Quels cadres pour enseigner une langue vivante ?

Quels sont les points de repère essentiels à l’heure de construire un cours ? Rencontre avec Wivine Drèze qui forme aujourd’hui des formateurs de français langue étrangère pour primoarrivants[1]Par ailleurs, elle a travaillé plus de vingt ans en promotion sociale en français langue étrangère (FLE). Formatrice pour Lire et écrire, elle est l’autrice du Référentiel de compétences … Continue reading . Première partie : que nous apprend l’histoire de la didactique récente des langues étrangères ?

Les formateurs avec lesquels elle travaille aujourd’hui enseignent le français à des personnes fraichement arrivées en Belgique, ayant peu de repères sociaux et langagiers. Un certain nombre d’entre elles ne resteront pas en Belgique. Leur apprendre le français n’est pas une tâche aisée.
Il existe un cadre européen commun de référence pour les langues[2]Téléchargeable sur la page : https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages . Ce document définit des objectifs à atteindre par niveaux de maitrise. Il est formulé en termes de compétences, quelle que soit la langue concernée. Par exemple : à tel niveau, l’apprenant doit être capable de justifier son avis. Une déclinaison de ce cadre a été produit par Lire et Ecrire pour la langue française[3]Référentiel de compétences et Test de positionnement pour le français langue étrangère et seconde (FLES) téléchargeable sur la page: http://www.lire-et-ecrire.be/Referentiel-et-test-FLES .

Les mérites d’un cadre

Ce cadre européen a eu le mérite de définir des niveaux de référence, et donc de donner un support sur lequel les formateurs peuvent s’appuyer pour penser une progression. Il établit aussi que la langue est un outil pour agir, confirmant l’approche actionnelle dont nous parlerons plus loin. Sa visée est aussi louable : définir un cadre qui permette de valoriser les compétences et les apprentissages tout au long de la vie, quel que soit le pays européen dans lequel on se trouve. Enfin, ce document ne donne aucun conseil au niveau méthodologique. Ce qui est en soi une bonne chose.
Du coup, reste la question didactique : comment s’y prendre pour élaborer un cours ? Quelles sont les compétences à travailler, et surtout comment, pour qu’on puisse observer une progression dans les apprentissages ? Une autre source d’inspiration pour les formateurs peut se trouver dans options, développées par les différents courants qui se sont succédé dans la didactique des langues. Nous en donnerons un trop rapide aperçu.

La querelle des méthodes

Entre les années 60 et le début des années 80, l’approche structurale globale audiovisuelle (SGAV) a dominé le champ des pratiques. Elle a été notamment permise par la démocratisation du matériel électronique : lecteur de bandes, puis de cassettes, et projecteurs, permettant de se détacher de la leçon livresque dominée par l’écrit, et de la seule voix de l’enseignant.
Cette approche a légitimement insisté sur la primauté de l’oral ; et la projection d’images permettait de contextualiser les énoncés, de limiter les explications en langues maternelles et favoriser les inférences. Énoncés qu’il fallait mémoriser, pour apprendre des structures de phrase correctes. En renfort s’organisaient des exercices structuraux sous forme de drill pour ancrer la structure correcte visée dans la mémoire de l’apprenant[4]Exemple : exercice de réponses mécaniques à des questions du type : « Tu veux du café ? Non, je n’en veux pas. Tu veux du gâteau ? Oui, j’en veux bien. Voulons-nous des vacances ? Oui, nous … Continue reading .
Cette formule a été usée jusqu’à la caricature, au risque que tombe dans l’oubli l’une ou l’autre méthode de cette approche pourtant de grande qualité[5]Nous pensons à Pourquoi pas !, de Henri Sagot. . Plus globalement, l’approche SGAV a eu le mérite de mettre en évidence l’importance de la phonétique, et plus globalement de l’audition, ainsi que l’antériorité de l’oral par rapport à l’écrit. Tout cela reste aujourd’hui fondamentalement juste.
Cependant, les contenus grammaticaux étaient extrêmement présents, trop, et l’approche pédagogique n’était pas centrée sur une réelle communication.
En réaction, l’approche communicative a eu le mérite de remettre celle-ci au centre des débats. Il devenait essentiel de s’intéresser aux questions : qui s’adresse à qui, dans quel contexte, et comment ? Les documents authentiques tirés de la vie réelle apparaissaient dans les nouveaux manuels. L’apprentissage était désormais moins centré sur les structures et la méthode pour les enseigner, que sur l’apprenant[6]Il est regrettable qu’il n’y ait eu aucune tentative de synthétiser les deux approches, à une exception près : la méthode Archipel, de J. Courtillon..
À cette approche communicationnelle s’est greffée l’approche actionnelle. C’est aujourd’hui l’approche de référence. Comme nous l’avons dit, elle insiste sur le fait qu’on apprend une langue pour agir dans sa vie, sur soi et sur le monde.

Nirvana didactique ?

Est-ce à dire que nous avons atteint une phase de maturité didactique ? Aujourd’hui, tous les manuels se ressemblent peu ou prou. Pour mettre en évidence les questions à poser, faisons-en une (légère ?) caricature.
D’abord, ces manuels sont découpés en chapitres, où l’on retrouve quelques petits dialogues, souvent assez stéréotypés, sans doute pour que chaque apprenant puisse s’y projeter[7]En tout cas, un apprenant de classe moyenne travaillant dans le secteur tertiaire. . La contextualisation se réduit désormais à quelques images, photos, voire des BD assez sommaires. On peut y voir des acquis, diront les uns, des reliquats diront les autres, des méthodes SGAV d’antan.
S’y greffe le plus souvent un matériel métalinguistique, proposant des explications diverses. Par exemple, un tableau expliquant l’utilisation d’une structure donnée (la différence d’utilisation entre “il est” et “c’est”, etc.) Ou encore un point grammatical (par exemple, l’utilisation des pronoms relatifs qui, que, dont, où). Tout cela, assez sommairement, et en dehors de tout enjeu communicationnel. S’ajoutent deux ou trois exercices structuraux sur la question, mais pas trop, pour ne plus tomber dans les travers grammaticaux des méthodes sgavistes de la vieille école.
En fait, on dirait que les recettes actuelles des auteurs de manuels relèvent plus d’une juxtaposition d’activités que d’une réelle articulation et progression spiralaire.
Car, est-ce avec quelques explications et quelques exercices d’application que les apprenants pourront s’approprier de nouveaux outils et communiquer correctement ? Et si oui, quels apprenants ? Sans aucun doute, des personnes déjà formées, se débrouillant très bien avec les supports écrits formatés d’un point de vue scolaire, maitrisant déjà des notions grammaticales, comme complément d’objet, etc. Celles qui apprennent en fait… par elles-mêmes ! Le matériel proposé est trop pauvre, les différents éléments ne sont pas assez articulés. L’enseignant est là comme animateur sympathique d’un travail que les apprenants réalisent seuls.
Enfin, pour ce qui est de la communication et de l’action tant mises en avant, ce qui est proposé est souvent aussi très sommaire. On invite à des discussions sur des sujets mille fois rebattus (l’écologie, etc.), ou à réaliser un projet en classe en dehors de tout contexte (organiser un voyage). Certes, on envisage des petits jeux pour briser la glace, mais après ? En réalité, très souvent, il ne se passe rien qui ait un réel enjeu entre les participants ! Et si on aborde les réalités du pays d’accueil [la culture de la France, quitte à insérer l’une ou l’autre page sur le Québec, la Suisse, etc.], et par comparaison, celle du pays d’origine des apprenants (la sempiternelle question : et chez vous, comment cela se passe ?), c’est de manière stéréotypée, vidée de tout enjeu trop chatouilleux. Tout est trop souvent folklorisé.
Un point positif à tout cela : le champ pour l’invention didactique reste bien ouvert…

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Par ailleurs, elle a travaillé plus de vingt ans en promotion sociale en français langue étrangère (FLE). Formatrice pour Lire et écrire, elle est l’autrice du Référentiel de compétences produit par cette institution pour la langue française.
2 Téléchargeable sur la page : https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages
3 Référentiel de compétences et Test de positionnement pour le français langue étrangère et seconde (FLES) téléchargeable sur la page: http://www.lire-et-ecrire.be/Referentiel-et-test-FLES
4 Exemple : exercice de réponses mécaniques à des questions du type : « Tu veux du café ? Non, je n’en veux pas. Tu veux du gâteau ? Oui, j’en veux bien. Voulons-nous des vacances ? Oui, nous en voulons ». Etc.
5 Nous pensons à Pourquoi pas !, de Henri Sagot.
6 Il est regrettable qu’il n’y ait eu aucune tentative de synthétiser les deux approches, à une exception près : la méthode Archipel, de J. Courtillon.
7 En tout cas, un apprenant de classe moyenne travaillant dans le secteur tertiaire.