Examens, délibérations, journées pédagogiques, formations des enseignants … Le temps réel consacré aux apprentissages a tendance à se raccourcir.
En ce début d’année scolaire nous souhaitions revenir sur un sujet qui a suscité plusieurs réactions en juin dernier et qui portait sur une école « trop buissonnière », principalement en ce qui concerne l’enseignement secondaire. Tout cela a maintenant été envoyé aux oubliettes … . Il en est ainsi pour plusieurs sujets controversés qui suivent le rythme de l’école. Actuellement, c’est le tour des récriminations – justifiées – contre la soi-disant gratuité scolaire. Mais, s’attaquer à ce monstre du Loch Ness parait mission impossible alors on laisse passer le temps …
Pourtant le temps scolaire est compté : une moyenne de 182 jours de cours par an dans l’enseignement obligatoire, un nombre de jours somme toute comparable à nos pays voisins. Ce qui pose problème, c’est plutôt le nombre de jours effectifs.
Regardons de plus près ce qui se passe en secondaire. Un décompte s’impose. Il y a ce que la législation prévoit, à savoir la suspension des cours à raison de 15 jours pour le premier degré et 27 pour les autres degrés pour faire passer les examens et organiser les délibérations, les rencontres avec les parents et les journées de recours. C’est logiquement en fin de trimestre et particulièrement en fin d’année que ces jours sont cumulés, libérant les élèves d’une présence obligatoire dès la mi-juin dans certaines écoles. Ceci explique les griefs des parents et de la société à l’encontre d’une Ecole « irresponsable ». En juin 2005, quelques solutions à l’emporte-pièce ont été mises sur la table pour se donner bonne conscience comme, par exemple, des cours de citoyenneté et d’éveil politique durant les délibérations des professeurs.
En plus d’une réduction du temps scolaire due aux examens et délibérations, le temps des apprentissages en classe se voit grignoté de façon variable d’une école à l’autre par les journées pédagogiques (deux journées par an sont prévues au sein de chaque établissement), une journée de formation obligatoire par an pour chaque enseignant dans le cadre des formations organisées en inter réseaux par l’IFC, les formations suivies par les enseignants sur base volontaire, les activités intérieures hors cours (conférences, spectacles, animations) ou encore les activités hors écoles (excursions, activités sportives, culturelles, voyages) sans compter l’absence d’enseignants pour raison de maladie voire pire pour raison de pénurie dans certaines branches.
La question essentielle du temps réel consacré aux apprentissages doit être posée. Nous précisons que notre propos porte sur les apprentissages de type scolaire accompagné de la présence des enseignants ; nous savons pertinemment bien qu’apprendre ne commence ni ne s’arrête avec l’école.
Il est intéressant de remarquer que différentes mesures prises dans l’enseignement secondaire au cours des dix dernières années en vue de professionnaliser le travail des enseignants et d’assurer un cadre légal plus clair (conseils de classe, recours, formations obligatoires) ont réduit le temps de présence effective des enseignants avec les élèves au détriment donc de l’accompagnement dans les apprentissages. Pourtant, on sait que les chances de progression des élèves dépendent du temps consacré à l’engagement effectif de l’élève dans la tâche.
Nous voudrions pointer quelques conséquences graves de cet état de fait.
Le temps de présence à l’école des élèves du secondaire se réduit, est morcelé et varie d’un jour à l’autre. Ceci amène certains adolescents à considérer la présence à l’école comme une activité secondaire, à se préoccuper plus de leurs heures de fourches et jours de congé que de leur travail scolaire. Les adolescents se voient ainsi privés d’une des composantes d’un cadre indispensable à leur développement : une structuration du temps liée au temps scolaire.
Face à cette réduction du temps de présence des élèves en classe alors que les programmes restent très chargés, les enseignants doivent naviguer comme ils peuvent. Voici plusieurs conséquences possibles de cet état de fait, toutes ayant un impact négatif sur les apprentissages.
– Certains enseignants choisissent de ne pas traiter des parties de programme, en fonction de critères personnels non négociés avec leurs collègues. On devine sans mal les effets que cela peut avoir dans la classe suivante. Parfois, ces décisions sont prises en équipe de niveau, ce qui est déjà plus cohérent à l’intérieur d’un établissement mais peut mettre les élèves en difficulté dans le cas de changement d’école ou lors du passage au supérieur.
– Les enseignants soucieux de « voir le programme » disent devoir se concentrer uniquement sur les contenus à transmettre et les techniques à apprendre et ne pas pouvoir prendre du temps pour réellement construire les savoirs avec les élèves, les faire travailler en groupe sur des défis et des projets ou encore s’attarder à la méthode de travail, c’est-à-dire comment faire pour réellement comprendre et apprendre ce qui a été vu en classe.
– Certains enseignants, pris de court, mis sous pression, survolent des pans entiers de matière importante, contraignent les élèves à un rythme d’enseignement ne respectant pas leurs capacités d’assimilation et renvoient en travail à domicile tout ce qui n’a pas pu se faire en classe. Cela augmente considérablement le stress, la peur de l’échec et conduit des élèves à chercher à l’extérieur de l’école (parents, cours particuliers, ..) l’aide qu’ils seraient en droit de trouver en classe.
Tout ceci est inquiétant, d’autant plus pour tous ceux qui ne vivent pas dans un environnement familial susceptible d’apporter un soutien scolaire. Cela ne fait que renforcer les inégalités liées à l’appartenance sociale déjà bien présentes avant l’entrée à l’école. Il est inacceptable qu’en utilisant à mauvais escient le temps scolaire, l’école creuse davantage les inégalités.
Les solutions avancées jusqu’à présent ne nous satisfont guère et ne sont pas en mesure de répondre à nos inquiétudes. La Ministre Arena évoque l’idée d’imposer un jour précis pour le début des sessions d’examens tandis que d’autres – la Ligue des Familles entre autres – parlent d’activités culturelles, sportives, en partenariats avec différentes associations concentrées sur la fin de l’année. Il y a fort à parier qu’il serait impossible de répondre aux demandes de toutes les écoles.
Notre proposition est plus audacieuse et plus créative; elle porte sur une dissociation entre le temps de présence des élèves à l’école et le temps de travail des enseignants qui, à ce jour, est toujours défini en nombre d’heures de classe et donc comptabilisé en termes de présence face aux élèves. Le temps à consacrer à d’autres tâches n’est pas réglementé (à l’exception des temps de concertation dans le fondamental et de délibération dans le sencondaire). Quand donc osera-t-on penser le temps de travail des enseignants différemment de celui des enfants afin de garantir aux élèves un temps adéquat pour les apprentissages et de reconnaître aux enseignants que leur temps de travail ne se limite pas au temps de présence face aux élèves ? Le métier s’est complexifié et ne peut plus se limiter à une simple transmission des savoirs. Il y a lieu d’insérer dans le temps de travail des enseignants des heures de concertation collective, de valoriser les intervisions entre pairs, d’encourager la formation continue, … Pourquoi ne pas s’inspirer des Hautes Ecoles où il y a une distinction claire entre le temps de travail des enseignants et le temps de présence des étudiants ? Nous pourrions également considérer d’autres systèmes éducatifs qui fonctionnent déjà sur ce modèle de dissociation des temps de travail des apprenants et des enseignants.
Nous faisons le pari que modifier le temps de travail contribuera à s’attaquer à l’échec scolaire car poser la question du temps des apprentissages revient à poser la question de l’échec de l’Ecole à faire réussir tous les enfants.
Si le temps des apprentissages scolaires passe par une refonte du temps de travail des enseignants, il passe également par une réflexion sur le temps de travail des élèves et plus précisément des rythmes scolaires. En 1991 déjà, la Commission sur les Rythmes Scolaires avait notamment suggéré de réorganiser le calendrier en faisant alterner sept semaines de classe et deux semaines de congé. Mais ce projet, dérangeant trop les habitudes familiales et posant des problèmes d’accueil des enfants, n’avait pas été retenu à l’époque, malgré l’intérêt du secteur Horeca pour cet étalement des vacances.
Cela vaudrait la peine d’ouvrir un chantier en vue d’articuler les deux réflexions, sur les temps de travail et des enseignants et des élèves.
Anne Chevalier, formatrice à CGé
Rudy Wattiez, secrétaire général de CGé, Changements pour l’égalité, mouvement socio-pédagogique.