S’inscrire dans un dispositif pour travailler des situations professionnelles insatisfaisantes…
Un groupe sadomasochiste ? M’enfin !
Le groupe d’accompagnement et d’analyse des pratiques (Gaap), un lieu pour prendre du recul sur ses pratiques dans un cadre sécurisé, en dehors de son institution. C’est un temps d’analyse, avec d’autres enseignants, de ce qui se passe avec les élèves (et les collègues) pour sortir de la solitude et lever le nez du guidon. Nous travaillons à partir de récits écrits de situations concrètes et insatisfaisantes, en nous inspirant de l’entrainement mental. Nous vous invitons à ne pas rester seul et à venir partager vos pratiques. » C’est en lisant cela, écrit dans la pub pour cette activité CGé ou en en ayant entendu parler que les profs (ou travailleurs du monde éducatif) s’inscrivent dans un de ces groupes, pour six séances étalées dans l’année scolaire.
Il existe d’ailleurs un groupe au sein d’une même école, où les enseignants sur une base volontaire prennent ce temps réflexif.
C’est quoi cette grille d’analyse en entrainement mental ? Un truc pour se muscler le cerveau ? Pourquoi travailler sur des situations difficiles et non sur des réussites ? Pourquoi exiger un passage par l’écrit, car si on est amené à faire écrire ses élèves, ça ne dit rien de son rapport à l’écriture, encore moins à l’écriture professionnelle ? Et donc, on n’est même pas sûr que ce sera sa situation qui sera travaillée… Et quelles garanties a-t-on pour oser se mettre à nu devant d’autres ?
Les séances se déroulent grosso modo de la même manière : un temps de parole court et sur inscription pour faire le passage entre la journée qui est dernière nous et la séance du Gaap. Juste après, nous donnons la parole à la personne dont on a travaillé la situation lors de la séance précédente. Est-ce qu’une piste d’action a été tentée ? Est-ce que le travail fait a réduit une part de souffrance ? Y a-t-il eu moyen de faire tiers, de sortir d’une relation duale qui conduit au duo avec des rapports de séduction ou au duel avec des rapports de force qui enferment les deux sujets ? Ou peut-être simplement le problème semble moins dramatique qu’au moment de l’écriture… Et puis, on se lance, avec le groupe, dans le travail d’analyse sur une nouvelle situation qui a été écrite et envoyée à l’avance. La parole revient à celui qui porte la situation : ce n’est pas rien d’avoir été au centre de toutes les attentions, d’avoir entendu ceux du groupe prendre le point de vue des autres acteurs et de faire des hypothèses pour comprendre. Et que pense l’intéressé des pistes d’actions proposées, quelles sont celles qu’il va mettre de côté, par où commencer ?
Se saisir desquelles ? Savoir que je pourrais aussi tenter d’agir à l’échelle de l’école.
On propose des textes en ombre en lien avec une des problématiques liées au récit, avec cette même idée que les histoires des autres font échos chez chacun. Un récit de pratique, une analyse théorique, souvent entremêlés. Écrire, en parler et lire. Pas de longs discours, on les évite à tout prix. Il n’y a pas une bonne parole, une solution toute cuite. On cherche ensemble. L’intelligence collective, ce n’est pas de la c… !
On clôture avec un temps de parole sur ce qu’on vient de travailler ensemble. Ça va ? Ça ne va pas ? Un deuxième tour pour déplier un peu, si on veut.
On referme la séance en rappelant l’agenda et le délai d’envoi des récits pour la prochaine date.
Le on, ce sont deux responsables. Un enseignant en activité et moi qui ne suis plus dans une classe. Nous préparons ensemble, c’est-à-dire que nous choisissons la situation sur laquelle on va travailler, nous en discutons et cherchons un ou plusieurs textes en ombre. Après le travail, nous prenons un temps pour revenir sur. On alterne d’un Gaap à l’autre, l’un a la main sur l’animation, l’autre est une présence dans le groupe.
La grille, en quelques lignes. L’entrainement mental, « c’est d’abord une pratique de groupe, une pratique qui s’élabore avec le groupe et non pour lui par avance, une pratique de coéducation populaire. C’est une pratique qui se théorise (une praxis) en se pratiquant, ni expérimentation spontanée puisqu’elle se nourrit de 80 ans de pratiques-recherches, ni filiation soumise puisqu’elle se pratique avant de se théoriser. »
« L’EM est éminemment pratique : c’est du concret de la vie qu’on part (étape 1 : de quoi s’agit-il ?) et c’est sur le concret de la vie qu’on arrive (étape 4 : que faire ?). Et si on théorise (étape 2 : quel est le problème ?) et si on recourt aux théories (étape 3 : pourquoi est-ce ainsi ?), c’est parce qu’il n’y a rien d’aussi pratique qu’une bonne théorie ! Pas de théorie générale qui s’applique à tout, mais de petits morceaux de vie rigoureusement et précautionneusement décortiqués et qu’on s’échine à rendre moins insatisfaisants[1]Jacques Cornet, « Piem », TRACeS de ChanGements n° 227 . » Ça, c’est le côté outil, pour l’éthique, on essaie de nuire le moins possible. Et c’est déjà pas mal…
Il n’y a pas un milliard de règles pour cadrer le travail : bienveillance et confidentialité. Ça parait bateau, mais tout le monde en a besoin et en mesure l’importance en écrivant et en entendant les situations amenées. Des situations insatisfaisantes avec un élève ou un groupe d’élève, avec un ou plusieurs collègues, avec un parent, la psy du PMS… Une situation insatisfaisante dans la classe, dans la cour de récréation, dans les couloirs ou ailleurs. Un dérapage ou une non-réaction.
On travaille avec des adultes qui décident de faire ce travail, en plus de tout ce qu’ils ont à faire pour donner cours et de tout ce qu’il y a autour. C’est un engagement réel. Ce ne serait pas possible dans un cadre obligatoire ou avec une présence hiérarchique. On travaille à l’horizontal.
Nous pensons que les situations qui coincent quand elles sont moulinées en groupe sont plus porteuses que les leçons qui roulent. Mireille Cifali appuie : « Une action pédagogique ne se réduit donc pas à un dispositif, mais se réalise dans une temporalité où un projet se structure dans un possible, des échecs, des remédiations, des décisions, des reprises, des interrogations, du risque, de l’intelligence. On réfléchit à ce qui se passe, on modifie, on invente ; on est ouvert à tous les facteurs en jeu, humain et matériel : on fait des choix, on tient compte de l’autre. (…) La réussite est donc faite de difficultés. (…) Dire la difficulté est actuellement un pari dans le champ de l’éducation[2]Mireille Cifalli, (1995), « Transmission de l’expérience, entre parole et écriture », https://lc.cx/RuJzQLXzd . »
Sans compter que je fais partie du problème, que je suis le nez dans le guidon. Chacun fait comme il peut. Les participants, en adoptant les différents points de vue des acteurs de la situation en jeu permettent, dans une certaine mesure, d’interroger nos évidences. Chaque acteur de la situation a de bonnes raisons d’agir comme il agit, de dire ce qu’il dit. Pas facile de se déplacer tout seul, les autres ont la parole. L’auteur de la situation écoute.
Les histoires insatisfaisantes des autres sont un peu, beaucoup, les nôtres. Elles nous mettent tous au travail.
Les quatre étapes permettent le détour nécessaire pour ne pas aller du problème qui saute aux yeux à la réponse qui paraît la plus évidente. Les chemins trop courts sont comme des réflexes, le réflexif permet de chercher à sortir de ses ornières.
La complexité fait partie de la vie.
Notes de bas de page
↑1 | Jacques Cornet, « Piem », TRACeS de ChanGements n° 227 |
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↑2 | Mireille Cifalli, (1995), « Transmission de l’expérience, entre parole et écriture », https://lc.cx/RuJzQLXzd |