Responsabilités, une inscription (Les)

Dans le récit qui suit, une enfant tente, en vain, de faire comprendre à sa maîtresse le sens et l’enjeu du dispositif mis en place dans la classe : il s’agit d’un tableau de responsabilités. Le hasard fait qu’une étudiante de IUFM se trouve là qui assiste à la tentative de l’enfant. L’expérience vécue par cette étudiante ce jour-là et qu’elle nous transmet touche au fondement même de ces dispositifs qu’il arrive que des pédagogues manipulent sans jamais avoir pensé leur sens et leur enjeu. Quand je suis allée pour la première fois visiter la moyenne section dans laquelle j’allais me trouver en stage, une enfant soudain dit à la maîtresse : « Il faut écrire mon nom sur l’affiche, tu ne l’as pas encore fait ». La maîtresse lui répond qu’elle le ferait plus tard. Puis elle se tourne vers moi et m’explique que cette enfant se trouvait dans la classe depuis trois semaines et qu’elle lui demandait tous les jours d’écrire son nom sur l’affiche des responsabilités. Mais elle n’avait pas encore eu le temps de faire son étiquette. Elle conclut en affirmant que « ce n’était pas si grave ». J’ai pensé qu’au contraire c’était grave car cette petite fille n’avait pas de place dans la classe. L’enfant s’est montrée très agitée et très tourmentée. J’ai par la suite appris en parlant avec la maîtresse que ses parents se trouvaient en instance de divorce, qu’ils se battaient pour avoir la garde de l’enfant et que cela la perturbait beaucoup. J’ai donc pensé qu’il était indispensable que cette petite fille ait une vraie place dans la classe. Aussi j’ai décidé de mettre en place, pour la durée de mon stage, les métiers et le quoi de neuf ? La petite fille tente de faire entendre à l’enseignante qu’elle devrait prendre au sérieux cette liste de responsabilités affichée dans sa classe. La liste se trouve là, aux yeux de la maîtresse, comme un outil de rangement parmi d’autres, dont elle ignore qu’il met en jeu l’inscription du sujet et à travers celle-ci sa présence proprement dite — son apparaître. De là que le nom puisse se voir oublié ; après tout cette enfant doit bien savoir qu’elle se trouve là ! Telle est la méconnaissance dont la petite fille tente désespérément de faire sortir son enseignante. En vain. Dans ce rappel dont nous apprenons qu’il se répète depuis plusieurs jours se dit tout le savoir de l’enfant sur l’enjeu des institutions : soutenir l’inscription des noms ; tout son savoir sur l’impact primordial de cette inscription. Dans cette courte histoire nous assistons au rappel par un enfant de l’importance capitale de l’inscription du nom comme moment qui fonde la présence. lci, cette inscription prend tout son sens. Ni la maitresse, ni les enfants ne l’oublient. Début janvier, nous accueillons une nouvelle petite fille. Je la présente aux enfants qui se présentent chacun à leur tour. Nous lui montrons les étiquettes,les casiers, les ateliers, le matériel, etc. J’écris son prénom au tableau. Et Thomas d’ajouter : « Et surtout, il faut écrire « Ouarda » sur toutes les listes de services ». Importance de l’accueil, de la présentation de chacun, de la nomination, en moyenne section de maternelle. Encore faut-il ne pas oublier d’inscrire le nom de la nouvelle sur les listes des « services ». L’inscription du nom est le sésame qui ouvre le monde commun — l’avec, le s’entrer-dans. Pourrait s’entendre à travers l’intervention de Thomas que l’intérêt essentiel de ces services n’est autre que l’occasion qu’ils offrent d’inscrire les noms et de les lire ; de se nommer et de s’entendre nommer. Tout cela assurément Catherine le savait, mais ce savoir se trouve soudain renouvelé, vivifié et en quelque sorte (re)fondé sous l’effet de l’intervention de l’enfant F. IMBERT, L’impossible métier de pédagogue, ESF, Issy les Moulineaux, 2000.

Documents joints