Quasimarché rime avec ségrégation

Parmi toutes les mesures annoncées dans le Pacte susceptibles de réduire les inégalités, il y en a une qui n’est nommée nulle part, même si elle n’est pas tout à fait hors champ des intentions politiques, c’est la sortie du quasimarché scolaire.

Procédons par ordre : en quoi notre enseignement est-il un quasimarché ?
Les parents ont le libre choix de l’école de leur enfant, et dans une certaine mesure, les écoles choisissent leur public. De plus, les écoles sont financées par tête d’élève. On est donc bien face au principe d’un marché qui répond aux lois de l’offre et de la demande : les écoles se retrouvent en concurrence pour attirer les élèves.
Le financement des établissements est proportionnel au nombre d’élèves inscrits, il est assuré par l’État et son montant est non négociable. C’est la raison pour laquelle on parle de quasimarché.
En Belgique [1]Comme aux Pays-Bas (cfr Draelants (H.), Dupriez (V.) et Maroy (C.), 2003)., cette liberté de choix remonte à 1830, elle revêt plus une signification historique d’ordre philosophique que marchande. L’État reconnait aux familles le droit de choisir pour leurs enfants, une école qui soit ou non confessionnelle. C’est par extension, dans l’interprétation et l’usage de ce droit, que progressivement les familles ont considéré qu’elles pouvaient faire un choix spécifique d’établissement, au-delà de la question confessionnelle.
Dans de nombreux pays anglo-saxons, le libre choix s’est imposé plus récemment, avec un objectif assumé de mise en concurrence des écoles, selon l’idée que cela les forcer à augmenter la qualité de leur enseignement.
Voilà pour la théorie.

Que produit
ce quasimarché ?

En pratique, si on en croit les études menées sur la question[2] DUPRIEZ (V.) et DUMAY (X.), Les quasimarchés scolaires : au bénéfice de qui ?, 2011., les quasimarchés n’apportent pas plus d’efficacité pédagogique et produisent plus de ségrégation scolaire. Ils semblent augmenter la performance des élèves scolarisés dans les établissements socialement les plus favorisés, mais, à y regarder de plus près, il apparait que ces écoles améliorent surtout leur rendement, en s’évertuant à recruter des élèves aux caractéristiques scolaires favorables… Tout ça pour ça.
Les résultats montrent comment un environnement de quasimarché tend à creuser les différences, au sein des systèmes éducatifs, en favorisant principalement les écoles privilégiées, et en pénalisant les écoles dont la composition sociale est moins élevée.
Un autre chercheur, Vincent Vandenberghe, s’est posé la question des effets de la ségrégation sur les résultats scolaires des élèves. Il a mis en évidence les « effets de pairs » : la capacité d’un élève à apprendre se développe et progresse au cours de sa scolarité, elle est directement affectée par les caractéristiques et les comportements de ses camarades de classe et d’école.
À CGé, nous ajoutons que la capacité à apprendre dépend de la façon dont cette disparité sociale et pédagogique va être gérée par l’enseignant. Laisse-t-il se déployer la concurrence au sein de la classe ou développe-t-il des principes de solidarité au sein d’un groupe d’élèves comme collectif apprenant ?
Ce chercheur conclut que le niveau moyen des élèves, en fin de scolarité, est plus élevé dans les écoles non ségréguées et profite surtout aux élèves faibles. Les effets de pairs devraient être considérés, de son point de vue, comme un « bien public », mis à disposition de la communauté des élèves d’une école.
Ajoutons que la concurrence est souvent analysée et traitée sous l’angle philosophicoreligieux, c’est-à-dire une concurrence qui se jouerait entre les réseaux, alors qu’elle opère surtout entre les établissements, quel que soit le réseau.
Certaines analyses se centrent sur l’efficacité pédagogique en faisant complètement l’impasse sur l’enjeu sociétal et éthique de faire grandir les enfants — riches, pauvres, blancs et noirs — ensemble.

Que veut et peut le Pacte[3]Reste à savoir de qui on parle, les avis pouvant être contrastés sur la question. Nous nous référons donc ici à l’avis final du groupe central comme compromis découlant des rapports de force … Continue reading par rapport
au quasimarché ?

Le terme de quasimarché n’apparait nulle part dans l’avis final du Pacte, probablement parce qu’il suscite trop de polémiques.
On[4]On = les grands acteurs de l’enseignement qui siègent au Groupe central et pilotent le Pacte. y parle de la lutte contre la ségrégation scolaire comme d’un enjeu majeur pour notre enseignement[5]Cf p. 224 de l’avis n° 3.5, de la mixité sociale comme d’un objectif à poursuivre, mais qui ne se décrète[6]Cf p.284 1er § de l’avis n° 3. pas. On omet de citer le quasimarché comme une des sources non négligeables de cette ségrégation, pour privilégier une voie hypothétique plus consensuelle[7] Cf p. 284 2ème § de l’avis n° 3. : « Le Groupe central considère que l’objectif d’une plus grande mixité sociale des établissements et des classes peut être atteint par l’approche systémique du Pacte d’excellence. »
Cette approche systémique renvoie notamment au renforcement du pilotage : avec des objectifs généraux définis par l’autorité centrale, pour tout le système scolaire ; avec des objectifs spécifiques, par établissement ; et avec des objectifs fixés aux établissements, par zone géographique (par exemple, en termes de mixité). Si l’on couple ce point avec l’intérêt manifesté pour le dispositif des LOP[8] Lokale overlegplatforms. DEROITE (A.), L’herbe est-elle plus verte chez les Flamands ?, TRACeS 226. flamandes, il se pourrait que le pouvoir régulateur tente d’y négocier un peu plus de mixité sociale entre les écoles de tous les réseaux situées dans une même zone.
Comprenez par là que, si tout se passe bien, que toutes les mesures prévues dans le Pacte portent leurs fruits, et que l’enseignement s’améliore pour tous les enfants, alors, il y aura probablement moins d’enjeux autour du choix de l’école et plus de mixité.
Autant dire que ce n’est pas pour demain, que ce n’est pas le chemin le plus direct, ni le plus sûr pour diminuer la ségrégation, mais c’est visiblement le plus praticable, au vu de notre fonctionnement de compromis à la belge.
Mais, le rapport de force pourrait changer si un jour les familles pauvres se rendent compte de ce qui se joue, et n’acceptent plus la relégation de leurs enfants.
C’est tout pour aujourd’hui !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Comme aux Pays-Bas (cfr Draelants (H.), Dupriez (V.) et Maroy (C.), 2003).
2  DUPRIEZ (V.) et DUMAY (X.), Les quasimarchés scolaires : au bénéfice de qui ?, 2011.
3 Reste à savoir de qui on parle, les avis pouvant être contrastés sur la question. Nous nous référons donc ici à l’avis final du groupe central comme compromis découlant des rapports de force en présence.
4 On = les grands acteurs de l’enseignement qui siègent au Groupe central et pilotent le Pacte.
5 Cf p. 224 de l’avis n° 3.5
6 Cf p.284 1er § de l’avis n° 3.
7  Cf p. 284 2ème § de l’avis n° 3.
8  Lokale overlegplatforms. DEROITE (A.), L’herbe est-elle plus verte chez les Flamands ?, TRACeS 226.