Comment faire pour aider « tous » ces étudiants à qui il « manque tant de choses » pour réussir ?
Cette question, tombée au milieu une dizaine d’enseignants de BLOC1 sentait l’apitoiement, le manque de moyens, le défaitisme, l’envie de s’enfiler un remontant plutôt que de chercher comment faire. J’y étais et j’ai pu expliquer le temps rem’aide : c’est (presque) gratuit et ça peut rapporter gros. Surprenant ? Plus que l’on ne le pense.
Dans le système Tenter Plus1, il existe, depuis trois ans, un temps appelé « Rem’aide » qui permet aux étudiants de partager leurs compétences (théâtre, informatique, mise en page des séquences…) avec les autres.
Ce moment représente 6 heures par année. Il est vertical et coopératif. Chaque étudiant peut être une personne ressource ou un apprenant qui a fait une demande d’aide ou encore un apprenant qui trouve de l’intérêt dans un atelier organisé. Il est géré par une commission composée d’étudiants et d’un professeur responsable.
Voici ce qu’en dit Jérémiah, passé de BLOC1 à BLOC2.
« Je me suis engagé dans la commission dans l’optique d’aider mes camarades en informatique pour améliorer les présentations des nombreux travaux. C’est ainsi que je suis devenu “personne ressource”, appellation désignant quelqu’un qui accepte de partager quelque chose qu’il sait ou sait faire.
Au début, la commission prenait les suggestions dans la “boite à Rem’aide”, mais la boite était trop souvent vide. Alors, nous nous sommes réunis et avons décidé de créer une affiche comportant les sujets populaires de l’année précédente, ainsi que des espaces vides pour les nouvelles propositions. Chacun pouvait voter pour le sujet qui l’intéressait. Pour améliorer les Rem’aide, nous avons désigné plusieurs relais dans chaque classe qui rappelaient aux étudiants de s’impliquer via les affiches. Nous avions aussi le temps “HELP !” en conseils qui permet à chacun de demander de l’aide à l’ensemble des étudiants et profs. Lorsqu’une demande est partagée par plusieurs, cela devient une proposition d’atelier Rem’aide. »
« Être une personne ressource implique diverses responsabilités telles que : créer une fiche de feedback comprenant les objectifs, les étapes du cours et, par la suite, une grille d’évaluation pour les participants de l’atelier.
Quand on essaye de créer du contenu, par exemple, faire un “Draw my life” en direct, dans mon cas, il faut avoir tout vérifié à l’avance pour se prémunir des imprévus. Je l’ai appris à mes dépens ! La personne ressource, en plus du temps accordé le jour du Rem’aide, doit effectuer une préparation à domicile conséquente. »
Comme Jérémiah le souligne : être personne ressource, c’est aussi apprendre son futur métier.
Joachim est entré dans la commission plus tard dans l’année, mais il avait d’abord participé comme apprenant. Voici ce qu’il en dit :
« J’ai participé en tant qu’animé à deux ateliers Rem’aide qui portaient sur le tableau interactif, un sujet qui m’intéressait, car de plus en plus d’écoles en sont équipées. Les deux ateliers, animés par des étudiants de BLOC2, m’ont familiarisé avec les programmes utilisés par le tableau interactif. L’expérience acquise lors de ces temps m’a permis d’être prêt lorsque je m’y suis trouvé confronté, j’ai même pu montrer certaines fonctionnalités à mon maitre de stage.
À travers certains ateliers Rem’aide, des étudiants de BLOC3 partagent leurs expériences avec les plus jeunes. Une étudiante nous a montré comment elle mettait en page ses séquences de cours et nous a expliqué l’objectif de ses choix de mises en page. »
À court terme, les étudiants découvrent des apports qui leur semblent essentiels, bien que non prévus dans la formation initiale. Gagner en sentiment de compétence réduit leurs craintes quant à un contenu (juste après le moment ou en stage comme Joachim), mais aussi quant à leur place dans cette formation (la leur), à leur importance dans celle-ci (via l’importance accordée à leur demande), à leur statut d’acteur de leur formation (puisque ce sont les demandes des étudiants, validées par une commission composée surtout d’étudiants, accompagnées par des étudiants), mais aussi dans la formation des autres (via leur possibilité d’être personne-ressource).
Sans doute est-ce là ce que Jérémiah conclut en partie :
« Je pense que les moments Rem’aide sont une occasion unique pour révéler les talents de chacun. Cela renforce la collaboration entre étudiants au-delà du cours en lui-même. On sait à qui s’adresser pour demander de l’aide dans un domaine spécifique. Je reconduirai avec plaisir mon engagement dans cette commission qui permet de souder la formation verticalement entre les années et horizontalement dans la coopération dans les travaux de groupes. »
À plus long terme, cela permet de créer et soutenir le collectif autour de chaque étudiant. Pas uniquement pour s’amuser ensemble (ce qui n’est pas négligeable) ou râler ensemble (ce qui est habituel), mais bien pour apprendre ensemble.
Joachim relève :
« Du point de vue des animés, les temps Rem’aide sont des moments privilégiés d’apprentissage avec les autres étudiants, nous apprenons tous les uns des autres et c’est ce qui fait la force de ces moments.
Lors de ces ateliers, une réelle coopération se noue, car il s’agit d’un partage de connaissances et d’expériences. Les ateliers proposés sortent des sentiers battus par rapport au cursus habituel, ils permettent d’approcher des sujets que l’on n’a pas forcément l’occasion d’aborder autrement.
Les temps Rem’aide que j’ai suivis durant ma première année m’ont permis de découvrir des choses et de me préparer à mes stages, ils ont été un ajout idéal à la formation de base. »
Il y souligne encore la différenciation que permet ce temps d’entraide. Ajoutons-y qu’en plus de lutter contre l’échec en première année, cela favorise un apprentissage de l’ordre de la posture chez ces futurs enseignants : l’entraide.
Après avoir étudié les effets de la coopération, Sylvain Connac montre que les personnes ressources, comme les animés, apprennent la solidarité, la place donnée à celui qui raisonne différemment, l’aide possible sans être un expert… Nous comptons sur ces effets pour expliquer pourquoi nous avons raboté nos heures de cours pour permettre aux étudiants d’avoir ces heures d’apprentissage coopératif, pourquoi avoir diminué nos heures de profs pour leur permettre de gagner des heures de collectif d’acteurs de leurs apprentissages.
C’est une manifestation de ce que l’on doit à Paolo Freire « Personne ne se (trans)forme seul, personne ne (trans)forme autrui, c’est ensemble qu’on se (trans)forme. » Et non seulement c’est gratuit, mais cela rapporte donc. La réponse à la question du chapô est peut-être dans un changement d’organisation, si celle-ci est bien le résultat d’un changement de regard sur les étudiants. Comment organiser le travail pour que chacun puisse réussir à montrer et amplifier tout ce qu’il a déjà pour réussir.