Des étudiants mis en recherches pour qu’ils puissent à leur tour mettre leurs élèves en recherches à partir de ce qui survient.
Les activités d’éveil scientifique restent peu fréquentes en maternelle, mais toute-fois, on peut rencontrer des enseignants qui se lancent. Ces enseignants qui en font sont chercheurs avec les enfants. Ils savent dénicher les questions de sciences qui se manifestent à nous tous les jours. Ils savent choisir les activités qui permettront à l’enfant de confronter ses idées au réel. Les activités propo-sées sont concrètes et laissent beaucoup de place à l’expression des idées par les enfants. Ils sont souvent convaincus de l’utilité de mettre l’approche du réel au cœur des apprentissages, plutôt que de rajouter des ateliers sciences « en plus de tout le reste », comme certains pensent qu’ils doivent faire.
Mais à côté de cette qualité-là, une tendance existe aussi à déléguer cet apprentis-sage à des intervenants extérieurs, ou alors à un des enseignants de l’équipe qui se spécialise dans ce domaine, ou, c’est une boutade, mais bien réelle, à la stagiaire de l’école normale. Les activités deviennent alors des parenthèses, données par quelqu’un d’autre, dans un temps donné, fixé, et perdent ce côté dynamique de la re-cherche portée et menée par le groupe. Les séances se réduisent souvent à des expé-riences « spectacle » téléguidées, ou à des bricolages scientifiques où les notions de sciences se montrent, se démontrent et s’imposent plus qu’elles ne se construisent. On y perd l’intégration aux autres disciplines, car s’il est déjà difficile de se coordonner tout seul, cela l’est encore plus s’il faut se coordonner à plusieurs.
« C’est mieux que rien. », me répondent souvent ceux à qui je fais part de ces dérives. Pour moi, en plus d’être peu efficace en matière d’apprentissage, c’est une image tronquée des sciences qui se construit.
Pour résister, j’ai un moyen : un cours de sciences en formation initiale des instituteurs maternels, que j’ai renommé « méthodologie de l’éveil scientifique ». Mon objectif prin-cipal peut se résumer de la sorte : amener les élèves à devenir les enseignants du début de l’article. Dans un souci d’adéquation de fond et de forme, je choisis de tra-vailler par quelques mises en situation de recherche, comme ils devraient le faire avec les enfants, avec des arrêts méthodologiques pour nommer, décrire et discuter des pratiques. Les premières séances de cours choisies, pour cette année, m’ont sem-blées pouvoir amener, assez vite, les étudiants aux questions méthodologiques essen-tielles : il s’agissait de partir d’une activité artistique pour se poser des questions de sciences et ensuite, de mener une recherche.
Premier cours : les étudiants sont un peu surpris (ou rassurés) quand, quelques mi-nutes à peine après leur avoir dit qu’on allait refaire un peu de physique, je sors pin-ceaux, pastels et papier dessin. La consigne pour la situation mobilisatrice est de faire un décor au pastel gras, et un autre en dessinant avec une bougie. Le deuxième des-sin est invisible, car nous utilisons des bougies blanches. La technique est d’ensuite peindre l’ensemble de la feuille avec du brou de noix dilué dans l’eau. Celui-ci donne une couleur brune naturelle et foncée à toute la feuille de dessin, sauf aux endroits couverts par le pastel ou la cire de bougie. Le dessin invisible réalisé à la bougie appa-rait alors nettement. Le résultat est d’emblée joli par les contrastes que la technique apporte. Après avoir apprécié la qualité des productions réalisées, je pars vers les sciences : comment ça se fait ? Pourquoi la solution aqueuse de brou de noix n’a-t-elle pas tout recouvert ? Que s’est- t-il passé pour avoir ce résultat ?
Après quelques instants de réflexions, je peux noter les propositions. L’une dit qu’elle pense que : « Le pastel est constitué de molécules hydrophobes. » Certains murmu-rent, un peu déstabilisés. S’il faut dire des mots comme ceux-là, ils ne se sentent pas capables. Je les rassure et en profite pour aborder les niveaux de formulation. Que chacun a le droit d’utiliser les mots qu’il choisit pour peu que ceux-ci soient maitrisés ! Et, au-delà des mots, c’est l’idée qui importe à ce stade. Pour que chacun ait le choix des mots, on décide de donner une autre version de cette première proposition. On opte pour : « Le pastel est fait d’une matière qui n’aime pas l’eau. », tout en gardant aussi la première formulation qui convenait à certains étudiants.
Je relance la recherche d’explication et des étudiants proposent des idées : « Le pastel gras rend le papier imperméable, l’eau colorée ne sait pas passer pour imprégner le papier. », « Je pense que c’est parce que c’est gras et que les matières grasses comme l’huile ne se mélangent pas à l’eau. », « Moi, je dirais que c’est parce que la place est déjà prise que le brou de noix ne s’y met pas. ». Cette dernière proposition entraine un sourire chez certains, sourire assez visible pour que cette dernière étu-diante se sente un peu gênée de sa proposition. Je rassure en disant que la proposi-tion est logique, qu’elle apporte comme demandé une cause possible à ce que l’on a observé. « Oui, mais, on sait bien que ce n’est pas ça. » rétorque un des sourires affi-chés, donc cela ne sert à rien de tester. Je les laisse entre eux régler cette question. Ils aboutissent tout seuls à la conclusion que toute proposition est valide à ce stade et qu’une recherche qui contredit une idée de départ est aussi intéressante qu’une re-cherche qui apporte la confirmation d’une idée. Et que, en classe, ce sera important d’intégrer toutes les idées des enfants. L’étudiante, mise en confiance, exprime qu’elle a dit ça en pensant à ce que les enfants diraient, mais qu’elle aussi, elle n’est pas sure que ce ne soit pas ça la raison. Je lui propose de choisir cette hypothèse à tester dans la suite du travail et d’autres se manifestent pour travailler avec elle. Une dernière idée est notée quant à la comparaison des matières utilisées : ils pensent que cire et pastel doivent être faits d’une matière proche, d’une même catégorie de matière.
Après l’émission de ces hypothèses, des groupes se constituent afin d’apporter de manière expérimentale une confirmation de l’idée. Toutefois, pour savoir si le pastel gras est fait d’une matière hydrophobe et comparer la composition moléculaire de la cire et du pastel, c’est une recherche documentaire qui est choisie. Deux étudiantes prennent la responsabilité de rechercher ces informations pour le cours prochain.
Le travail de conception d’expériences commence : les étudiants doivent par groupe, rédiger le protocole d’une expérience qui confirmera ou infirmera l’hypothèse choisie.
Ils sont un peu frustrés de ne pouvoir directement essayer, mais je rappelle qu’ils doi-vent d’abord penser ce qu’ils vont faire. Que je vérifierai, avant qu’ils essaient, s’ils ont tenu compte de l’expérience témoin, d’un contrôle des variables, d’un moyen de quan-tifier si possible leur résultat. Ces critères de rigueur sont alors clarifiés.
Avec cette manière de travailler, on est loin de la petite expérience à suivre, toute pen-sée à l’avance et qu’il faut exécuter. Dans la classe, il y a eu 8 expériences différentes qui ont été proposées et ensuite réalisées au deuxième cours. Certaines plus cohé-rentes que d’autres.
Une expérience visant à confirmer l’hypothèse de l’imperméabilité créée par le recou-vrement de pastel gras a particulièrement plu. Les étudiants ont proposé de prendre deux cercles découpés dans du papier filtre (filtre à café), d’enduire un des cercles de pastel gras, de réaliser un cône avec ce papier filtre enduit et celui non enduit, d’y dé-poser une cuillérée d’eau et de mesurer la quantité d’eau recueillie. Les résultats étaient des plus parlants : l’eau est passée par le papier non enduit et est retenue dans le filtre enduit de pastel gras.
Pour le groupe qui travaillait sur : « La place est déjà prise. », ils ont proposé très logi-quement de séparer une feuille de dessin en différentes zones, de faire des traces sur chaque zone avec différents moyens (marqueur à alcool, marqueur à l’eau, peinture à l’huile, écoline, pastel gras, bougie, crayon de couleur, pastel sec, craie de tableau) et de recouvrir ensuite de brou de noix. Certaines zones sont entièrement recouvertes de la solution de brou de noix, il n’y a que les zones avec pastel gras, cire et peinture à l’huile où la couche préalable réapparait nettement. L’hypothèse est reformulée et de-vient leur conclusion : dans les zones où la place est déjà prise par un corps gras, le brou de noix ne se dépose pas et permet ces effets particuliers.
Les informations plus théoriques apportées par la recherche documentaire ont suscité des questions. Et les informations à propos des graisses et de leurs propriétés ont été accueillies avec intérêt. J’ai l’impression qu’ils apprennent. Je peux en tout cas dire qu’ils se montrent très motivés pour des personnes qui s’excusent tout le temps de ne pas être scientifiques.
Une institutrice, lors d’une journée de formation, expliquait qu’elle s’était rendu compte qu’en cherchant ses idées d’expériences pour ses ateliers d’éveil, que c’était elle qui faisait le travail intéressant et formatif en ajustant les protocoles de ses petites expé-riences « recettes » à proposer aux enfants. Que c’était bien là, dans la conception et non l’exécution que se trouvait le travail créatif du scientifique et qu’elle avait dès lors totalement changé sa manière de travailler.
Cette prise de conscience prend du temps. Je sais que mes petits cours en formation initiale ne suffiront pas à changer les pratiques. Lors du transfert en classe, les étu-diants retombent assez vite sur des méthodes plus linéaires. Car, au-delà de prise de conscience, il y a une certaine prise de risque à travailler de la sorte. Une certaine as-surance est nécessaire avant de s’y lancer.
Les constats concernant les méthodes d’apprentissages des sciences qui ne sont ni suffisamment efficaces en terme d’apprentissage, ni appropriées pour donner une image effective des sciences, préoccupent les didacticiens des sciences, depuis des décennies. Ce qui est nouveau c’est que cette réflexion s’étend aujourd’hui à de nom-breux niveaux. Les objectifs définis, dans plusieurs projets européens actuels, sont convergents, insistants sur une méthodologie de construction de savoir de type « IBSE »[1]Ces constats, je les tire des nombreux contacts que je peux avoir avec les enseignants lors des formations continuées et aussi des échos de mes étudiants en formation initiale. . Récemment, Bruce ALBERTS, rédacteur en chef de l’éminente revue de communication de recherches scientifiques « Sciences » en a fait l’objet de deux édito-riaux : « Our goal is to make much easier for teachers everywhere to provide their stu-dents with labotary experiences that mirror the open-ended explorations of scientist, instead of the traditional « cookbook » labs where students follow instructions to a pre-determinate result. »
Notes de bas de page
↑1 | Ces constats, je les tire des nombreux contacts que je peux avoir avec les enseignants lors des formations continuées et aussi des échos de mes étudiants en formation initiale. |
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