Se former ensemble

Quels sont les éléments fondamentaux pour qu’une formation destinée prioritairement à des personnes en situation de grande pauvreté réussisse ? En voici certains, mis à jour dans une session de formation ATD réalisée au cours de l’été 2014.

Introduction

ATD Quart Monde a comme finalité d’éradiquer la grande pauvreté et l’exclusion sociale par la reconnaissance effective de l’égale dignité de tous les êtres humains et le plein accès de tous à l’ensemble des droits de tous. Cela passe par l’action collective : actions de terrain, actions politiques et actions auprès de l’opinion publique. Notre identité propre ? C’est de vouloir tout penser, construire, évaluer… avec et à partir de ceux qui ont la vie la plus difficile à cause de la misère.

La session s’adressait prioritairement à des militants Quart Monde1 de Belgique et de France, impliqués dans la dynamique de « croisement des savoirs et des pratiques2′. Environ 150 personnes ont été invitées parce qu’elles correspondaient aux critères de participation : avoir vécu au moins une action de croisement des savoirs au cours des dernières années et être activement engagé dans le mouvement ATD Quart Monde. 120 personnes ont manifesté leur volonté de s’inscrire, une centaine ont participé effectivement. La session s’adressait non seulement à des militants Quart Monde, mais aussi à des alliés3 et des volontaires-permanents4 de notre association ayant assuré une responsabilité de soutien aux militants lors d’actions de croisement des savoirs. L’analyse qui suit prendra en compte leur participation, mais se centrera sur la formation des militants Quart Monde.

Des étapes préalables indispensables.

Les personnes qui ont participé à cette session avaient donc déjà réalisé tout un parcours antérieur à la session. Parfois long, parfois d’un an à peine.
Au départ, il y a toujours eu un membre de notre association – allié, militant ou volontaire-permanent – qui est allé à leur rencontre dans leur milieu de vie.
Elles ont participé à des temps collectifs, où elles ont non seulement commencé à apprendre à mettre en mots leur expérience et la pensée qu’elles en tirent, mais la confrontation à d’autres « semblables » leur a permis de passer de la honte de se croire coupable de ce que l’on vit à la prise de conscience d’une injustice collective. Elles se sont reconnues d’un combat collectif pour « faire changer les choses ». Et la confrontation respectueuse par des personnes de milieux différents leur a permis de commencer à développer leurs compétences à dialoguer.
Tous ces premiers acquis leur ont permis de participer à une action de croisement des savoirs au cours de laquelle elles avaient comme rôle, collectivement au sein d’une équipe de militants Quart Monde, d’apporter la connaissance de leur milieu et de commencer à construire avec des professionnels et/ou des chercheurs.

Une formation qui correspond à une attente, un besoin conscient

Si elles se sont inscrites à la session, c’est qu’elles avaient une conscience aigüe que pour être à la hauteur de leur responsabilité, elles avaient besoin de se former de manière plus pointue.
La session répondait donc à une attente et participait d’un projet collectif dont les uns et les autres étaient pleinement partie prenante.

Identifier collectivement les besoins de formation.

Pour cette session, les organisateurs n’avaient pas choisi un angle précis, un objectif concret en termes de formation. Durant toute la première journée, ce sont les participants eux-mêmes qui ont travaillé pour identifier leurs besoins de formation.
Ils ont été répartis en petits groupes de pairs de 8-9 personnes  : 5 groupes de militants Quart Monde d’une part, 1 ou 2 groupes d’alliés et volontaires-permanents d’autre part. Dans chacun de ces groupes, tous les participants ont recherché et présenté de manière très concrète aux autres une situation – lors d’une action de croisement des savoirs – au cours de laquelle ils s’étaient sentis en difficulté. Chacune de ces situations a été analysée collectivement : quelles étaient la ou les difficultés ? Les diverses difficultés qui ont émergé de cette première étape ont été regroupées, puis les participants ont sélectionné celles par rapport auxquelles il serait possible de progresser via une formation.

Tous les groupes se sont alors retrouvé en plénière et ont confronté leurs analyses, en donnant en exemple l’un ou l’autre élément de situation, pour faciliter la compréhension. Les points communs ou proches ont été regroupés. Une dizaine d’objectifs de formation ont ainsi été identifiés.

Chacun de ces objectifs pouvait faire l’objet d’un atelier, le lendemain. Mais nous n’étions que 6 animateurs d’une part, et il fallait un nombre suffisant de participants pour rendre possible le travail de l’atelier. C’est pourquoi tous les participants ont reçu une fiche où tous les objectifs étaient repris, ils y ont indiqué leurs 1er, 2e et 3e choix.

Lors de l’évaluation de fin de session, tous les participants ont souligné combien cette étape avait été importante : les organisateurs n’avaient pas imaginé savoir mieux qu’eux ce dont ils avaient besoin, ils n’avaient pas été des moutons qui suivent ce que d’autres décident pour eux. Et du point de vue des organisateurs, si certains ateliers leur semblaient plus ou moins prévisibles, ils n’auraient pas forcément été jugés prioritaires et n’auraient donc pas forcément été mis sur pied.

De manière plus générale, pour mener ce travail, il a été très important de partir de situations concrètes, vécues et présentées par les uns et les autres et donc de bâtir une pensée générale à partir du réel plutôt que de lancer très (trop) vite des généralités. C’était une condition pour que des personnes ayant très peu bénéficié de l’instruction – certaines ne savaient ni lire ni écrire – soient pleinement à l’aise dans le processus, et tous y ont gagné en pertinence et en profondeur.

Travailler de manière pratique

Le soir même, en fonction des ateliers choisis, les organisateurs ont formé équipe avec l’un ou l’autre des alliés ou volontaires-permanents participant à la session pour imaginer l’animation d’un atelier le 2e jour de la session. Les modes de travail ont été différents de l’un à l’autre. Leur point commun : travailler non pas de manière abstraite, mais à partir de mises en situations, parfois très ludiques. Celles-ci n’étaient cependant vraiment formatrices que parce qu’elles étaient suivies de temps de recul au cours desquels les participants analysaient ce qui s’était passé, et mettait en phrases les points forts de cette analyse.

Quelques ateliers : apprendre à analyser un récit d’expérience – ne pas se laisser manipuler – apprendre à se confronter – se soutenir mutuellement et rester solidaire de ceux dont la vie est la plus difficile et qui sont les plus exclus – apprendre à se souvenir de ce qui a été dit en groupe de préparation et pouvoir le retransmettre…

Transmettre

Chaque atelier disposait de 4 plages de 1 h 30 chacune, séparées par des pauses. La 4e était obligatoirement consacrée à imaginer collectivement une transmission pour le lendemain, à destination des autres groupes. Et cette transmission devait être interactive… Chaque atelier disposerait de 30 minutes, tout compris.
Les modes de transmission ont été à nouveau fort différents d’un atelier à l’autre : présentation d’affiches suivie d’un court débat, exercices de travail proposés à tous, théâtre-forum, etc.

Mais s’il était important que les participants aient un écho de ce qui s’était passé dans les autres groupes que le leur, le fait même de préparer une transmission et de réaliser celle-ci était extrêmement formateur : il fallait avoir une conscience claire de ce qu’on avait appris, le mettre en forme, trouver un mode d’expression qui fasse sens pour ceux qui n’auraient pas vécu tout le processus. Dans notre société de l’écrit, la plupart de ceux qui ont très peu appris à l’école ont également de gros problèmes de mémorisation (cela faisait d’ailleurs l’objet d’un atelier) et cette dernière étape a permis à beaucoup d’entre eux de pouvoir redire, des mois plus tard, ce qu’ils avaient appris lors de cette session.

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