Re-décréter la formation continuée ne suffira pas…

Lorsqu’il a fallu se positionner pour que CGé s’inscrive dans le Pacte pour un enseignement d’excellence, j’étais de ceux qui ont marqué leur accord avec les conditions posées par le mouvement. À savoir un engagement avec une dimension critique, et prêt à sortir du processus si la question des inégalités sociales et scolaires n’y trouvait pas sa place.

C’était clairement une démarche de type « stratégique » car l’utilité de lancer un tel « barnum » ne figurait pas à mes yeux comme une priorité en FWB.

État des lieux

C’est donc « à reculons » que je me suis engagé dans le groupe de travail « Formation continuée[1]Axe thématique III, « Soutenir et investir dans les équipes pédagogiques pour leur permettre de répondre aux défis de l’école du 21e siècle ». Groupe de travail III.1 : … Continue reading » avec le statut d’expert. Passons sur ce mot qui ne veut pas dire grand-chose. Le bagage que j’emporte avec moi et que j’ai annoncé au sein du groupe de travail (GT) : un parcours engagé à CGé, la direction de l’école supérieure de pédagogie de Bruxelles et actuellement une fonction institutionnelle dans la formation initiale des enseignants en haute école.
À ce stade, une note d’orientation intermédiaire a été produite (03/02/16), elle est considérée comme une étape dans le processus.
L’objectif annoncé dès le début est de repenser le système de la formation en cours de carrière (FCC)[2]L’intitulé formation « continuée » est devenu « en cours de carrière » au sein du groupe (FCC dans le texte).
en vue de réécrire les décrets de 2002. Le GT est parti du constat que « le développement professionnel des enseignants est un des meilleurs leviers pour garantir la qualité du système éducatif à travers des pratiques éducatives réfléchies au sein des classes, reposant sur le jugement professionnel des enseignants. »
Différents éclairages sont venus au fil des séances étayer cette vision centrée sur le développement professionnel et différentes « portes » ont permis d’ouvrir les possibles de la FCC au-delà des formations « classiques » : le portfolio comme outil de développement professionnel, l’e-learning, les recherches de nature participative et collaborative, l’accompagnement collectif et individualisé, la vidéoformation…
Le rapport intermédiaire comprend une dizaine de fiches visant à opérationnaliser les objectifs et aborde des thématiques assez larges : le pilotage de la FCC en lien avec une démarche qualité, la définition des domaines d’intervention, les thématiques prioritaires, l’articulation entre l’interréseaux et les réseaux, la place du projet et du chef d’établissement, la professionnalisation des membres du personnel, la valorisation de la FCC, les liens avec la réforme de la formation initiale des enseignants, la formation des formateurs de la FCC[3]Au moment de la rédaction de cet article (mars 2016), la plupart de ces thématiques doivent encore faire l’objet d’un traitement approfondi.

Tensions

La principale tension porte sur l’articulation des objectifs généraux du système, des objectifs spécifiques des établissements/Pouvoirs Organisateurs (PO)/Fédérations de Pouvoirs Organisateurs (FPO) et des besoins des destinataires individuels/collectifs de la FCC. La vision défendue par les FPO place le projet d’établissement (et le chef d’établissement) comme pivot central de l’amélioration de la qualité du système scolaire. Ils défendent des dispositifs distincts entre l’enseignement fondamental et secondaire.
On aurait pu s’attendre à ce qu’un autre groupe d’acteurs, celui des syndicats, se fasse davantage entendre. Il n’en est rien, il faut dire que la question du temps de travail des enseignants a été assez vite évacuée du débat.
Sur avis du Groupe central (GC), début mars, qui a clairement tenu compte de la note de dissensus des FPO, le GT a vu ses missions se recentrer sur deux objectifs plus opérationnels :
redéfinir les structures et la cohérence de l’offre entre l’interréseaux (IFC) et les réseaux ;
repenser l’articulation entre systèmes de gestion personnalisée de la formation selon la carrière de l’enseignant et le système de gestion collective de la formation selon le projet d’établissement.

Prise de recul CGé

À la lecture, cette note présente certes une analyse approfondie de différentes facettes de la FCC, mais elle semble technique, fonctionnelle, « froide ».
Bref retour en arrière pour contextualiser : la formation en cours de carrière des enseignants est devenue obligatoire depuis une bonne dizaine d’années (2002). Elle a été décrétée dans les structures de la FWB, mais le changement « culturel » n’a pas encore eu lieu chez une majorité d’enseignants. A-t-on suffisamment mesuré que la formation implique une transformation de la place sociale de l’apprenant ? Un processus de changement (ici la formation continuée) a été conçu à destination des enseignants sans qu’ils ne le souhaitent vraiment. Historiquement, il y a également un débat polémique entre le statut de « formateur » et « d’enseignant » que nous ne développons pas ici, mais la posture, la place des apprenants, de leurs projets et la question de la place des savoirs disciplinaires sont différentes, sans compter que les attentes des enseignants s’inscrivent souvent dans une dynamique paradoxale où le formateur doit à la fois être « pair » et « expert[4]Sur ces différents aspects, je recommande « Comment favoriser l’apprentissage et la formation des adultes ? », D. Faulx & C. Danse, Éd. De Boeck, 2015. ».
Nous souhaitons mettre en évidence trois dimensions[5]Dimensions axées ici sur le processus et la posture du formateur, néanmoins la question du contenu des formations reste tout autant prioritaire ; les formations en lien avec les inégalités … Continue reading que la FCC devrait davantage intégrer dans un tel contexte. :
premièrement, l’insécurité liée à de nouvelles situations d’apprentissage. Apprendre, c’est renforcer son déjà-là, mais c’est aussi changer, c’est être confronté à ses doutes, à son incompétence, c’est être confronté au regard des autres, c’est accepter de devenir autre… Pas facile pour certains enseignants reconnus par leur formation comme des spécialistes des apprentissages, de la gestion de groupes, habitués à être dans le normatif. Certains comportements de résistance aux changements peuvent s’expliquer si on tient compte de cette insécurité et si on la travaille en formation. La posture du formateur intervenant face à des enseignants sera primordiale. Se pose clairement ici la question de la formation des formateurs qui requiert des compétences complexes, voire qui devient un métier à part entière  ;
deuxièmement, l’évaluation vécue souvent de manière « classique » et à sens unique : les participants évaluent à chaud le « spectacle » du formateur sur base de leur propre satisfaction. Mais qui évalue les participants ? Comment s’évaluent les participants entre eux ? Quels sont les acquis de la formation après quelques mois ? Se pose également la question des évaluations plus informelles, le statut de l’erreur, les feedbacks implicites inhérents à un groupe d’apprenants adultes… L’évaluation ne prend pas place qu’en fin de formation, elle traverse l’ensemble de la formation et doit être traitée comme telle ;
enfin, la dimension collective. D’une manière générale un dispositif de formation va puiser dans les représentations et le vécu professionnel des participants, mais la formation peut également devenir ce lieu où se crée de l’expérience chez les participants. La formation devient un point d’appui pour aller plus loin, pour créer des ruptures, pour expérimenter, pour prendre le temps de chercher ensemble, pour faire des aller-retours entre théorie et pratique et inversement, loin des pistes concrètes souhaitées par certains enseignants… à condition que le lieu de formation offre suffisamment de protection. Ce lieu ne doit pas nécessairement se situer en dehors de l’établissement scolaire ni être inscrit dans un plan de formation, avec pour seul pilote le chef d’établissement…

Perspectives ?

Les orientations demandées par le groupe central du Pacte (redéfinir des structures, articuler des logiques individuelles/collectives, prioriser des besoins de formations…) sont de l’ordre de l’institutionnel, de l’organisationnel, du formel. Un nouveau décret ne sera pas suffisant. Les tensions identifiées plus haut sont également révélatrices des guéguerres de territoires propres à notre système scolaire et qui continuent à traverser le Pacte.
Les véritables enjeux de la FCC sont-ils en train d’être évincés ? Est-on en train de passer à côté d’une refondation de la FCC et plus globalement de notre système scolaire ? Certes, il ne faut pas demander au GT ce qu’il ne peut pas produire, car on ne changera pas le système à coups de formations en cours de carrière, mais celles-ci articulées à la formation initiale restent un levier essentiel de la transformation de notre système scolaire. 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Axe thématique III, « Soutenir et investir dans les équipes pédagogiques pour leur permettre de répondre aux défis de l’école du 21e siècle ». Groupe de travail III.1 : Développer la formation en cours de carrière des membres des personnels de l’enseignement.
2 L’intitulé formation « continuée » est devenu « en cours de carrière » au sein du groupe (FCC dans le texte).
3 Au moment de la rédaction de cet article (mars 2016), la plupart de ces thématiques doivent encore faire l’objet d’un traitement approfondi.
4 Sur ces différents aspects, je recommande « Comment favoriser l’apprentissage et la formation des adultes ? », D. Faulx & C. Danse, Éd. De Boeck, 2015.
5 Dimensions axées ici sur le processus et la posture du formateur, néanmoins la question du contenu des formations reste tout autant prioritaire ; les formations en lien avec les inégalités sociales et scolaires sont largement minoritaires chez les principaux opérateurs de la FCC.