … Continue reading.
Ensemble, mais pas trop
Dans le champ des politiques éducatives, le concept de mixité sociale a été récemment au centre de beaucoup d’attention : le Contrat pour l’école prévoyait de s’attaquer à la forte ghettoïsation des publics scolaires en régulant les inscriptions. La formule du « premier arrivé, premier inscrit » (décret Inscriptions de la ministre ARENA) a rapidement fait place au décret appelé Mixité sociale (du ministre DUPONT) dont la copie devra à nouveau être revue. À ce stade (rentrée scolaire 2009), les partenaires du nouveau gouvernement veulent « repartir d’une feuille blanche dans un large dialogue avec les acteurs concernés. (…) Il s’agira d’établir un dispositif d’inscription efficace, transparent, garant de la liberté des parents, de la mixité sociale et de l’autonomie des acteurs et partenaires de l’école. » Autant chercher la quadrature du cercle.
Le concept de mixité sociale appliqué au champ scolaire est ambigu, car il vise autant les finalités assignées à un système éducatif que les moyens pour diminuer les inégalités scolaires.
La mixité culturelle et sociale constitue un enjeu majeur de nos sociétés. Nous postulons que cet enjeu doit se retrouver dans l’École, car toute homogénéité, qu’elle soit idéologique, sociologique ou cognitive appauvrit l’École, la transforme en un lieu où je ne peux rencontrer l’Autre. L’École devrait être ce lieu où des enfants d’origines sociales différentes se rencontrent, se côtoient, apprennent à travailler et à vivre ensemble en confrontant leurs visions du monde. Cette hétérogénéité devient alors le garant non seulement d’un savoir plus universel et d’un fonctionnement scolaire plus collectif, mais aussi d’une société démocratique et multiculturelle. L’École n’est pas là pour faire « communauté » (où se trouvent ceux qui se ressemblent), mais « société » (où tous sont présents et ont de la valeur).
Il s’agit là d’un idéal vers lequel on a pu tendre en Communauté française, notamment dans le décret Missions de 1997. Mais il ne pourra devenir réalité tant que les publics scolaires resteront fortement homogénéisés. L’actualité récente (le ramdam autour des inscriptions) montre bien que les parents occupent vis-à-vis de l’inscription une position quasi schizophrénique : beaucoup se disent d’accord avec les intentions (augmenter la mixité sociale), mais dès qu’il s’agit d’inscrire son propre enfant, ils se heurtent de plein fouet à l’inégalité réelle des écoles. L’offre scolaire est inégale, car les établissements scolaires sont positionnés sur un marché scolaire et se voient obligés de développer leurs propres « stratégies » pour se mettre à l’abri de la concurrence. La recherche de plus d’efficacité et d’égalité dans notre système scolaire est prise dans un cercle vicieux : il faudrait davantage de mixité sociale pour augmenter le niveau moyen, mais pour faire accepter cette mixité par les parents, il faudrait d’abord garantir une égale qualité des écoles. On ne peut dès lors faire reposer sur les stratégies des seuls individus, sur la demande scolaire, les objectifs de mixité sociale.
Ensemble, pour quoi ?
Il faut être prudent quand la mixité sociale, en tant que moyen cette fois, est avancée comme « la » solution pour résorber les inégalités sociales au sein des établissements et des classes, tel que le décret du ministre DUPONT a pu le suggérer. Le concept de mixité sociale n’est pas en lui même porteur en termes pédagogiques. Il est plus parlant de parler de gestion de l’hétérogénéité scolaire, autrement dit du comment faire face aux différents niveaux d’acquis présents au sein d’un groupe-classe. D’une manière générale, il semblerait que cette hétérogénéité scolaire soit positive : des élèves plus faibles tirent profit d’apprendre dans des classes hétérogènes et les élèves forts n’en sont pas pénalisés[2]Voir M. Duru-Bellat, Les inégalités sociales à l’école. Genèse et mythes, 2003, Chap 6.. Avant d’imposer la mixité sociale à l’école, il y a donc lieu de savoir s’il existe des approches pédagogiques à même d’aider les enseignants à mieux gérer l’hétérogénéité au sein des classes, et si celles-ci rendent leur enseignement plus efficace et plus équitable.
À ce stade-ci, nous serions enclins à dégager plusieurs pistes de nature structurelle[3]Certaines de ces mesures apparaissent dans le fourretout de la déclaration politique communautaire (juillet 2009), mais elles ne sont ni « priorisées » ni assorties de moyens… :
– Former les enseignants, autant en formation initiale que continuée, à la pédagogie différenciée, à la mise au travail de groupes hétérogènes dont une partie des membres ont des normes culturelles éloignées de celle de l’école et un rapport au savoir très différent.
– Développer le travail collectif au sein des équipes enseignantes comme support d’une pratique réflexive, ce qui nécessite des aménagements dans le temps et les lieux de travail.
– Accompagner de plans ambitieux de réussite les équipes pédagogiques les plus démunies, qui la plupart du temps sont situées dans des zones défavorisées.
– Rapprocher le monde enseignant et celui de la recherche pédagogique, particulièrement concernant la question de la gestion de groupes hétérogènes.
Il est temps que le concept de mixité sociale, tant dans les politiques urbaines qu’éducatives, ne soit plus instrumentalisé et ne soit plus considéré comme le nouveau remède-miracle à la pauvreté, aux fractures urbaines et à la ghettoïsation scolaire.
Notes de bas de page
↑1 | Pour un développement plus complet, voir le dossier consacré par le CBAI aux récentes politiques urbaines : Mix-cité, Agenda interculturel nº 263. Voir également l’édito d’Alter Échos n° 280, Mixité sociale ? Refus en blocs. |
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↑2 | Voir M. Duru-Bellat, Les inégalités sociales à l’école. Genèse et mythes, 2003, Chap 6. |
↑3 | Certaines de ces mesures apparaissent dans le fourretout de la déclaration politique communautaire (juillet 2009), mais elles ne sont ni « priorisées » ni assorties de moyens… |