Aider les élèves à progresser dans leurs apprentissages est la principale fonction du prof. Concrètement, comment fait-on lorsque des difficultés apparaissent ? J’ai voulu dresser un tour d’horizon des manières d’accueillir la difficulté dans l’école secondaire où je travaille.
Intéressé par cette question de l’aide que l’on peut proposer aux élèves, j’ai créé un questionnaire que j’ai soumis à une trentaine de collègues, ainsi qu’à certains élèves. Les questions concernent les difficultés des élèves et les réponses qui sont apportées en classe et en dehors. J’esquisse, ici, les grandes tendances dans les réponses de la vingtaine de participants à ce sondage.
Par rapport à ce qui se fait en classe pour tenter de rendre l’objet de connaissance compréhensible, les professeurs évoquent plusieurs tactiques. Par exemple, certains essaient de susciter l’envie d’entrer en relation avec l’objet par des mises en situation invitant au jeu, à la coopération, amenant une intrigue pour donner le gout d’en savoir plus. Le jeu peut permettre de dépasser la peur de dire : « Je ne comprends pas » ou la peur de répondre. Dans le jeu, on s’amuse, on peut se tromper. Et aussi, on a la possibilité de ne pas jouer et d’observer. Liberté non négligeable. Une autre approche est de travailler sur des objets plus petits (comme des extraits de texte) qui seront ensuite exploités intégralement en classe. Ces plus petits objets se complexifieront progressivement.
« Certains profs avouent aussi leur sentiment d’impuissance face à des lacunes trop importantes. »
Dans un deuxième temps, afin de favoriser l’appropriation de l’objet par le plus grand nombre, une des pistes évoquées est celle d’un moment collectif, un temps de structuration vécu en classe, invitant les élèves à verbaliser ce qui vient d’être vu, à construire leurs propres cours au fur et à mesure ou à expliquer comment apprendre les différentes parties de la matière. Observer les stratégies utilisées par les élèves, en parler avec eux, pour les aider à développer un regard réflexif sur leurs apprentissages peut aussi se faire lors d’échanges individuels. Le partage entre pairs est un autre moyen d’alimenter la stratégie analytique.
Mettre des mots sur ce qui pose problème et en rechercher la cause m’apparait être un point de départ indispensable pour pouvoir aider. S’en tenant aux tâches purement scolaires, les difficultés qu’expriment les élèves sont surtout liées à la compréhension, à la mémorisation, à la formulation des réponses, au rythme des cours. Puis, ils pointent du doigt les conditions propres aux évaluations : stress et gestion du temps, en particulier. Un point évoqué est aussi que le degré de difficulté de certaines évaluations semble plus élevé que ce qui a été fait en classe.
Sur le même sujet, les profs voient des lacunes dans la maitrise de la langue, notamment concernant le métalangage. Elles peuvent entrainer des difficultés de compréhension, et surtout d’analyse, des documents. Les élèves manquent alors de regard critique, par le biais du langage, sur les objets qu’ils exploitent. Certaines compétences, plutôt transversales, posent souvent problème : prendre note, suivre un raisonnement jusqu’au bout, lire les consignes correctement, savoir chercher une information, réaliser une transposition du texte à l’imaginaire, distinguer l’essentiel de l’anecdotique, construire une vue globale de la matière, mettre en relation les différentes parties du cours…
Lorsque l’on ouvre le champ des causes à l’origine de ces difficultés, celles d’ordre psychologique sont les plus fréquemment citées, notamment le manque de volonté, la croyance d’être nul dans une matière, les croyances attribuées au prof (« le prof ne m’aime pas », « ce que j’écris est clair, c’est le prof qui ne comprend pas »), la faible estime de soi, le manque ou l’excès de confiance en soi, une perte de sens par rapport à l’école et une certaine lassitude par rapport aux méthodes pédagogiques employées. D’autres difficultés trouvent leur origine dans la vie des élèves comme une situation familiale complexe, des conditions matérielles non réunies pour pouvoir travailler adéquatement.
L’effet psychologique inverse est également mis en avant par les élèves : lorsque les difficultés scolaires ne sont pas résolues, elles peuvent produire chez eux découragement, insomnie, manque de confiance en soi, manque de motivation.
Un prof constatant les difficultés de certains élèves lors d’une séance d’exercices, lors d’un moment d’échanges ou à la suite d’une évaluation, peut proposer des pistes de travail pour les aider à dépasser leurs difficultés. Il peut s’agir de montrer l’objet de connaissance autrement, sous un nouvel angle ou dans une situation d’apprentissage différente. L’invitation à refaire des exercices accompagnés d’une correction immédiate (par exemple, en ligne) ou réalisés sous le regard du prof peut porter ses fruits. Les exercices différenciés sont parfois proposés en fonction des erreurs ciblées chez chaque élève, mais par manque de temps, cela ne peut se faire de façon systématique. La correction détaillée des évaluations est présentée aussi comme moyen de remédier à la situation.
Certains profs avouent aussi leur sentiment d’impuissance face à des lacunes trop importantes, voire même l’impossibilité totale de faire de la remédiation, notamment dans le cadre de cours de deux périodes par semaine, avec des classes de plus de vingt élèves.
Lorsque l’on se retrouve en dehors de la classe, en dehors de son rythme, il devient possible d’aborder les problèmes liés à la méthode de travail. Une collègue faisant du suivi individualisé, inclut dans son approche des outils de connaissance de soi, afin de faire réfléchir l’élève sur son fonctionnement par rapport aux apprentissages. Elle remarque que les élèves du premier degré qu’elle accompagne se précipitent souvent dans la mémorisation avec très peu ou pas de réflexion préalable. Ils étudient sans comprendre, car ça va plus vite. Faire (par exemple, passer du temps à tout recopier pour mémoriser) les rassure davantage que de s’arrêter pour réfléchir. Pour aider à apprendre la mémorisation, elle demande à l’élève d’apporter une matière qu’il trouve difficile à mémoriser. Ils élaborent une carte mentale. Ensuite, l’élève apprend à mémoriser les motsclés ou les idées principales de la carte mentale et à les placer dans des phrases à lui. Il est alors amené à représenter chaque motclé ou idée par un dessin de manière à réaliser une sorte de fresque. Enfin, il mémorise les dessins en les revoyant dans sa tête. Comme chaque dessin renvoie à plusieurs mots ou plusieurs phrases, il a donc moins à mémoriser. Le fait de revoir des dessins dans sa tête aide également l’élève à se libérer du mot à mot qui le rend prisonnier de phrases et lui fait perdre ses moyens lors d’une présentation orale ou d’une évaluation.
Travailler régulièrement est une des clés de la réussite, mais aussi prendre du plaisir à apprendre, il me semble, du fait des habitudes, des rituels, qui s’installent par la répétition de la tâche et la progression que l’on peut, de ce fait, constater. Comment aider les élèves à planifier leur temps de travail, d’autant que certains ont une vision biaisée du degré d’effort à fournir ? La réalisation d’un planning dans lequel la difficulté est divisée en étapes de travail plus faciles à gérer est parfois utilisée. Par exemple, pour tenter d’amener tous les élèves à lire un roman, on peut le diviser en parties, avec une échéance pour chacune d’elles.
Les élèves en décrochage rencontrent pour la plupart des difficultés à se prendre en main, à demander de l’aide, à poser des questions, à se responsabiliser. Amarrages est un service dont le rôle est d’encourager les élèves à entamer des démarches pour dépasser leurs difficultés.
Pour ce faire, l’écoute est essentielle. Pouvoir s’exprimer dans un climat de calme, sans peur du jugement, sans contrainte de temps, sans être interrompus, est assez peu offert aux jeunes. D’où l’importance de leur laisser un temps de parole très grand, quitte à laisser des silences. C’est à ce moment-là, souvent, que les choses les plus intéressantes arrivent, qu’ils déballent tout un tas de trucs imprévus, et ça leur fait grand bien ! Car, d’après un des collègues participant à ce dispositif, ce qui fait défaut à bon nombre de jeunes en décrochage, c’est cette figure de l’adulte à l’écoute qui, sans jugement, valorise, insuffle de la confiance.
L’approche adoptée au sein d’Amarrages est pluridisciplinaire. Par exemple y sont proposées des activités parascolaires pour quitter le cadre purement scolaire et acquérir des compétences transférables à l’école, comme apprendre à se dépasser en faisant de l’escalade, vivre des moments de réussite et de succès pour reprendre confiance et pour montrer d’autres manières de percevoir et de vivre l’école.
De manière quasi unanime, l’accompagnement individualisé est considéré comme la manière la plus efficace d’aider l’élève qui en a besoin. C’est lors de ces rencontres que l’on peut voir où il en est dans son apprentissage, comprendre son raisonnement, sa stratégie. Et cette étape semble nécessaire pour l’amener vers les pistes de travail les plus pertinentes. Pour les élèves souffrant de blocages psychologiques, cette phase de reconnaissance dans ce qu’ils vivent est d’autant plus essentielle pour retrouver une meilleure estime de soi et sa capacité à réussir.
Dans les réponses apportées par les élèves, ils répondent presque tous que, lorsqu’ils comprennent, ils aiment les cours et ils aiment apprendre. Partant de ce constat, je me dis que ce qui fait qu’un élève comprend peut parfois nous échapper. Multiplier les portes d’entrée vers un objet de connaissance — son histoire, ses enjeux, son intérêt, ses utilisateurs et ses contextes d’usage… — s’avère alors tout à fait utile, tout comme le dialogue collectif lorsqu’il fait émerger les sensibilités diverses par rapport à l’objet étudié. Cela, dans l’espoir de susciter la volonté de comprendre non seulement la matière enseignée, mais aussi ses propres affinités et ce qui crée le plaisir dans l’acte d’apprendre.
Je constate que les résultats de ce sondage amènent beaucoup plus de questions que de réponses. Des pratiques concrètes n’ont pu s’exprimer dans ce cadre. Tous les dispositifs d’aide existants au sein de mon école ne sont pas non plus abordés. Par contre, bon nombre de collègues m’ont fait part de leur intérêt pour ce questionnement et de leur volonté d’en discuter en groupe par la suite. Je pense qu’un échange de regards et de pratiques sur ce que l’on peut mettre en œuvre au sein d’une école est un préalable à l’adoption de cette posture de l’accompagnement et du soutien. Une dynamique serait-elle en marche grâce à ce petit coup de sonde ?