Retour des vacances de Noël, semaine consacrée par beaucoup d’enseignants à la correction des examens. Période où je pourrais perdre mon temps et celui des élèves.
Si, pour corriger les examens, je leur rends leur épreuve en français, les élèves sont dans le comptage des points (culture scolaire oblige ?) pour être certains que je n’en ai pas oublié l’un ou l’autre, ils sont dans la comparaison des résul-tats, dans le formalisme de recopier du tableau « LA » bonne réponse. Mais comment revenir sur ce qui n’a pas été ? Comment faire percevoir que cet exa-men n’est qu’un test à travers lequel j’ai évalué des savoir-faire qui ne se limitent pas à l’addition de toutes ces petites questions ? Comment trouver du sens dans un texte à partir des erreurs, des difficultés ? Tâtonnements, les leurs et les miens…
J’arrive en classe, nous sommes lundi et, comme je m’y attendais dans cette classe de 2e différenciée, les élèves me demandent si on va corriger les examens. Je leur ré-ponds que oui, mais pas toutes les épreuves, on va se concentrer sur un texte qui par-lait de Louis BRAILLE et je leur montre une copie vierge pour leur rappeler l’allure de la mise en page.
Déception : « On ne va pas voir nos feuilles ? ». « Dans un premier temps non. Plus tard, si vous le souhaitez, je peux vous les apporter. »
Je pose ma première question : « Qui pense avoir réussi cette épreuve ? » Trois doigts se lèvent pour dire oui, cinq pour non et les sept autres ne savent pas ou ne sont pas surs. Dans les oui, il y a Sylvie, bonne élève assez rapide qui est très souvent en réus-site pour mon cours, j’imagine qu’elle se dit que c’est comme d’habitude. Karim justifie qu’il a beaucoup étudié. Certains autres répliquent : « C’était de la lecture, y avait rien à étudier ! » et le troisième ne dit rien. Je leur annonce qu’ils ont tous raté. Rires…
Je leur parle alors d’un autre texte en étude du milieu, qui traitait de la tradition du sa-pin de Noël. Même question : « Qui pense avoir réussi ? » Sept oui, trois non et le reste sont des indécis. « Vous avez tous réussi. Comment expliquez-vous ça ? » « Le Sapin de Noël, c’était facile ! On connait tous ce que c’est un sapin. » Proximité du thème, c’était la période où il y en avait partout, le sujet leur a semblé familier.
« La réponse aux questions était dans le texte, on pouvait les trouver facilement. » J’attire souvent l’attention des élèves sur les questions dont les réponses sont explici-tement dans le texte, pour lesquelles il « suffit » de chercher pour trouver, contraire-ment aux questions dont la réponse est implicite et pour lesquelles il faut rassembler des éléments, faire des liens et fabriquer sa réponse en utilisant tout ce qu’on a trou-vé… Je suis contente de voir Hervé pointer cette possibilité de trouver des réponses.
« Pour le sapin de Noël, les questions suivaient l’ordre du texte. » Je suis à nouveau étonnée que ceci soit mis en avant, c’est vrai et qu’en plus, ils s’en rappellent après quinze jours de congé…
« On comprenait les mots. » Là, je suis plus étonnée. Le texte sur le sapin était extrait du Petit Ligueur et celui de Louis BRAILLE, je l’avais trouvé sur un site internet et c’était le résumé d’un livre écrit par une fillette de primaire… « LA HONTE ! C’est une gamine qui l’a écrit et nous on l’a même pas compris ! » C’est vrai que le langage était simple, mais je n’ai pas soupçonné l’implicite socioculturel présent.
Je distribue le texte et le questionnaire vierge à chacun. Je leur interdis de répondre aux questions. Je souhaite qu’ils les relisent et qu’ils pointent ce qui a été/est difficile pour eux. Comme je vois Ilias, le crayon à la main, en train de chercher la réponse à la première question, je l’interpelle, pose ma feuille sur le bureau, monte sur la chaise et l’enjoins lui et les autres à ne pas rester le nez sur le guidon, je veux une mise à dis-tance des choses, on est observateurs, chercheurs de ce qui pose problème.
Je pensais qu’ils allaient décortiquer les questions, mais la grosse majorité relit d’abord le texte. Narjis me demande même la permission. Sans doute que c’est important d’avoir l’histoire bien en tête pour retrouver ce qui y est dit ou pas.
Sélim : « C’est une vraie histoire ? » Oui. Besoin d’être ancré dans le réel ? Pas-sage obligé pour se représenter les choses ?
Narjis : « Quand on a lu les questions, on fait quoi ? »
Sylvie : « Tu cherches pourquoi c’était compliqué ! »
À part pour Narjis qui ne rentre pas dans le travail, un vrai silence s’est instauré et il se prolonge…
Il ressort de cette première phase que beaucoup d’élèves ont confondu l’histoire de Louis BRAILLE et celle de Mirco, jeune héros du film Rouge comme le ciel que nous étions allé voir au cinéma. Moi qui voulais rester dans le thème de la malvoyance avec ce texte d’examen et faire comme un prolongement en leur présentant la vie d’un autre enfant confronté au même problème, je n’ai fait qu’embrouiller les choses ! Junior va même me dire que la confusion va plus loin, ils ont étudié le peintre Joan MIRO au cours d’éducation artistique et lui, il a mélangé les trois !
Ilias explique qu’il y a des questions qu’il ne comprend pas, dont la réponse n’est pas dans le texte. D’autres notent les numéros des questions qui font difficulté. D’autres, enfin, relèvent que pour les questions 9 et 10, c’était vraiment trop dur. Il s’agissait d’expliquer des mots d’après le contexte (sans dictionnaire, donc) et de retrouver à quels noms renvoyaient certains pronoms (réseau anaphorique).
Je propose une deuxième phase qui consiste à répondre aux questions au crayon ; la mise au net se fera après le partage des réponses, puisqu’à ce moment-ci, ce qui im-porte c’est de dire comment on a trouvé ou ce qui a empêché de trouver, plutôt que de donner des réponses directement correctes. Je leur demande aussi de numéroter les lignes du texte de 5 en 5 (comme dans certaines épreuves externes auxquelles ils ont déjà été confrontés) pour pouvoir donner le numéro exact de l’emplacement de la ré-ponse.
1. Quels point(s) commun(s) existe(nt) entre la perte de la vue pour Louis BRAILLE et Mirco, le personnage du film ? Après l’éclaircissement qui a précédé, tous savent dire que les deux enfants ont perdu la vue suite à un accident, lorsqu’ils ont désobéi à leur père.
2. Que serait devenu le jeune Louis BRAILLE si le curé de son village n’était pas inter-venu ? Beaucoup ne comprennent pas cette question. Elle bloque même Sélim qui refuse d’aller plus loin. Dans le texte : « C’est le curé de la paroisse qui sauva Louis du sort de mendiant qui l’attendait. » J’essaie la reformulation : « De quoi l’a sauvé le cu-ré ? » Et Sélim, dans sa perception toute respectable du mot « sauver », répond : « De rien, puisqu’il est quand même devenu aveugle. » Othman, lui, s’appuyant sur le mot « curé » qui se trouve dans la question et dans la réponse, situe au moins déjà le pas-sage. C’est une première étape, une stratégie, je le souligne, mais même s’il est au bon endroit, il n’a pas trouvé la réponse.
3. Quelle est la passion de Louis en dehors de la lecture pour les aveugles ? « Il rêve de l’église Saint-Nicolas-des-Champs où il est un organiste très doué. » Ici le mot « or-ganiste » a laissé tout le monde sur le carreau. Seul Hervé, dont le père est pasteur, avance timidement que c’est un instrument de musique. Les autres avaient lu « orga-nisé » à la place. Problème de vocabulaire, j’aurais pu éviter cet écueil facilement en mettant un petit lexique en bas de page…
5. De quoi Louis Braille est-il mort ? Ilias : « On ne dit pas qu’il est mort ! » Et il a rai-son, vers le milieu du texte, on peut relever ceci : « L’air humide de Paris, où se situe l’institut, lui fait bientôt attraper une tuberculose qui l’entraine tout doucement vers la mort. » Mais le texte se poursuit et se termine sur la victoire de Louis BRAILLE et de son alphabet. Si BRAILLE sort victorieux, c’est qu’il n’est pas mort. Voilà sa logique…
6. Où ton professeur a-t-il trouvé cet article sur Louis BRAILLE ? Confusion ici entre la référence du livre qu’a lu la petite fille pour faire ce résumé et la référence du site où j’ai trouvé l’article… Les deux étant indiqués en bas de page.
7. Où Martha a-t-elle trouvé les renseignements qui lui ont permis d’écrire son texte ? « Qui c’est Martha, c’est pas dit ! » Et c’est vrai, rien d’explicite, il fallait comprendre que le « Martha » écrit en gras en bas de l’article était la signature de l’auteur…
8. Recherche dans le texte les différents noms utilisés pour parler de Louis BRAILLE. Ici, certains ont compris, mais malheureusement ils confondent « nom » et « mot » ou ne maitrisent pas la notion de nom et donnent des réponses comme « il » ou « celui-ci ».
Et les deux heures de cours se sont écoulées entre les explications, la lecture, les di-gressions, il me reste les questions 9 et 10 à traiter la prochaine fois : expliquer le sens d’un mot d’après son contexte et retrouver le nom auquel renvoie un pronom.
Quand au cours suivant, on revient sur le travail accompli et qu’on boucle les dernières questions, je reviens avec mon questionnement : « Pourquoi c’était si difficile ? », « Pourquoi ce questionnaire nous a-t-il tous mis en échec ? »
C’était facile, mais il fallait se casser la tête pour trouver.
Il fallait bien prendre son temps et souvent on veut aller trop vite.
L’important, en fait, c’est de bien comprendre les questions, le reste après c’est pas si dur.
Moi, il me faudrait du sucre. C’est connu, quand on se sent faible, on prend un peu de sucre et ça repart !
C’est l’envie qui nous a manqué. Quand on n’aime pas, ça donne pas envie et quand on n’a pas l’envie, on n’a pas le courage.
J’insiste sur la motivation et l’envie, mais leurs réponses, en finale, me semblent ne pas tenir compte du travail mené. C’est comme s’ils n’avaient rien retenu ou si peu de la manière dont il faut s’appuyer sur les mots pour qu’ils prennent sens dans le texte…
Depuis cette correction collective, aucun n’a demandé à revoir son examen. Comme à chaque fois que je prends le temps de décortiquer un peu leurs difficultés, d’écouter leurs logiques ce qui me paraissait idiot ou inexplicable a pris sens, je mesure un petit mieux les obstacles qui se dressent entre mes attentes et leur cheminement…