Savoir causer

Troisième colloque international de pédagogies actives dans l’enseignement supérieur. Si, si, ça existe. Beaucoup d’ingénieurs, des architectes, quelques médecins. Des formateurs d’enseignants, non. Enfin, si… il y a nous.

Nous c’est trois profs de la classe coopérative verticale et trois étudiants de 2e régendat en sciences humaines. On est là pour présenter notre système de formation. Notre atelier a du succès : une cinquantaine de participants, la plupart profs d’universités ou d’écoles supérieures en France, Belgique, Italie, Québec… Nos étudiants sont eux-mêmes des rescapés de l’université et ils vont parler à leurs anciens examinateurs qui les en ont exclus.

Commission « colloque »

Cette intervention a été préparée en « commission ». Les commissions sont un temps facultatif dans notre système de formation. Il suffit pour en ouvrir une qu’un membre de la classe coopérative, étudiant ou professeur, en fasse la proposition et qu’au moins trois étudiants et un professeur s’engagent à y participer. Cette proposition est faite à la réunion de programmation qui réunit tout le monde un vendredi sur deux pour organiser la quinzaine qui suit. Cette fois, c’est moi qui ai fait la proposition et cinq ou six étudiants ont embrayé.

Cette commission colloque s’est réunie cinq fois le mercredi de 15 h 45 à 17 h 45. Et chaque fois, comme dans tous nos temps collectifs avec un président de séance et un secrétaire. Un président qui se propose en fin de chaque séance et qui prépare et anime la séance suivante. Ensemble, nous avons préparé l’intervention au colloque. Il s’agissait de présenter deux choses, d’abord en général l’ensemble du système de formation : la réorganisation du temps scolaire en différents temps, projets collectifs, travail autonome, présentations, structurations… et ensuite, en particulier, le récit et l’analyse comparée de deux projets collectifs verticaux menés parallèlement dans deux groupes différents.

Nous avons décidé ensemble du contenu, de la structure de l’exposé décomposé en autant de dias à présenter et nous nous sommes réparti les dias à réaliser. J’ai rassemblé les dias et unifié la présentation et, à la dernière réunion de la commission, nous avons décidé de qui parlerait sur quelle dia. Puis petit et rapide essai « pour du vrai » de la présentation avec projection. Cela cafouille assez bien, mais plus le temps, il va falloir y aller.

Pédagogie active

La présidente de séance se présente, donne la parole à la discutante qui me la donne pour que je la donne aux étudiants qui la prennent. Les dias se succèdent, les étudiants parlent et parlent bien. Ils ne sont pas dans une posture scolaire, pas dans une attitude revancharde par rapport à l’institution qui les avait exclus, pas non plus dans une attitude craintive, d’infériorité. Ils adoptent un ton juste, ils parlent d’adultes à adultes, dans une vraie communication.

L’organisation du colloque a prévu un grand temps de questionnement et de débat critique après la présentation. La discutante doit introduire ce débat en pointant les éléments qui feraient problème. L’intérêt est grand et les questions d’explicitation nombreuses, sur l’organisation de l’ensemble, sur la place des enseignants, sur la coopération entre étudiants et l’intérêt de cette coopération… le tout avec une sympathie amusée vis-à-vis de ces petits étudiants qui répondent avec autant de sérieux et d’aplomb. Les points critiques portent sur l’entrée des 1res dans le système et l’absence de travail systématique de leurs représentations de départ et sur l’intérêt pour leur formation de la collaboration des 3es avec des 1res. Les réponses des étudiants sont rapides, précises, intelligentes.

L’organisation du colloque a aussi prévu une évaluation écrite de l’atelier par les participants. La présidente nous les transmet : c’est une unanimité de remerciements et de félicitations sur l’intérêt d’avoir invité et donné la parole aux étudiants eux-mêmes, événement unique dans ce type de colloque. Alors que pour nous, c’est un élément essentiel de notre système de formation.

Pour tous les temps « fonctionnels » (soit du temps total de formation pour du temps de structuration), nous prévoyons une « socialisation » la plus vraie et la plus forte possible en termes de communication et d’implication sociale. Être le plus souvent possible dans une posture de sujet, d’acteur-partenaire de la formation de tous, être reconnu comme sujet et partenaire dans une situation d’interaction sociale à risques, c’est cela qui est pour nous émancipateur, à condition bien sûr que les savoirs soient travaillés avec exigence également. Et dans ce cas, après un an et demi de formation, l’émancipation est manifeste et fait plaisir à voir.

Approfondissement turc

Un mois plus tard, stage dans l’enseignement professionnel : nos trois intervenants au colloque font merveille dans les classes aussi, leurs maîtres de stage sont enchantés, les professeurs d’École Normale qui leur rendent visite aussi. Entre la fin de ce stage et les vacances de Pâques, une semaine de retour à l’École Normale et le lundi, entre autres, quatre heures communes d’exploitation de stage, un travail d’analyse réflexive à partir d’incidents critiques. Trois étudiantes sont absentes, dont deux sur les trois du colloque. Le lendemain, pareil. Les bruits courent et nous apprenons qu’elles ont décidé de profiter d’un séjour bon marché hors saison sur une plage turque. Oui, mais non. Émancipées d’accord, mais pas trop !