Quand un projet devient « bien vivant » ! 

Dans le premier épisode[1]Voir SAGA épisode 1, TRACeS 259., nous avons évoqué les racines de La Cité école vivante : les coups de foudre et les premiers revers qui ont insufflé la création de l’école, les projets d’équipes et les voyages initiatiques. Après l’étincelle, il y a le feu aux poudres.

Plantons le décor. Des chaises hautes, rassemblées autour du plan de travail d’une cuisine familiale en mode lendemain de veille. Lumière douce. Ambiance calme (les enfants dorment encore). On s’active prudemment autour du lave-vaisselle et la discussion est déjà bien lancée. Encore imprégnés des réalités de la fin d’année scolaire (délibérations, bulletins, réunions de parents, réunions pédagogiques…), quatre profs rêvent d’un autre possible pour l’École.

Créer une nouvelle école? On peut ?, lâche Judith en rangeant les assiettes.

Ben, pourquoi pas ?, répondent en chœur Audrey et Virginie. Rien ne l’interdit! Et, on ne peut pas se dire qu’on a fait tout ça pour rien…

Laurent sert les cafés et finit par trancher : Allez, on se lance! On sort du bois!

Il n’en fallait pas plus, la décision est prise : on doit faire uncoming out officiel. Et c’est ainsi que le 27 juin 2017, une nouvelle aventure démarre, et le quatuor l’annonce publiquement, sur Facebook, se désolidarisant ainsi partiellement de l’école secondaire qui les emploie. Sur la page de présentation, on insère vite une photo : le plan de travail, l’écran où s’inscrivent les premières réflexions et quelques tasses font l’affaire. En commentaire, une phrase simple qui résume l’état d’esprit : «On ose!»

Et clic. C’est fait! C’est parti mon kiki!

L’émergence des valeurs de cettefuture école

Très vite, durant l’été, les réunions s’organisent. On mise sur deux axes : la communication et les valeurs de la pédagogie qu’on veut pour les ados.

On doit se faire connaitre, on a besoin d’une communauté et d’éclairageshors école. Et surtout, on veut donner du sens aux apprentissages : l’accrochage scolaire reste le moteur des réflexions.

En dehors des réunions, les amis, les familles et les collègues questionnent souvent le projet. «Une école différente… Hum… En quoi exactement? Est-ce une école Freinet? Les élèves feront ce qu’ils veulent? C’est quoi votre spécificité? Vous allez faire comme dans le projet 3A-4A ? Et comment elle s’appelle, cette future école?»

Cette question va occuper le groupe pendant un moment, avant que la réponse ne s’impose… baignée des trois valeurs fondamentales définies pour lafuture école : la socialisation, la démocratie et l’émancipation. Nous voulons une école qui valorise les diversités et prend en compte les besoins de chacun, une école oùtout est éducatif, où chacun peut progresser, se dépasser, partager ses talents et ses réussites! Les piliers idéologiques vont faire émerger le futur référentiel de compétences. Dès le début, il est donc question d’une école où l’apprentissage de la coopération est au centre des activités, où chaque individu peut trouver sa place, quelles que soient ses forces et ses faiblesses, où on valorise les diversités individuelles tout en éveillant à l’altérité. Cela doit être une école où l’on expérimente au quotidien le débat critique et où tout le monde prend part aux décisions qui font fonctionner l’établissement. Une école de l’émancipation où l’on apprend à comprendre le monde dans lequel on vit et où on entre en contact avec lui en apprenant à poser des choix qui permettent de contribuer à son amélioration. Un lieu de questionnement des normes sociales, des droits et devoirs de chacun, où on établit des relations hors école afin de s’ancrer dans la réalité citoyenne. Rien de creux dans ces réflexions : l’équipe tente justement, dès le début, d’imaginer concrètement comment ces valeurs peuvent être au cœur de la pédagogie pratiquée dans l’école.

La téci? Oui, aussi!

Alors, et ce nom d’école? Aïe… Compliqué… Ce qui est certain, c’est qu’il faut un nom qui exprime l’idée d’une école citadine, au cœur de la cité ardente qui est aussi, probablement, la ville des futurs élèves et de leur famille. On tient à cet ancrage dans le maillage social de Liège.

On veut aussi réussir à dire le caractère organisé et réfléchi de nos choix pédagogiques. On est loin dutout et n’importe quoi : on continue de beaucoup se documenter, de se former, de comparer les expériences rencontrées lors du pédago tour… Car, même si on ose, on craint de mal faire, de ne pas avoir toute la légitimité pour entreprendre cette création d’école… Alors on reste très prudents, on documente nos décisions et on se fait très vite accompagner par deux services de l’université de Liège centrés sur la formation d’adultes, car, à nos yeux, ces élèves ados (comme peut-être tous les types d’apprenants) ont surtout besoin qu’on prenne mieux en compte leurs besoins et leurs expériences personnelles dans les propositions organisationnelles et pédagogiques faites par l’école…

Et enfin, on aimerait que le nom de cette école puisse exprimer l’intention collaborative, dynamique et responsabilisante. Cette école devra se donner les moyens de changer, d’évoluer, de murir pour rester fidèle à son intention première d’accrochage et à ses valeurs.

Est-ce parce que Laurent enseigne l’Histoire et qu’il était imprégné du chapitre sur les premières cités antiques ? Est-ce parce que notre ardeur à vouloir une autre école bien vivante et joyeuse était majeure? Est-ce parce que nos propres enfants abordaient le concept de vivant-non vivant en sciences («Maman, un cheveu, c’est vivant ou pas?» «Euh ! Bonne question…»)? On ne le saura jamais, mais, un soir, chez Judith, sur la base d’une proposition de Laurent, nous arrivons à un nom, notre nom d’école : «La Cité école vivante». C’est ça, c’est lui, c’est elle! On est fiers. Et soulagés : «Enfin! On est arrivé à tout exprimer!» Et enthousiastes. Et inquiets : «Ça ne fait pas trop HLM? Genre, « la bande des voyous de la téci »?

Le premier Apéro de la Cité

Avec l’aide de deux graphistes, l’équipe travaille sur un logo. On cherche à mettre en lumière la notion de réseau, d’école qui met en lien, qui produit des relations humaines et des correspondances interdisciplinaires. Le premier logo de l’école aura donc la forme d’une carte de métro traduisant aussi l’ancrage urbain de son identité.

Entretemps, la page Facebook prend de l’ampleur et suscite l’engouement. On recueille les allégresses de nos sympathisants de la première heure et le soutien de nos parents et amis qui nous connaissent bien et savent à quel point ce projet nous tient à cœur. On reçoit aussi de plus en plus de demandes de parents désabusés, de profs désenchantés, d’élèves en quête d’une scolarité différente!

On crée alors le concept des «Apéros de la Cité». L’idée est de rencontrer concrètement le public en créant des situations de contacts vivants, décontractés, mais aussi informatifs et participatifs! Évidemment, le choix du lieu n’est pas laissé au hasard. Il faut un endroit qui concorde avec nos valeurs, qui mette également en évidence la richesse de la mixité et la vivacité de l’inclusion : ce sera le Mad café!

Le premier apéro permet le dévoilement du logo, des valeurs de La Cité école vivante et… de l’ébauche du projet pédagogique. Le premier apéro est un franc succès, l’équipe est gonflée à bloc après ce bain d’enthousiasme!

Puis un envol…

La diffusion du projet ne s’arrête pas là! Une publication partagée, des articles dans la presse locale, des passages en radio et une présentation du projet aux futurs enseignants étudiant à la HEPL… Et là, incroyable! Hop, on entre dans une autre dimension! C’est le cabinet de la ministre de l’Enseignement (FWB) qui nous contacte pour un rendez-vous à Bruxelles! Un mercredi après-midi (tout le monde travaille toujours à temps plein comme prof), on prend le train vers Bruxelles pour une réunion de trois heures avec trois attachés du cabinet! On impressionne parce qu’onfait feu de tout bois grâce à notre Tout est éducatif : on associe pédagogie et organisation des décisions dans l’école, on imagine des cours pluspratiques, mais sans renoncer aux courstransmissifs qui nous semblent nécessaires et qui doivent être des ressources aux projets. On souhaite rester dans des budgets réels, sans dérogation… Bref, on veut faire avec les moyens du bord, mais autrement. Certaines des personnes présentes vont devenir des piliers, des alliés, des prudents conseillers. À l’époque, on pense même à nommer une aile de notre futur bâtiment «Montoisy», du nom de la personne qui nous a orientés dans la jungle politico-administrative.

De cette réunion, l’équipe ressort avec une seule idée : c’est donc faisable, c’est crédible, c’est finançable! Il faut constituer un dossier pour entrer dans les démarches de création d’école…

Dans le même temps, l’équipe grandit un peu. De quatre fondateurs, on passe à sept membres investis dans le projet. Outre Audrey, Judith, Laurent et Virginie, on peut aussi dorénavant compter sur Eva, Pierre-Arnauld et Stéphane. De surcroit, des liens se créent avec d’autres organismes et personnalités (Marianne et François du LabSET, Gauthier de Vital Projects, ainsi que l’UAFA).

On entame la création d’un référentiel de compétences interdisciplinaires imaginées à partir dessavoir-agir inspirés des écoles canadiennes (Jacques Tardif). Les cerveaux bouillonnent!

Puis, durant tous ces échanges, on évoque notre besoin d’un bâtiment et François (adjoint à la direction du LabSET) qui habite non loin de Cointe, nous met sur la piste de l’ancien centre de formation à l’abandon… et c’est le début d’un autre aspect du projet!

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir SAGA épisode 1, TRACeS 259.