Avec le tronc commun, chaque élève est mis en position de progresser sans redoublement ou orientation. Comment dès lors penser autrement les dispositifs qui permettent aux élèves de surmonter les difficultés rencontrées dans les situations d’apprentissage ? Tentative de débroussaillage de la question.
Il s’agit de sortir des logiques de séparation des élèves en fonction de leurs difficultés scolaires qui ont prévalu comme des évidences jusqu’à présent. Finis les orientations, les redoublements, les classes de niveau, etc. La tâche paraît pour le moins ardue. Pour soutenir les enseignants, le Pacte a prévu un dispositif d’augmentation de l’encadrement spécialement dédié à cette fin : l’accompagnement personnalisé. Pour deux périodes par semaine, l’école disposera de trois enseignants pour deux classes. Ces deux périodes peuvent être regroupées librement par l’école pour faire par exemple une demi-journée toutes les deux semaines, une journée tous les mois, etc. Elles doivent être utilisées pour mieux prendre en compte les difficultés rencontrées par les élèves, mais la forme que doivent prendre ces temps n’est pas prescrite. Cependant, si on utilise ces deux périodes pour faire comme avant, cela risque de ne pas servir à grand-chose.
Au départ, dans les textes du Pacte, le dispositif s’appelait RCD pour remédiation, consolidation, dépassement parce qu’un dispositif qui portait ce nom était testé dans quelques écoles pilotes. Il consiste à créer des groupes d’élèves provenant de plusieurs classes selon leurs besoins en fonction de leur classement par les enseignants et d’organiser des après-midis de remédiation pour les uns, de consolidation pour les autres et de dépassement pour d’autres encore.
De l’avis même des concepteurs initiaux du RCD, la distinction entre le R et le C s’est révélée peu opérationnelle, les deux types d’activités ayant tendance à se ressembler. La distinction est par ailleurs clivante et est vécue comme stigmatisante par les élèves. Ceux qui se trouvent en R (selon l’avis du conseil de classe) se sentent dévalorisés par rapport à ceux qui sont en D, surtout s’ils sont assignés au R de manière systématique. Et si le choix leur incombe, ils ne se dirigent pas spontanément vers le R.
De plus, l’appellation même de remédiation est discutable : la plupart du temps, ce dont a réellement besoin un élève en difficulté n’est pas une remédiation, dans le sens d’une répétition de ce qui n’a pas fonctionné. Avec ces dispositifs de remédiation, l’élève au mieux finit par savoir faire ce qu’on lui demande de faire, à force de répétition, sans pour autant avoir appris. Dès lors, les difficultés scolaires de l’élève s’accumulent tout au long de son parcours, il se retrouve systématiquement en remédiation et finit, comme ses enseignants, par se persuader qu’il n’est pas capable.
Ces périodes dédiées à la remédiation inscrites à l’horaire ont aussi conduit les enseignants à se dessaisir peu à peu de cette mission au prétexte que les élèves en difficulté seraient pris en charge ultérieurement de manière spécifique.
Mais, le dispositif RCD a la vie dure et semble convenir à ceux qui, craignant de retarder les plus forts, devançant les critiques de leur famille et soucieux de garder leur place sur le marché scolaire, voient dans ce dispositif une manière somme toute aisée de recréer des filières dans le tronc commun en séparant peu à peu les élèves en remédiation des élèves en dépassement.
La différenciation des apprentissages pour faire face aux difficultés des élèves ne date pas d’hier. On peut donc avoir un peu de recul sur ce qui a été mis en place dans les écoles. Qu’en dit la recherche1 ?
Les classes de niveau : elles n’ont pas d’effet positif. Au contraire, elles creusent les écarts (quantitativement et qualitativement), elles ont un effet discriminant parce qu’elles enkystent les différences.
Les dispositifs supplétifs de remédiation, qui viennent aider les élèves en leur apportant ce dont ils ont besoin en remédiation ne sont pas très efficaces. Ces dispositifs proposent des réponses ponctuelles et non coordonnées dans une logique de réparation qui, le plus souvent, dédouane les enseignants en classe de la responsabilité de la prise en charge des difficultés des élèves.
L’individualisation des apprentissages, la classe comme une juxtaposition d’individualités, conduit à une impasse. Non seulement elle multiplie les attentes vis-à-vis des enseignants, conduit à ce que Meirieu appelle la « pédagogie du garçon de café », mais elle conduit aussi à s’adapter à ce qu’on estime être les capacités des élèves, à créer des différences de niveau dans la classe, et les élèves ne progressent plus vraiment, au sens où leurs difficultés scolaires restent les mêmes, y compris quand ils semblent mieux réussir.
Les groupes de niveau, plutôt que faire classe, conduisent au désinvestissement par l’élève de ce qu’il ne sait pas faire, qui n’est pas gratifiant, et cristallise donc les différences. Ces groupes de niveau ont aussi des incidences sur le climat de classe parce qu’ils mènent à des comparaisons hiérarchisées, à des frustrations et à un ajustement des attentes des enseignants en fonction des niveaux attribués aux élèves.
Les approches qui visent à re-motiver les élèves, notamment par l’usage ludique des nouvelles technologies, qui se donnent comme objectif de capter l’attention des élèves en travaillant essentiellement sur les supports et les tâches, améliorent un temps le climat de la classe parce qu’elles facilitent l’entrée dans la tâche. Cependant, on constate qu’elles ne parviennent pas à mobiliser les élèves sur l’enjeu des apprentissages, voire les détournent de cet enjeu en les focalisant sur le plaisir pris dans la réalisation de la tâche.
Les approches adaptatives, qui consistent à s’adapter au niveau des élèves, simplifier, rabattre les ambitions d’apprentissage, conduisent à une diminution des attentes des enseignants, au détriment des compétences de haut niveau. Au début, ça a l’air de marcher : certains élèves réussissent mieux parce qu’on les aide, qu’on les suit pas à pas, etc. Mais, les compétences de haut niveau viennent à manquer dans la suite du cursus, parce que ces approches reportent, sans jamais y préparer, le travail sur les compétences complexes. Les élèves progressent dans la réalisation de la tâche sans atteindre les objectifs d’apprentissage. Segmenter, se contenter du pas à pas dans la progression, empêchent aussi de voir la globalité et le sens de la tâche, et a tendance à renforcer l’idée qu’à l’école il faut faire ce qu’on demande… sans comprendre. Les aides accrues aux élèves jugés faibles, l’étayage de la motivation, ont des effets régulateurs plutôt qu’instructifs, elles font effet d’appel, stimulent la dépendance, l’assistanat pédagogique. Plus on aide les élèves, plus il faut les aider, ils finissent par ne plus travailler en l’absence d’aide, n’écoutent même plus les leçons, attendent le moment de l’aide, instrumentalisent des adultes pour qu’ils fassent le travail à leur place.
L’indifférence aux différences est tout aussi sélective, parce qu’elle ne s’adresse qu’à ceux qui maitrisent les codes scolaires, et mésestime les déplacements à faire par les élèves.
Cette approche, le plus souvent à l’œuvre dans les classes, est fondée sur trois illusions.
Illusion de transparence des situations : les élèves ne vont pas tous imaginer le sens de l’activité, son orientation, se centrer sur l’essentiel et pas sur l’accessoire, identifier les critères de pertinence au moment de la tâche, et l’inscrire dans la continuité des apprentissages “;
Illusion de transparence des processus d’apprentissage, les élèves ne vont pas tous revenir sur le travail, comprendre que l’essentiel de la leçon commence quand la tâche se termine, qu’ils doivent faire le point sur ce qu’ils ont fait et appris, pour préparer la suite des apprentissages.
Illusion de transparence des contenus en jeu, absorbés et déstabilisés par les problèmes rencontrés, les élèves ne pourront tous identifier les contenus en jeu que si l’enseignant étaye la compréhension des contenus, prend le temps d’un moment de reprise, d’institutionnalisation.
Au moment même des apprentissages, les différentes approches que les élèves développent demandent une attention particulière. La meilleure remédiation est celle qui est organisée d’emblée au sein même des cours ordinaires et donc au cœur des apprentissages, sous le regard du titulaire de cours ou d’un collègue co-enseignant.
Le Tronc commun impose une sortie des logiques de séparation des élèves en fonction de leurs difficultés scolaires qui ont prévalu comme des évidences jusqu’à présent. Oui, mais comment ?
Pour éviter que les difficultés scolaires de certains élèves s’accumulent tout au long de leur parcours, la différenciation pédagogique consiste à prendre en compte les obstacles rencontrés par les élèves (évaluation formative) afin de questionner et d’aménager les situations d’apprentissages sans renoncer aux exigences d’apprentissages. La re-médiation se passe donc essentiellement dans la classe.
Parmi toutes les différences entre les élèves, certaines sont plus importantes. Quand on parle de différenciation, on a trop tendance à se focaliser sur les différences naturalisantes, qui attribuent aux caractéristiques de l’élève l’origine de ses difficultés scolaires. Les difficultés scolaires des élèves trouvent pourtant majoritairement leur origine dans les caractéristiques des situations d’apprentissage mises en œuvre, et plus particulièrement dans la signification différente que ces situations prennent pour les élèves, en particulier pour ceux dont la culture familiale n’est pas proche de celle de l’École. Tous les élèves ne perçoivent pas de la même façon les objectifs d’apprentissage qui sont associés aux tâches et situations qui leur sont proposées en classe et ne s’y investissent pas intuitivement de la bonne manière. Ces différences-là sont fondamentales pour la réussite des élèves et si on en tient compte dès leur entrée dans la scolarité, dès l’enseignement maternel, leur entrée dans les apprentissages est grandement facilitée et leurs résultats futurs sont grandement améliorés. Différencier, c’est donc d’abord veiller à orienter de façon claire tous les élèves vers l’objectif d’apprentissage, ce qui est en jeu dans la situation ou l’activité proposée, et proposer au besoin des façons différenciées d’y parvenir, créer la médiation la plus pertinente entre ces élèves et les savoirs.