Dans les villes de la Communauté française, les écoles accueillent de plus en plus d’élèves d’origine étrangère maitrisant peu ou pas le français. Des classes-passerelles sont instituées pour accueillir les primo-arrivants.
Selon la durée de leur séjour en Belgique, les élèves d’origine étrangère ne bénéficient pas des mêmes programmes d’insertion scolaire. Reconnus comme primo-arrivants, ils peuvent être accueillis dans des « classes-passerelles » et y suivre des cours de Français Langue Etrangère (FLE). S’ils ne le sont pas, ils ne bénéficient d’aucune mesure particulière pour acquérir la langue de l’enseignement. Je me centrerai ici sur la problématique du français pour les primo-arrivants ; la question de la non-maitrise du français par un public autochtone ou d’origine étrangère sera traitée dans un Impolitique ultérieur.
Un décret du 14 juin 2001 permet la création et la subvention de classes-passerelles pour assurer l’insertion des « primo-arrivants ». Il s’agit de tout enfant âgé de 2 ans ½ à 18 ans, présent sur notre territoire depuis moins d’un an, ayant le statut de réfugié, ou en demande de la qualité de réfugié ou d’apatride, ou ressortissant d’un pays considéré comme en voie de développement. Ces classes accueillent les élèves pour une période variant d’une semaine à un an. Ils y bénéficient d’un encadrement spécifique qui doit leur permettre de s’adapter au système socioculturel et scolaire belge par :
– l’apprentissage intensif de la langue française ;
– une remise à niveau adaptée pour rejoindre le plus rapidement possible le niveau d’étude approprié ;
– des activités qui visent à développer la confiance en soi, des compétences sociales et citoyennes pour être actif dans une société démocratique…, en référence aux objectifs du décret Missions.
Au terme de cette période, ils pourront être dirigés, par un Conseil d’intégration, vers le niveau et la filière d’enseignement qui leur conviennent le mieux.
Ce dispositif de classes-passerelles permet l’accueil et, dans le meilleur des cas, l’apprentissage du français usuel oral. Ensuite, les élèves sont censés s’être approprié notre langue de manière suffisante pour accéder à la culture scolaire. En pratique, nous constatons que ce délai très court est insuffisant s’ils n’ont pas été scolarisés avant leur exil… Il faudrait dès lors mettre en place des dispositifs différents selon le degré de scolarisation antérieur. Acquérir les compétences de l’École va bien au-delà de l’apprentissage oral du français ! Et si les enseignants doivent d’abord être formés à l’apprentissage du français comme langue étrangère, il faut qu’ensuite ils arrivent à faire entrer les élèves dans le français langue maternelle, langue d’enseignement de toutes les matières. Différentes expériences et études peuvent nourrir notre réflexion.
La France a développé une stratégie d’accueil différente selon que ses élèves non francophones primo-arrivants aient été scolarisés ou pas [1]Laurence JUNG, FLE, FLS: français langue étrangère, français langue seconde, français langue de scolarisation, in http://www.bienlire.education.fr, page consultée le 2 février 2009.: après un premier entretien avec la famille, l’élève passe un premier test de niveau en mathématiques, comportant le moins de texte possible. Le niveau de mathématique est révélateur du niveau de scolarisation antérieur. Suivent d’autres tests de niveaux en français : s’il ne parle pas du tout français, il est testé dans sa langue d’origine ; s’il n’a pas été scolarisé (ou très peu), on le soumet au test NSA (non scolarisé antérieurement). Il passe alors neuf mois en classe d’accueil (deux ans si NSA), pendant lesquels il suit un enseignement intensif en FLE, qui vise à lui permettre de communiquer oralement avec les autres et dans la vie quotidienne. Au terme de cette période, il suit des cours de Français Langue de Scolarisation (FLS), pour acquérir les compétences linguistiques nécessaires à la poursuite d’études. Pour favoriser l’intégration, la durée de cette phase d’accueil doit être la plus courte possible et, si possible, ne pas provoquer un retard scolaire de plus de deux ans entre l’âge de l’élève et celui de sa classe de référence.
L’enseignement du FLE est confié aux professeurs de langue étrangère dont la formation à l’apprentissage d’une langue étrangère semble la plus adéquate. Par contre, pour les cours de FLS qui visent à perfectionner les compétences linguistiques de la langue de la scolarisation, ce sont les professeurs de français qui conviennent mieux, car ils stimulent davantage la réflexion métalinguistique, compétence nécessaire pour poursuivre des études.
Un rapport d’Eurydice de 2004 [2]Eurydice, le réseau d’information sur l’éducation en Europe, L’intégration scolaire des enfants immigrants en Europe, 2004, in … Continue reading analyse les expériences menées dans les différents pays d’Europe et propose des pistes pour favoriser l’intégration à l’École des élèves d’origine immigrée. Ce rapport met en évidence l’efficacité de :
– l’enseignement de la langue d’origine dès la phase d’accueil des primo-arrivants ;
– l’encadrement par des personnes de leur entourage dans l’apprentissage du français ;
– un dialogue interculturel sur les différences entre le système scolaire du pays d’origine et du pays d’accueil ;
– un aménagement progressif d’un passage entre la structure d’accueil et la classe régulière, et
– une réflexion avec les élèves sur la continuité entre le parcours scolaire qu’ils ont effectué dans leur pays d’origine et leur choix professionnel futur.
Ces expériences et rapports démontrent l’utilité d’une politique concertée. Nous regrettons le fait qu’en Communauté française, le dispositif des « classes passerelles » ne s’inscrive pas dans une telle politique. Cette absence de réflexion a des conséquences négatives pour les publics les plus fragiles.
Si le dispositif le plus efficace consiste à renforcer la connaissance de la langue d’origine des élèves, à quand des expériences en ce domaine, dans le cadre des cours et non en dehors de ceux-ci ou organisés par les ambassades ? Cet apprentissage faciliterait le passage de l’oral à l’écrit, avant celui de la langue d’origine écrite au français écrit. La légitimation de la culture d’origine induite par ce dispositif résoudrait beaucoup de problèmes de « loyauté » des enfants qui n’apprennent pas le français, car ils sont fidèles à leur famille qui ne le parle pas.
Sans moyens structurels, l’École ne peut reconnaitre qu’une minorité d’élèves en classes-passerelles. Pour tous les autres [3]Les enfants d’origine italienne, portugaise, espagnole (souvent d’origine marocaine : ils ont transité par l’Espagne avant de « remonter » en Belgique),…, soit elle ignore leurs difficultés, soit elle « bricole » avec les moyens du bord. De même, elle ne peut ni stabiliser les professeurs dans leur emploi et les encourager à se former, ni accompagner les élèves et leurs familles dans la construction d’un véritable projet de formation.
Parce qu’il n’y a pas de prise en charge globale de la problématique de l’immigration par la société belge, celle-ci est effectuée par défaut par la communauté de même origine étrangère. D’où le regroupement géographique dans certaines villes ou quartiers, le renforcement de l’identité culturelle et religieuse d’origine, le maintien de l’idée de « dette » vis-à-vis du pays d’origine et de la communauté, la valorisation des comportements visant à confondre intégration et perte d’identité…
L’intégration doit permettre à chacun de participer de manière égale à la vie en société, dans le respect, et de mener ainsi une vie épanouie. Sans une connaissance suffisante de la langue de l’enseignement, aucun élève ne peut réussir le projet de formation qui lui convient. À quand une réflexion globale sur les dispositifs à mettre en oeuvre pour améliorer notre système ? Comment agir efficacement lorsque la politique d’asile relève du Fédéral, la politique d’intégration de la Région, l’enseignement de la Communauté et que l’enseignement primaire peut être communal ? À quand une évaluation des résultats obtenus avec les moyens développés actuellement ? Ne faudrait-il pas faire évoluer le concept de classe-passerelle vers celui, différencié, de classe de FLE et de FLS et le proposer à tous les élèves dont le français n’est pas la langue maternelle ? Les cours de FLS pourraient s’adresser aussi aux élèves en difficulté : immigrés de 2e ou de 3e génération, enfants de milieux sociaux éloignés de la culture scolaire…
Notes de bas de page
↑1 | Laurence JUNG, FLE, FLS: français langue étrangère, français langue seconde, français langue de scolarisation, in http://www.bienlire.education.fr, page consultée le 2 février 2009. |
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↑2 | Eurydice, le réseau d’information sur l’éducation en Europe, L’intégration scolaire des enfants immigrants en Europe, 2004, in http://www.si/eurydice/pub/eurydice/migranti/migrants_fr.pdf, page consultée le 2 février 2009. |
↑3 | Les enfants d’origine italienne, portugaise, espagnole (souvent d’origine marocaine : ils ont transité par l’Espagne avant de « remonter » en Belgique),… |